(Québec) La vérificatrice générale du Québec, Guylaine Leclerc, dresse un constat accablant à l’égard du ministère de l’Éducation, qui n’a toujours pas un portrait complet des retards d’apprentissage causés par les fermetures de classes depuis le début de la pandémie. Sans des données fiables pour mettre en œuvre des mesures de rattrapage, les jeunes en difficulté d’apprentissage risquent de voir leur cheminement compromis et d’être privés, à terme, d’un diplôme.

Dans son rapport déposé mercredi au Salon bleu, Mme Leclerc affirme que « les analyses dont dispose le [ministère de l’Éducation] ne lui permettent pas d’avoir un portrait complet des retards d’apprentissage afin de mettre en place les mesures de rattrapage appropriées ». Alors que la pandémie de COVID-19 a provoqué des fermetures de classes répétées et de nombreux épisodes d’enseignement à distance, les efforts consacrés à l’aide aux élèves, comme le programme de tutorat de 88 millions de dollars, « n’ont pas été basés sur une analyse synthèse des retards d’apprentissage », affirme-t-elle.

Plus concrètement, « la répartition budgétaire des mesures de tutorat pour le soutien à l’apprentissage n’a pas considéré suffisamment les besoins des élèves », dénonce la vérificatrice générale.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Bernard Drainville, ministre de l’Éducation

Le ministre de l’Éducation, Bernard Drainville, reconnaît que ses équipes ne disposent toujours pas de données qui permettraient de mesurer clairement les effets de la pandémie sur la réussite scolaire. Il souligne toutefois que le Québec s’est « démarqué » pendant les premières vagues de COVID-19 en voulant maintenir ses écoles ouvertes.

« Les retards occasionnés par l’enseignement à distance et par la fermeture des écoles, on est encore en train de mesurer [ça]. Les travaux ne sont pas terminés », reconnaît-il.

Drainville promet d’être « gossant »

Comment se fait-il que le ministère de l’Éducation n’ait toujours pas les données qui lui permettraient de mesurer les retards d’apprentissage causés par la pandémie ? Bernard Drainville se pose la question et il entend être « gossant », dit-il, face aux centres de services scolaires qui détiennent des informations.

Les seuls résultats scolaires qu’on a systématiquement, ce sont les résultats aux épreuves ministérielles de secondaire 4 et 5. Pour ce qui est des autres résultats scolaires, dans certains cas, on n’a pas les données. Elles sont dans les centres de services scolaires.

Bernard Drainville, ministre de l’Éducation

« C’est un très gros enjeu. J’ai eu beaucoup de discussions avec les fonctionnaires du Ministère, mais aussi avec les représentants des centres de services scolaires. J’ai dit aux directeurs et à leurs adjoints : je vais être gossant là-dessus. Parce que je vais avoir besoin de données pour me faire une idée et avoir un portrait de la situation », ajoute le ministre, toujours en réflexion sur les moyens qu’il prendra afin de régler la situation.

À terme, Bernard Drainville souhaite publier un « tableau de bord » semblable à celui que produit son collègue à la Santé, Christian Dubé. Cette compilation de données, accessible à tous les citoyens, permet de mesurer sur une base régulière l’état du réseau de la santé.

Lacunes informatiques

Comme d’autres secteurs de la société, le milieu de l’éducation n’était pas prêt en mars 2020 à faire face à une pandémie mondiale qui a forcé la fermeture des écoles pendant plusieurs semaines. Or, ce qui caractérise le système scolaire québécois, constate Guylaine Leclerc, est le fait qu’une dizaine de centres de services scolaires ne disposaient toujours pas d’une quantité suffisante d’ordinateurs portables pour offrir pleinement l’enseignement en ligne après 18 mois de pandémie.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

Guylaine Leclerc, vérificatrice générale du Québec

« Le [ministère de l’Éducation] n’a pas fourni un soutien technologique suffisant aux [centres de services scolaires] et il a investi 42 millions de dollars dans des appareils de vidéoconférence qui demeurent à ce jour peu utilisés », affirme Mme Leclerc. À cet effet, Bernard Drainville ne s’explique pas comment du matériel peut dormir ainsi sur des tablettes alors que des élèves en ont besoin.

La vérificatrice générale déplore aussi que le ministère de l’Éducation ait tardé à préciser les services éducatifs minimaux qui devaient être offerts aux élèves, en cas de fermeture de classes. Il a fallu attendre la rentrée scolaire 2020-2021 afin qu’il produise une directive indiquant ces seuils.

« En l’absence de cette directive, les services éducatifs accordés aux élèves au printemps 2020 ont été très variables d’un [centre de services scolaire] à l’autre », dit-elle.

ILS ONT DIT

Pour moi, c’est vraiment désolant, parce que les constats qui sont dressés aujourd’hui dans le rapport, ce sont des questions que nous avons posées au gouvernement. Lorsqu’on leur disait : “Avec la pandémie, on voit qu’il y a des retards d’apprentissage”, le gouvernement était dans un jovialisme déconcertant. Chaque fois, il nous disait : “Non, non, vous faites peur aux parents.” Alors que nous, on essayait de mesurer aussi combien d’enfants on a échappés à cause de la pandémie. […] Ils disent que l’éducation, c’est leur priorité, mais c’est faux ; parce que quand c’est ta priorité, l’éducation, tu veux savoir combien d’enfants ne sont pas revenus en septembre à l’école.

Marwah Rizqy, porte-parole du Parti libéral en matière d’éducation

François Legault passe son temps à dire que l’éducation, c’est sa priorité, qu’il est venu en politique pour ça. Eh bien, de toute évidence, ça ne donne pas de résultats. Ça ne paraît pas pantoute que c’est sa priorité. On le voit dans les infrastructures, mais on le voit aussi dans la gestion en général du dossier de l’éducation, la déconnexion avec ce qui se passe dans les écoles.

Christine Labrie, porte-parole de Québec solidaire en matière d’éducation

Le PQ n’a pas commenté le rapport de la vérificatrice générale.

Suppléments pour enfant handicapé : un processus « lourd et complexe »

La vérificatrice générale du Québec, Guylaine Leclerc, déplore le fait que le processus pour demander le versement d’un des deux suppléments pour enfant handicapé existants est « lourd et complexe », ce qui ne favorise pas son accès pour les familles qui en ont besoin. Durant l’année qui s’est terminée le 31 décembre 2021, plus de 41 000 enfants handicapés ont obtenu un soutien par l’entremise d’un supplément et 4500 enfants ont eu droit en plus au supplément prévu pour les enfants handicapés qui ont besoin de soins exceptionnels. Or, déplore Mme Leclerc, « les délais de traitement des demandes sont longs, et le processus de réévaluation, qui a pour but de vérifier si l’état de santé des enfants qui bénéficient déjà d’un supplément s’est amélioré et, le cas échéant, s’il répond toujours aux critères d’admissibilité, a été presque interrompu pendant une décennie, de 2011 à 2021 ». Conséquence : « plusieurs enfants n’auront fait l’objet d’aucune réévaluation tout au long de leur développement, jusqu’à l’âge de 18 ans », affirme la vérificatrice générale. Guylaine Leclerc demande entre autres au gouvernement de « simplifier l’accès aux mesures d’aide et [de] réaliser davantage de suivi avant de refuser une demande, notamment lorsque le parent n’a pas communiqué toutes les informations exigées ».