Une offensive de recrutement de Québec choque des enseignants démissionnaires... qui atteindraient des nombres « jamais vus »

Une campagne de publicité qui vise à recruter des enseignants pour la prochaine rentrée scolaire est jugée « insultante » par certains d’entre eux. « Répondez présent ! » au monde de l’enseignement, dit Québec. « Je réponds absent », rétorquent des profs qui ont remis leur démission.

Quand Alexandre Mercier a annoncé fin mai qu’il quittait l’enseignement, les commentaires élogieux ont plu sur sa page Facebook. « Les élèves perdent quelqu’un de précieux », a commenté une amie. « Le monde scolaire perd un très bon enseignant », a ajouté une autre.

À 30 ans, l’enseignant constate que le métier ne lui offre pas la conciliation travail-famille à laquelle il aspire. Comme il est famille d’accueil pour trois enfants, Alexandre Mercier a exprimé le souhait de travailler trois jours par semaine seulement, mais on le lui a refusé.

PHOTO FOURNIE PAR ALEXANDRE MERCIER

Alexandre Mercier quitte l’enseignement pour aller occuper un emploi qui lui offre une plus grande flexibilité.

Fin mai, Québec a lancé une campagne publicitaire diffusée à la radio, dans les journaux et sur les réseaux sociaux. Elle encourage les titulaires d’un baccalauréat « dans une discipline enseignée dans les écoles préscolaires, primaires, secondaires […] » à envisager une carrière en éducation dès la prochaine rentrée scolaire.

Le message a fait sourciller Alexandre Mercier. « Ils mentionnent qu’il y a une pénurie, qu’il faut s’investir pour les jeunes, mais quand on arrive sur le plancher, il manque de ressources, on nous dit non pour des projets, pour [aménager] l’horaire », énumère M. Mercier.

Il dit s’être senti comme un « bouche-trou » en voyant cette publicité. « J’ai un baccalauréat en éducation, donc j’ai ma place, mais il ne faut pas trop déroger au cadre », dit l’enseignant, qui a déjà trouvé un emploi dans un autre domaine. Il aura été dans les écoles pendant sept ans.

Des départs « comme jamais »

Après 18 ans dans les écoles, Hélène Legault en est à ses derniers jours avec des élèves du primaire. Une telle publicité, « c’est minimiser ce que c’est, l’enseignement », estime l’enseignante.

C’est comme si quiconque a un bac peut venir dans une classe et ça va fonctionner. [Les enseignants non qualifiés], ce sont des collègues qui pleurent à la fin de la journée.

Hélène Legault

Quand on leur offre du mentorat, il provient souvent de collègues… eux-mêmes débordés, observe Mme Legault.

La présidente de la Fédération des syndicats de l’enseignement abonde dans son sens. « Ce n’est pas tout de dire : vous avez un bac, venez nous aider. On a tous vu ça, des gens qui arrivent, qui n’ont aucune formation en pédagogie et qui au bout de quelques semaines disent : “Je n’en peux plus, je m’en vais” », dit Josée Scalabrini.

Des départs d’enseignants, il y en a « comme on n’en a jamais vu ». « Peut-on garder ceux qui sont déjà dans le système ? », demande Mme Scalabrini.

Il est difficile de chiffrer précisément le nombre d’enseignants qui quittent la profession chaque année. Les centres de services scolaires savent combien d’enseignants partent, mais ne peuvent dire s’ils ont simplement changé de territoire scolaire ou s’ils sont passés dans le réseau privé.

Une publicité diffusée dans le dernier mois de l’année scolaire pour l’année suivante sera-t-elle utile pour recruter de nouveaux candidats ? « Je peux en douter », dit Josée Scalabrini, qui souligne néanmoins qu’il faut que des gens « viennent aider » les enseignants aux prises avec la pénurie dans leurs rangs.

« J’ai fait mon deuil »

En arrêt de travail pour cause d’épuisement professionnel, l’orthopédagogue Mélissa Mundo ne sera pas de la prochaine rentrée non plus. Elle dit avoir vu les services aux élèves diminuer d’année en année, de nombreux enseignants prendre une retraite anticipée.

« En 2008, je voyais un ou deux élèves en orthopédagogie par classe ; maintenant, c’est le tiers de la classe, dit-elle. Tout le monde paye dans la classe. »

PHOTO FOURNIE PAR MÉLISSA MUNDO

« Je l’aime, ce travail-là », dit l’orthopédagogue Mélissa Mundo. Elle constate que beaucoup d’enseignants partent « le cœur brisé ».

Hélène Legault déplore elle aussi le manque de soutien dans les écoles : des techniciennes en éducation spécialisée débordées (« trois ou quatre pour 700 élèves »), des plans d’intervention qui se multiplient.

Sa décision de quitter l’enseignement est mûrement réfléchie. « J’ai fait mon deuil. Je suis soulagée d’avoir pris ma décision, de l’avoir dit à mon employeur », dit-elle.

Alexandre Mercier quitte lui aussi l’enseignement avec un « poids de moins sur les épaules », mais évoque néanmoins les quatre années passées sur les bancs de l’université.

« C’est ça, mon plus gros pincement au cœur : avoir mon diplôme au mur, puis lâcher, même si j’y ai investi du temps », dit-il.

Deux nouvelles maîtrises pour devenir enseignant

Les titulaires d’un baccalauréat auront accès l’automne prochain à deux nouvelles maîtrises permettant d’accéder au brevet d’enseignement, des formations destinées à des gens qui sont déjà embauchés dans des écoles en raison de la pénurie. L’Université TÉLUQ et l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue ont annoncé vendredi qu’elles permettraient dès l’automne prochain d’étudier à distance pour obtenir soit une maîtrise en éducation préscolaire et en enseignement au primaire, soit une maîtrise en enseignement au secondaire.

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    Nombre d’enseignants non légalement qualifiés en 2020-2021
    Source : ministère de l’Éducation