L’inflation force davantage d’étudiants à se tourner vers les banques alimentaires, qui peinent à répondre à la demande

Droits de scolarité, manuels et fournitures scolaires : la rentrée est généralement une période coûteuse pour les étudiants.

Ajoutez l’inflation et une crise du logement abordable, et nombre d’entre eux sont forcés de resserrer leur budget déjà modeste.

« Je trouve ça très difficile de faire mon épicerie. J’achète presque rien », confie Marie-Laurence Therrien, assise dans l’herbe près du cégep du Vieux Montréal, où elle étudie.

« Tout coûte cher, tellement cher. Maintenant, il faut moins consommer. Il faut acheter l’essentiel », constate pour sa part Hassan Mohmmed, doctorant en sciences religieuses à l’Université du Québec à Montréal (UQAM).

Même en réduisant leurs dépenses au minimum, des étudiants doivent se tourner vers les banques alimentaires, qui sont submergées par la demande.

PHOTO DOMINICK GRAVEL, LA PRESSE

Des bénévoles trient les denrées au Bac alimentaire de l’UQAM.

À l’UQAM, le Bac alimentaire dépanne en moyenne 150 étudiants dans le besoin chaque semaine. En payant 10 $, les étudiants repartent avec une boîte de denrées d’une valeur de 100 $.

« Chaque fois que j’ouvre les réservations, en 24 à 48 heures, c’est épuisé », rapporte Manal Fares, coordonnatrice à la Sphère des services de l’Association des étudiants de l’École de gestion, qui gère le Bac.

Son équipe aimerait servir jusqu’à 400 étudiants chaque semaine, mais son principal fournisseur, Moisson Montréal, est aussi touché par l’inflation et la pénurie de main-d’œuvre. Conséquence : les denrées sont limitées.

« Je reçois plusieurs courriels d’étudiants qui n’arrivent pas à avoir un bac [alimentaire], même parfois des gens d’autres universités. On ne peut pas aider tout le monde », se désole Manal.

Plus de demandes dans les villes étudiantes

Avec la rentrée universitaire, les organismes constatent une hausse de la demande, remarque la porte-parole des Banques alimentaires du Québec, Claudia Gastonguay.

Puisque le budget pour se nourrir est souvent le plus compressible, c’est celui qui écope.

Claudia Gastonguay, porte-parole des Banques alimentaires du Québec

Après une baisse observée dans les dernières années (probablement attribuable à l’école à distance), le nombre d’étudiants inscrits chez Moisson Rimouski-Neigette a bondi de 50 % entre mars 2021 et mars 2022.

« C’est une hausse marquée. Je peux vous dire qu’il n’y a pas une semaine où je n’ai pas un étudiant qui arrive au bureau pour s’inscrire depuis le retour à l’université », constate sa directrice générale, Marie-Ève St-Pierre.

Cette année, l’Université du Québec à Chicoutimi a fait appel à Moisson Saguenay–Lac-Saint-Jean pour venir en aide aux étudiants.

Selon le directeur général de l’organisme, Yanick Soumis, entre 200 et 300 étudiants pourraient profiter de ce partenariat.

« C’est beaucoup de demandes en peu de temps, et c’est la première fois que nous avons ce genre de demande », soutient-il.

« Un immense stress financier »

Inflation ou pas, beaucoup d’étudiants vivent en situation de précarité financière, rappelle Maya Labrosse, présidente de la Fédération étudiante collégiale du Québec (FECQ).

Selon une enquête nationale menée par la FECQ en 2021, un étudiant locataire sur trois considère ne pas avoir assez d’argent pour subvenir à ses besoins.

« En 2022, ça doit être pire encore », craint Mme Labrosse, qui remarque un « immense stress financier » chez ses membres.

L’épicerie n’est pas la seule facture qui a augmenté. La hausse des loyers est aussi difficile à payer pour les étudiants qui n’ont pas le choix de travailler. Et parfois plus qu’ils le souhaiteraient.

« Je ne peux pas m’en sortir en bas de minimum 20 heures par semaine », confie Daphné Chartier, rencontrée à l’UQAM.

En plus de ses études à temps plein en arts visuels, la jeune femme travaille dans un bar et une épicerie. Pour arrondir les fins de mois, elle fait « des petits ménages sur le côté ».

Bonifier l’aide financière ?

En 2020-2021, un peu plus de 127 100 étudiants ont bénéficié de l’aide financière aux études, rapporte le ministère de l’Enseignement supérieur.

Pour l’instant, Québec n’observe pas une hausse des demandes en 2022. « Au contraire, nous voyons une baisse du nombre de demandes d’aide financière aux études », indique le porte-parole du ministère, Bryan St-Louis, sans préciser de quel ordre était la baisse.

Présentement, le gouvernement prévoit 1013 $ par mois pour se loger, se nourrir et se déplacer, pour un étudiant qui ne vit pas chez ses parents et qui a droit au maximum des prêts et bourses.

Mise en place pendant la pandémie pour donner de l’air aux étudiants, une bonification de 205 $ par mois a été prolongée jusqu’en 2023.

« Je doute que ça soit suffisant », estime toutefois Samy-Jane Tremblay, présidente de l’Union étudiante du Québec (UEQ).

Cet automne, l’UEQ mènera d’ailleurs une grande enquête sur le financement et l’endettement étudiant. « Ça va nous permettre de faire des recommandations au ministère appuyées par des chiffres », explique Mme Tremblay.

« On a besoin d’aide pour aider tout ce monde-là »

Les banques alimentaires du Québec peinent à répondre à la demande, qui a augmenté de moitié depuis la pandémie. Elles voient en plus leurs réserves de denrées diminuer, en raison de l’inflation.

