Choqué par les récents épisodes de violences sexuelles dans le réseau scolaire, le ministre de l’Éducation, Jean-François Roberge, assure que tout est mis en œuvre pour « défaire » la culture du silence entourant ce genre de crimes dans les écoles. Un véritable « changement de mentalités » est en cours, dit-il, mais il mettra encore du temps à s’opérer complètement.

Professeurs qui ne peuvent s’exprimer, élèves appelés à se taire : les personnes sondées par La Presse dans des cas de crimes sexuels en milieu scolaire, ces derniers mois, ont souvent confié ne pas pouvoir s’exprimer librement, voire être carrément appelés à ne pas le faire.

En entrevue, le ministre le reconnaît : « il y a cette perception » dans certains établissements qu’il faut se taire. « Mais on est en train de la défaire. Je ne suis pas quelqu’un qui empêche les gens de s’exprimer, au contraire. Il faut que la parole se libère. On a inscrit dans la loi pour la première fois la notion de signalement. Et on a indiqué spécifiquement que les personnes qui font des signalements sont à l’abri de toutes formes de représailles », dit-il, en référence à la loi 9 adoptée ce printemps.

Cette loi, qui crée un Protecteur national de l’élève, permet aussi de « sanctionner très clairement » une personne qui exercerait des représailles auprès d’un enseignant voulant soulever un problème. « C’est ce que je voulais depuis le début. Il y avait comme une espèce de culture qui était là depuis trop longtemps. Cela dit, ça prend un certain temps à changer, quand ça fait 20 ans que les gens vivent dans une culture où il ne faut pas trop parler, pas trop s’identifier », réitère M. Roberge.

« Pour améliorer le système, il faut absolument que les gens qui sont dans les classes, dans le réseau, puissent proposer des améliorations. […] On s’en va vers un empowerment de plus en plus grand par les gens qui sont sur le terrain », ajoute-t-il.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Le ministre de l’Éducation, Jean-François Roberge, en entrevue avec La Presse

« Ça me lève le cœur »

Deux dossiers de violences sexuelles en milieu scolaire ont particulièrement marqué l’actualité cette année. Le plus récent concerne le dépôt d’une vingtaine d’accusations contre un enseignant de 27 ans, Dominic Blanchette, pour divers crimes de nature sexuelle, causant une onde de choc à l’école Adélard-Desrosiers, dans Montréal-Nord.

Chaque fois qu’un cas sort, ça vient me chercher personnellement. J’ai enseigné 17 ans, alors je connais la vulnérabilité des jeunes. C’est tellement important de tisser une relation saine avec ces jeunes-là. Voir que certains l’utilisent de la pire manière, ça me lève le cœur.

Le ministre de l’Éducation, Jean-François Roberge

Le second a été révélé au grand public en février, à l’école Saint-Laurent, après que trois entraîneurs de basketball de l’établissement, Daniel Lacasse, Robert Luu et Charles-Xavier Boislard, eurent été accusés de crimes sexuels.

Mardi, un rapport d’enquête du ministère de l’Éducation a d’ailleurs conclu que la dignité de plusieurs athlètes avait été « compromise » durant leur passage à cette école. Le rapport note également un « niveau de confiance organisationnelle particulièrement faible » dans l’école. La Presse avait d’ailleurs rapporté qu’un climat « hyper nocif », marqué par les agressions verbales et l’intimidation, régnait au sein du programme de basketball féminin.

Le ministre Roberge s’est dit très satisfait du travail de la division des enquêtes dans le dossier. « Avoir été entendu va sans doute contribuer à rétablir la confiance et réparer cette équipe-école qui a besoin de se retrouver et de regarder vers l’avant avec plus de confiance », dit-il.

Il soutient qu’avec le projet de loi 9, les entraîneurs et les employés impliqués dans les activités parascolaires devront se conformer aux mêmes règles que les enseignants. « Que tu sois prof ou entraîneur de basket, l’encadrement est le même, et donc la protection pour les élèves est la même. Et ça, c’est tout nouveau », dit-il. Ces employés devront maintenant faire vérifier leurs antécédents judiciaires et suivre des formations. « Ils peuvent donc faire l’objet de plaintes et être sanctionnés », dit-il.

« Laisser vivre le changement »

Dans les prochains mois, le ministre appelle à « laisser vivre le changement » qu’entraînera selon lui le projet de loi 9. « Il faudra d’abord le mesurer. Et s’il faut aller plus loin, on va y aller. Je n’exclus rien », assure-t-il, envisageant par exemple de « resserrer certains boulons » au besoin, ou même de « faire une autre loi à côté ».

« Il faudra voir la nature des plaintes, le nombre de plaintes, la réponse des écoles privées et des centres de services scolaires. Est-ce que les parents et les élèves seront satisfaits ? Quand on aura ça, on verra », conclut-il, en rappelant que la nouvelle loi ne sera entièrement appliquée qu’en septembre 2023.