(Montréal) Les enfants pourraient certainement bénéficier d’une aide supplémentaire lorsqu’il s’agit de se brosser les dents, mais confier aux enseignants la tâche de superviser quotidiennement cette pratique n’est pas la bonne façon de procéder, selon des parents québécois.

Katherine Korakis, présidente de l’Association des comités de parents anglophones du Québec, a découvert cette semaine, comme de nombreux autres parents, l’existence du « Programme québécois de brossage supervisé des dents avec un dentifrice fluoré », à la garderie et à l’école primaire.

Le programme prévoit que les enseignants et les éducatrices en service de garde doivent s’assurer que les enfants se brossent les dents pendant deux minutes chaque jour. Les enseignants et les éducatrices doivent également s’assurer que les enfants se lavent les mains avant et après le brossage, et que les brosses n’entrent pas en contact les unes avec les autres. De plus, seuls deux enfants à la fois sont autorisés à utiliser le lavabo.

Le programme avait été annoncé en 2017 par le ministère de la Santé et des Services sociaux, mais son déploiement a ensuite été retardé à cause de la pandémie, et il commence maintenant à être mis en place.

« Je pense que c’est une bonne chose, je pense que c’est important. Je pense seulement que ce n’est pas la bonne façon de l’appliquer », a déclaré Mme Korakis. « Je pense que c’est en mettre beaucoup sur les épaules des enseignants, alors que nous avons une pénurie au Québec […] Il serait plus logique que des organismes communautaires ou des associations dentaires viennent donner des ateliers. »

Un résumé du programme québécois précise qu’il est basé sur plusieurs autres qui existent à travers le Canada et à l’étranger, tous avec de bons résultats, en particulier lorsqu’il s’agit d’enfants issus de communautés défavorisées.

D’ici 2025, le ministère de la Santé espère que le programme couvrira 80 % des enfants du primaire et 65 % des enfants en services de garde dans toute la province.

Les syndicats d’enseignants soutiennent aussi que leurs membres, déjà débordés, n’auront pas le temps de surveiller si les enfants se brossent bien les dents tous les jours à l’école, alors que l’on fait déjà face à des pénuries de main-d’œuvre.

Josée Scalabrini, présidente de la Fédération des syndicats de l’enseignement, qui représente 87 000 enseignantes et enseignants, estime qu’il s’agit d’un programme aux objectifs nobles, mais que son application est tout à fait irréaliste sur le terrain.

Elle soutient que les enseignantes ont déjà une charge de travail suffisamment lourde et que ce n’est pas le moment de leur confier la responsabilité de s’assurer que la bouche de leurs élèves est bien nettoyée.

« Commençons par résoudre le problème de la pénurie (d’enseignantes) et nous verrons ensuite qui peut remplacer la fée des dents. »

Mélanie Hubert, présidente de la Fédération autonome de l’enseignement, qui compte plus de 60 000 membres, estime que les exigences du programme sont complètement déconnectées de la réalité des écoles. Selon elle, il ne fait aucun doute que les enseignantes souhaitent que les élèves adoptent de saines habitudes de vie, notamment en se brossant les dents.

« Est-ce l’utilisation la plus optimale et la plus adéquate du temps et de l’expertise des enseignants, en particulier en période de pénurie de personnel ? », demande-t-elle.

Pour sa part, Mme Korakis rappelle que lorsqu’elle était à l’école, une dame — qui n’était pas l’enseignante — a aidé sa classe à apprendre à se brosser correctement les dents avec des mâchoires en plastique, une grande brosse et de la soie dentaire. Elle s’en souvient encore très bien aujourd’hui.

Elle reconnaît également que différents parents ont des réalités différentes et que tout le monde n’est pas en mesure d’imposer le brossage à la maison.

« Ce que j’ai appris, c’est que quand ça vient de quelqu’un d’autre (que des parents), les enfants ont tendance à écouter davantage », estime Mme Korakis. Elle croit elle aussi que cette tâche pourrait être confiée à des groupes communautaires, des associations dentaires ou même des représentants de l’industrie privée.

« Mais mettre cela sur le dos des enseignants, qui ont déjà tant de choses à faire, n’est absolument pas la bonne façon de procéder », dit-elle.

Dans un communiqué, le ministère de l’Éducation rappelle que le déploiement du programme implique chaque direction régionale de santé publique. Le ministère n’a pas de chiffre exact sur le nombre d’écoles impliquées.

« À noter que la mise en place de ce programme s’est faite graduellement, sur une base volontaire, depuis 2017, a écrit le porte-parole Bryan St-Louis dans un courriel. C’est aux écoles de choisir de participer ou non. »

Heidi Yetman, présidente de l’Association provinciale des enseignantes et des enseignants du Québec, a déclaré que son organisation n’avait pas été consultée au sujet du programme et avait commencé à entendre des rumeurs à ce sujet la semaine dernière.

« C’est une grande préoccupation étant donné que cela implique la charge de travail de nos membres, a déclaré Mme Yetman. Ça aurait été bien d’avoir été consulté sur quelque chose d’aussi gros, car c’est toute une responsabilité à confier aux enseignants. »

Mme Yetman a déclaré que les enseignants ont assumé de plus en plus de tâches pendant la pandémie de COVID-19, y compris l’application du masque et la désinfection. Elle dira à ses membres que l’hygiène dentaire ne fait pas partie des responsabilités d’un enseignant.

« Si vous consultez notre convention collective, vous verrez qu’il y a une liste de responsabilités — et le brossage des dents n’en fait pas partie. »