PHOTO OLIVIER JEAN, ARCHIVES LA PRESSE

Des bénévoles préparant des boîtes de denrées à Moisson Montréal, en novembre 2020

La demande dans les banques alimentaires du Québec a augmenté de 50 % depuis le début de la pandémie, indique le dernier rapport annuel des Banques alimentaires du Québec. Chaque mois, ce sont plus de 600 000 personnes qui ont recours au réseau.

Dans la région de Québec, depuis les deux dernières années, le nombre de personnes qui ont été desservies par le dépannage alimentaire chaque mois par Moisson Québec a bondi de 35 000 à 68 000, note Élaine Côté, directrice générale de Moisson Québec. « On est complètement ailleurs, déplore-t-elle. On a besoin d’aide pour aider tout ce monde-là. »

En 2021, 12 % de la clientèle d’Entraide Agapè, qui offre des services d’aide alimentaire à Québec, avait un revenu d’emploi. Cette année, les travailleurs représentent 29 % de la clientèle, indique Geneviève Beaubien, responsable aux communications de l’organisme.

En raison de l’inflation, qui a atteint 7 % au mois d’août, les réserves de denrées des banques alimentaires sont en forte baisse. Le coût de la vie qui augmente affecte aussi les frais d’opérations des organismes, souligne Geneviève Beaubien.

Avant la pandémie, en plus des dons alimentaires, Moisson Québec achetait pour 200 000 $ de denrées par année pour subvenir à la demande. Aujourd’hui, l’organisme doit débourser quelque 1,2 million de dollars par année pour assurer l’offre, souligne Élaine Côté.

On récupère un peu moins de denrées et les demandes explosent.

Élaine Côté, directrice générale de Moisson Québec

Dans la région de Montréal, les denrées provenant des producteurs agricoles, des transformateurs et des épiceries se font de plus en plus rares, affirme Éliane Larouche, gestionnaire aux communications de Moisson Montréal. « On voit vraiment une différence, souligne-t-elle. En ce moment, nous avons de la difficulté à fournir à la demande. »

Même scénario en région

Le problème est le même, au-delà des grands centres urbains de la province. Moisson Estrie, limité dans son offre de denrées, fonctionne à seulement 60 % de sa capacité, indique le directeur général Christian Bibeau. Selon lui, la demande en dépannage alimentaire ne cesse de croître, comme les revenus n’augmentent pas aussi rapidement que les dépenses essentielles.

« Les gens qui étaient déjà en situation de précarité ou qui étaient déjà fragilisés sont aujourd’hui encore plus loin d’être capables de se sortir la tête de l’eau. Les besoins sont exacerbés », déplore Christian Bibeau.

Le Carrefour d’initiatives populaires de Rivière-du-Loup doit également dépenser davantage pour acheter des denrées, afin de répondre à la demande croissante et compenser la baisse des dons de produits alimentaires, souligne Karine Jean, directrice générale de l’organisme.

Elle remarque également une hausse importante de l’insécurité alimentaire chez les aînés.

Les coûts augmentent et les pensions n’augmentent pas. Il y a plusieurs contrecoups que les aînés ont à assumer.

Karine Jean, directrice générale du Carrefour d’initiatives populaires de Rivière-du-Loup

Selon Élaine Côté, il faut une augmentation de l’aide financière gouvernementale aux organismes. À l’heure actuelle, seulement 5 % des ressources financières de Moisson Québec proviennent du gouvernement provincial, ajoute-t-elle. « À court terme, on a besoin d’un financement d’urgence pour acheter des denrées. Demain matin, on doit livrer la marchandise. »

Les derniers de la chaîne alimentaire

Moisson Montréal, qui reçoit les surplus alimentaires de ses partenaires, remarque une baisse importante des denrées sèches non périssables, souligne Éliane Larouche.

En des temps plus difficiles, où les transformateurs et les producteurs ont de la difficulté à approvisionner les supermarchés, c’est certain qu’ils ne peuvent pas nous donner des surplus. Ils n’en ont pas.

Éliane Larouche, gestionnaire aux communications de Moisson Montréal

Comme les réserves des banques alimentaires reposent notamment sur les dons des partenaires, des changements comme la hausse du prix de l’essence compromettent les surplus alimentaires des entreprises, au risque de réduire la quantité des denrées dans les organismes, explique Geneviève Marchand, directrice adjointe de Moisson Mauricie – Centre-du-Québec.

L’inflation affecte particulièrement les banques alimentaires puisqu’elles se retrouvent au bout de la chaîne d’approvisionnement, après les producteurs et les consommateurs. Les difficultés d’accès aux matières premières et la hausse des coûts de production et du transport forcent les entreprises à minimiser le gaspillage, estime Élaine Côté.

« Les entreprises ne sont pas moins généreuses, elles sont plus performantes. Il y a moins d’erreurs, donc moins de surplus », ajoute-t-elle.

En savoir plus
  • 1140 $
    Loyer moyen d’un logement disponible à la location à Montréal en 2021
    Source : Communauté métropolitaine de Montréal
    1013 $
    Montant prévu par Québec par mois pour se loger, se nourrir et se déplacer, pour un étudiant qui ne vit pas chez ses parents et qui a droit au maximum des prêts et bourses.
    Source : gouvernement du Québec
  • 44,4 %
    Proportion des Moissons membres du réseau des Banques alimentaires du Québec qui ont dû diminuer la taille de leurs paniers destinés aux bénéficiaires dans la dernière année
    Source : rapport annuel 2021-2022 des Banques alimentaires du Québec