Québec doit reporter d’au moins un an la mise en place du nouveau cours Culture et citoyenneté québécoise, estiment des enseignants d’écoles secondaires privées, qui déplorent le manque de formation, des contenus encore incomplets et l’absence de manuels scolaires.

Dès la prochaine rentrée scolaire, le cours Culture et citoyenneté québécoise (CCQ) doit remplacer le cours Éthique et culture religieuse (ECR), qui a fait l’objet d’une refonte en 2020.

Tout comme le cours actuel, il sera donné pendant les six années du primaire et tout au long du secondaire, à l’exception de la 3e secondaire.

Or, l’entrée en vigueur de ce nouveau cours est « précipitée », dit Léandre Lapointe, vice-président de la Fédération nationale des enseignantes et des enseignants du Québec (FNEEQ – CSN). Ce syndicat représente les profs d’une trentaine d’écoles secondaires privées.

PHOTO DOMINIC MORISSETTE, FOURNIE PAR LA FNEEQ-CSN

Léandre Lapointe, vice-président de la Fédération nationale des enseignantes et des enseignants du Québec

« Les enseignants ont besoin au minimum d’un an pour se préparer à donner un nouveau cours. Il faut savoir que ça s’ajoute à leur charge de travail habituelle, ils ne sont pas libérés pour faire ça », dit-il.

Plusieurs formations n’auront pas lieu avant le printemps, et la mise en place de ce cours témoigne d’une certaine « improvisation », selon M. Lapointe.

Enseignant d’Éthique et culture religieuse dans un collège privé de la Rive-Sud, Jonathan Pereira-Lauzier observe lui aussi qu’il y a « beaucoup de flou » quant à certains éléments qui devront être enseignés dès l’an prochain.

« On bénéficierait d’avoir une implantation progressive, avec un peu plus de formation et un peu plus de temps », dit M. Pereira-Lauzier, qui donne le cours Éthique et culture religieuse au secondaire depuis huit ans.

Si environ la moitié des contenus du cours actuel d’ECR se retrouve dans le nouveau cours, les profs hériteront aussi de nouvelle matière, dont des contenus de sociologie, mais aussi d’éducation à la sexualité, une matière actuellement répartie entre les enseignants au secondaire.

« Il y a un paquet de contenus que je vais devoir m’approprier en lien avec l’éducation à la sexualité. Je dois me perfectionner, surtout que c’est un sujet sensible, où on ne veut pas amener les élèves dans des zones qui ne sont pas favorables pour eux », dit M. Pereira-Lauzier.

Une question de crédibilité

La Fédération nationale des enseignantes et des enseignants du Québec a adopté une résolution au début du mois pour que le ministère de l’Éducation repousse à 2024 l’entrée en vigueur du cours Culture et citoyenneté québécoise et que cela se fasse de manière progressive, jusqu’à la rentrée 2025.

Il ne s’agit pas de s’opposer au nouveau cours, dit son vice-président.

C’est une question de calendrier. Les enseignants disent qu’on précipite les choses, qu’ils ne sont pas prêts, et veulent du temps pour se former. On veut que ces cours soient crédibles et que les élèves trouvent que c’est utile.

Léandre Lapointe, vice-président de la Fédération nationale des enseignantes et des enseignants du Québec

« Si c’est enseigné de manière improvisée parce qu’on n’est pas assez prêts, j’ai peur que ça favorise les critiques », affirme pour sa part Carl Pellerin-Poliquin, enseignant d’ECR au Collège de Lévis.

La semaine dernière, il a eu l’occasion de parler de ses craintes au ministre de l’Éducation, qui était de passage dans son école. Bernard Drainville, dit-il, « a avoué » que la préparation des enseignants à ce cours n’était pas très avancée.

« Il m’a dit qu’il souhaite qu’on soit prêts pour septembre et qu’il veut bien le faire pour les enseignants », poursuit M. Pellerin-Poliquin.

Un report « idéal » de deux ans

L’Association québécoise en éthique et culture religieuse (AQECR) estime également que les enseignants sont loin d’être prêts à enseigner la nouvelle matière dès l’an prochain.

L’entrée en vigueur du nouveau cours Culture et citoyenneté québécoise devrait être repoussée « idéalement deux ans, au minimum d’un an », dit sa présidente, Line Dubé.

« Le programme officiel n’est même pas encore avalisé. Il est vraiment ambitieux », dit-elle.

Si c’est implanté en septembre prochain, on voit mal comment les enseignants vont avoir un certain niveau d’aisance et avaler une aussi grosse bouchée.

Line Dubé, présidente de l’Association québécoise en éthique et culture religieuse

Ce cours fait actuellement l’objet d’un projet pilote dans des écoles primaires et secondaires. Les profs « apprennent le programme en l’enseignant », dit Line Dubé. Ce n’est qu’à la fin de l’année scolaire qu’ils pourront « décanter de leur expérience ». Or, seuls deux mois séparent la fin du projet pilote de l’implantation du nouveau programme.

Un rapport commandé par Québec dans la foulée de la refonte du cours d’ECR démontrait que près de la moitié des profs du secondaire n’avaient pas eu de formation initiale en éthique et culture religieuse.

Parmi les difficultés rencontrées dans l’enseignement de ce cours, des profs du secondaire citaient le manque de temps pour bien enseigner, mais aussi un trop grand nombre d’élèves.