Un professeur d’entomologie de l’Université Laval a été désigné recteur de l’Université de Genève et se retrouve bien malgré lui au cœur d’une controverse sur l’indépendance universitaire.

Le Québécois Éric Bauce, du département des sciences du bois et de la forêt, a été choisi mercredi soir par l’Assemblée de l’Université de Genève pour succéder à Yves Flückiger, le recteur actuel qui quittera son poste le 15 juillet. Il a été préféré au Belge Jean-Michel Rigo, de l’Université de Hasselt, dans les Flandres.

Sa nomination doit toutefois être entérinée par le gouvernement local, ce qui pourrait s’avérer délicat.

« Ma nomination doit encore être entérinée. Mais le fait que j’ai été sélectionné, qu’on a aimé le projet que j’ai soumis, en soi, j’en suis extrêmement honoré », a indiqué M. Bauce en entrevue à La Presse.

M. Bauce a une longue expérience de la gestion en milieu universitaire. Il a été vice-recteur de l’Université Laval de 2007 à 2017. Il s’est par ailleurs présenté deux fois, en vain, à la course au rectorat de son université.

L’Assemblée de l’Université de Genève, constituée de professeurs de plusieurs facultés et d’étudiants, a salué le « projet fédérateur et porteur d’avenir » mis de l’avant par le Québécois.

Une candidature contestée par le politique

« L’Assemblée de l’Université est convaincue que le projet de plateforme de transition socioécologique porté par le professeur Éric Bauce répond pleinement aux exigences posées par l’Assemblée vis-à-vis de la responsabilité sociale de l’Université », écrit l’Assemblée dans un communiqué.

Mais la nomination d’Éric Bauce survient dans un contexte singulier. La conseillère d’État du canton de Genève chargée du département de l’instruction publique, Anne Emery-Torracinta, a fait savoir publiquement qu’elle souhaitait un candidat local.

« Une personne qui connaît très bien les enjeux de la formation et de la recherche en Suisse, ainsi que notre système politique. En somme, une personnalité issue du canton ou pour le moins d’une haute école romande », écrivait mercredi Le Temps de Genève.

Éric Bauce se dit disponible pour s’entretenir « avec tout élu suisse » qui désire lui parler. Il pense être fixé sur son sort d’ici une semaine environ.

« Ça fait partie de l’évolution du monde universitaire. Je regarde juste ici à Laval : les recteurs et les rectrices proviennent de l’Université Laval. On n’a pas de leçons à donner à quiconque », dit celui qui est né à Montpellier, en France, de parents espagnol et italien, avant d’immigrer à Montréal à l’âge de 5 ans.

PHOTO ARCHIVES ALAMY

L’Université de Genève, en Suisse

« Je peux comprendre que pour une institution fondée en 1559 qui a toujours été dirigée par des gens de la Suisse, certains politiciens se demandent pourquoi on est allé chercher un étranger, reconnaît-il. Mais il faut comprendre que le monde universitaire est en train de s’ouvrir à l’international. L’Université de Genève est une université internationale. »

L’autonomie de l’Université « violée »

L’Assemblée de l’Université n’a pas paru apprécier la sortie de l’élue, déplorant dans un communiqué « les prises de position publiques et les ingérences dans un processus mené selon les dispositions légales, ainsi que la forte pression médiatique exercée durant la procédure ».

« Ces pressions, inacceptables, violent l’autonomie de l’Université telle que prévue par la loi. En dépit de ces pressions, l’Assemblée a poursuivi son travail d’évaluation et a pris sa décision en toute indépendance », poursuit l’Assemblée.

Il faudra désormais voir si le Québécois sera confirmé par le Conseil d’État, soit le gouvernement du canton de Genève, ou si les élus entameront un bras de fer avec l’établissement.

Au début du processus, huit candidats ont levé la main pour remplacer le recteur actuel, tous étaient des hommes et un seul provenait de l’Université de Genève.

« L’Assemblée considère que l’absence de candidatures féminines relève de problèmes structurels conduisant à l’absence relative, de fait, de femmes à des postes à responsabilité à tous les échelons », a indiqué l’organe dans son communiqué.

La nomination du nouveau recteur survient alors qu’un autre évènement a secoué l’Université de Genève. Le 21 décembre dernier, une élue de droite a été victime d’une tentative d’entartage lors d’un débat oratoire sur la neutralité suisse.

L’Université a décidé cette semaine de déposer une plainte pénale contre inconnu pour violation de domicile. L’Université « réaffirme son attachement à la liberté d’expression et mettra tout en œuvre pour en garantir l’exercice ».