Quatre commotions cérébrales, une entorse lombaire, une entorse cervicale et une blessure à l’épaule. Jusqu’en 2019, Claudine Léveillé pratiquait un sport dangereux : technicienne en éducation spécialisée auprès d’élèves présentant de graves problèmes de comportement.

« Le médecin m’a mise en garde. Si j’avais une autre commotion cérébrale, ça pourrait être plus grave. »

Elle en a pris acte et cela a notamment motivé sa décision de se retirer du terrain et de faire du syndicalisme.

Rapports d’incidents violents

La Fédération des employées et employés de services publics (FEESP-CSN), qui représente des employés de soutien dans le secteur scolaire, nous a fait parvenir des rapports d’incidents et d’accidents de différents centres de services scolaires qui ont touché ses membres. Il s’agit notamment de techniciennes en éducation spécialisée, de techniciennes en service de garde, de surveillantes d’élèves, etc.

En vrac, quelques exemples relatifs au centre de services scolaire des Laurentides.

« L’élève me mord l’avant-bras gauche. » « L’élève était en crise dans le corridor et il m’a frappée avec ses deux poings dans le ventre. » « Il m’a lancé une chaise, il m’a poussée et finalement frappée à trois ou quatre reprises sur le bras droit. »

« Ma collègue et moi l’avons sorti de la classe en le tenant par les épaules et les pieds. […] Depuis cette intervention, ma main est enflée […] » « Je demande à l’élève d’attendre une minute. Elle se fâche et me donne un coup de poing à la nuque. Elle se positionne pour en donner d’autres. »

Un rien survient, puis ça dégénère souvent, comme l’illustre un autre rapport d’agressions, survenues celles-là au centre de services scolaire des Découvreurs, dans la région de Québec, contre des employés de soutien.

« Un élève s’est fâché parce qu’il n’était pas le premier dans le rang. Il m’a frappée avec ses pieds sur mes jambes. »

« L’élève X m’a donné un coup de tête dans le ventre lorsqu’elle était contrariée de ne pas pouvoir aller dans la petite cour. »

« Je suis dans le cadre de porte. Il se donne un élan et claque la porte sur moi. »

Les techniciennes en éducation spécialisée sont particulièrement exposées, puisqu’elles travaillent auprès d’enfants présentant des problèmes de comportement, explique Annie Charland, présidente du secteur scolaire à la Fédération des employés du secteur public.

L’importance de la prévention

Les choses pourraient-elles être autrement, vu la nature de leur travail ?

La clé, selon Mme Charland, c’est qu’elles aient plus de temps pour faire de la prévention. Actuellement, « elles ne peuvent qu’éteindre des feux » alors qu’il leur faudrait plutôt agir en amont « en enseignant les habiletés sociales, la gestion de colère, etc. »

Mme Charland note aussi que les problèmes surviennent souvent en fin de journée, quand les enfants sont fatigués, quand les effets de la médication de certains enfants se sont dissipés et quand ils se retrouvent trop nombreux au service de garde.

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Annie Charland, présidente du secteur scolaire à la Fédération des employés du secteur public

En raison du manque de personnel, les mêmes enfants qui sont suivis par des spécialistes pendant les heures de classe se retrouvent en fin de journée avec des éducatrices de service de garde qui, elles, se retrouvent seules avec des groupes de 20 ou 30 enfants, fait remarquer Mme Charland.

De fait, les pénuries sont telles, dans les services de garde, que certains de ceux qui implosaient ont demandé aux parents à la rentrée de désinscrire leurs enfants.

Les éducatrices aimeraient un environnement de travail plus calme, mais ces environnements bruyants « ont aussi des répercussions sur les enfants », relève Mme Charland.

Manque de personnel

Dans l’une des écoles spécialisées pour lesquelles La Presse a pu parcourir les rapports d’accident, les ratios sont déjà d’une enseignante et d’une technicienne en éducation spécialisée pour cinq enfants. Malgré cela, le travail est difficile, dangereux.

Les centres de services scolaires peuvent-ils vraiment réduire encore davantage les groupes ?

Claudine Léveillé admet que la réponse n’est pas simple non plus pour les centres de services scolaires. « Je ne nie pas qu’ils doivent souvent être coincés entre les besoins des élèves et les coûts », dit-elle.

Mais elle refuse de croire que la violence fasse à ce point partie du quotidien du personnel des écoles.

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Claudine Léveillé, ancienne technicienne en éducation spécialisée auprès d’élèves présentant de graves problèmes de comportement

« Je crois à la scolarisation des élèves, mais pas à tout prix », dit-elle, prônant un enseignement qui serait adapté à chacun et qui passerait peut-être par moins d’heures en classe pour certains.

Elle plaide surtout pour que tous ces enjeux cessent d’être pelletés dans la seule cour du système scolaire. Le secteur de la santé et des services sociaux devrait aider davantage à la prise en charge des enfants, estime-t-elle.

Entre le 1er septembre 2021 et le 31 janvier 2022 seulement, 16 cas d’agression ont fait l’objet d’un rapport d’accident au centre de services scolaire des Laurentides.

La FEESP-CSN a par ailleurs compté 227 agressions physiques d’élèves contre le personnel syndiqué ou cadre au centre de services scolaire des Samares, dans Lanaudière, entre septembre 2021 et juin 2022.

Mais aux quatre coins du Québec, la FEESP-CSN relève que ce n’est qu’une partie de la réalité. « Souvent, les employés ne remplissent pas les rapports, disant manquer de temps ou minimisant la gravité de ce qui est arrivé », explique Annie Charland.

Stéphanie Fournelle-Maurice, porte-parole du centre de services scolaire des Laurentides d’où a été tirée la première série d’exemples mentionnés dans l’article, souligne que ces cas ne sont pas nécessairement liés à la délinquance. « Dans la majorité des cas, ces actes sont commis par des élèves en situation de handicap ou en difficulté d’adaptation. » « Nous considérons que la pénurie de main-d’œuvre peut jouer un rôle important dans ces actes de violence », ajoute Mme Fournelle-Maurice.

Par courriel, le Centre de services scolaire des Découvreurs assure être conscient « des défis que pose l’accompagnement de ces élèves à besoins particuliers pour [son] personnel » et dit « être en mode solution afin d’assurer un environnement scolaire adéquat pour les élèves et le personnel de [ses] écoles spécialisées ».

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  • 35 000
    Nombre d’employés de soutien représentés par la Fédération des employées et employés de services publics (FEESP-CSN)
    Source : FEESP-CSN