Ils accumulent les diplômes et vivent sous le seuil de la pauvreté. Parfois avec moins de 20 000 $ par année. Des étudiants aux cycles supérieurs, appuyés par d’éminents chercheurs, demandent un meilleur soutien financier des gouvernements.

« Dix-sept mille cinq cents dollars par an, ce n’est pas assez pour vivre. C’est impossible de ne pas tomber dans le négatif », dit Raphaël Bouchard, doctorant en biologie à l’Université Laval.

La valeur des bourses d’études supérieures du Canada, financées par le gouvernement fédéral, n’a pas augmenté depuis… 2003.

À la maîtrise, elles payent 17 500 $ par an. Au doctorat, 21 000 $ par an. Elles rapportent moins qu’un emploi à temps plein au salaire minimum, qui est de 14,25 $ l’heure depuis le 1er mai.

Résultat : des milliers d’étudiants sont condamnés à vivre près du seuil de la pauvreté, ou au-dessous.

« C’est l’une des plus grandes aberrations dans le financement de la recherche que j’ai vues », lâche Louis Bernatchez, professeur de biologie et chercheur à l’Université Laval.

Dans une lettre adressée à Ottawa, plus de 5500 étudiants et éminents chercheurs – dont deux lauréats de prix Nobel – réclament une hausse annuelle des bourses du Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada (CRSNG), pour qu’à l’avenir, elles soient indexées à l’inflation. Les signataires demandent aussi que le nombre de bourses postdoctorales décernées chaque année – 150 bourses en 2021 – soit augmenté.

Autrement, « certains des jeunes cerveaux les plus brillants du Canada [seront forcés] de vivre dans la pauvreté et de chercher des postes mieux financés à l’étranger », indique la lettre.

Il en va de même pour les boursiers des autres branches subventionnaires, soit le Conseil de recherche en sciences humaines et les Instituts de recherche en santé du Canada.

« Nous sommes conscient du fait que les étudiantes et étudiants sont aux prises avec des difficultés financières croissantes », a réagi le CRSNG par courriel.

L’organisme gouvernemental « entend » travailler avec les autres conseils et le milieu de la recherche pour « trouver des moyens d’améliorer le soutien apporté aux stagiaires », sans donner plus de détails.

Dans une réponse laconique, le ministre de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie, François-Philippe Champagne, a fait valoir le soutien « inébranlable » du gouvernement pour « tous les scientifiques et les chercheurs ».

« Ça n’arrivait pas pour payer l’hypothèque »

Raphaël Bouchard tient à le souligner : un doctorat, c’est du travail.

On est étiquetés comme étant des étudiants, mais dans les faits, on est vraiment des chercheurs. On travaille de 35 à 40 heures sur nos projets de recherche.

Raphaël Bouchard, doctorant en biologie à l’Université Laval

Il se compte parmi les chanceux. Il a remporté l’une des plus prestigieuses bourses du CRSNG. Et payante, en plus : 35 000 $ par an. Raphaël Bouchard peut tout de même compatir avec ses camarades précarisés, pour avoir lui-même vécu avec 17 500 $ par an pendant sa maîtrise. (Son salaire était financé par les Fonds de recherche du Québec, qui ne paient guère mieux que le programme fédéral.)

« Ce n’était pas suffisant pour payer le loyer, la nourriture, le transport ou juste des vêtements », se souvient-il.

Au postdoctorat, le combat se poursuit. Karine s’apprête à tirer un trait sur sa carrière en recherche en sciences humaines en refusant une bourse de 45 000 $ par an, sans aucun avantage social.

« Quand j’ai regardé les numéros sur la calculatrice, ça n’arrivait pas pour payer l’hypothèque », raconte la femme de 34 ans, qui a requis l’anonymat, car son directeur de recherche n’est pas au courant de sa décision.

Les chercheurs post-doctoraux n’ont pas 20 ans. Ils sont dans la trentaine, ils ont une famille, des responsabilités financières.

Karine, qui s’apprête à mettre fin à sa carrière en recherche

« Au final, le message qu’on envoie, c’est que la recherche n’en vaut pas la peine », poursuit-elle.

Un privilège

C’est encore un privilège de toucher une bourse. La majorité des étudiants doivent s’en passer.

À la maîtrise en neurosciences, Alice reçoit un salaire de 10 000 $ par an, versé par son directeur de recherche. Pour arrondir les fins de mois, elle travaille dans un restaurant.

« J’en suis à un point où j’hésite à poursuivre au doctorat. Après mes deux années de maîtrise, je suis complètement au bout du rouleau », confie la jeune femme, qui a demandé l’anonymat par crainte de représailles de son université.

« Le fait que les bourses [fédérales] pour les meilleurs soient à des niveaux aussi bas, ça n’envoie pas le bon signal de ce qui est acceptable ou pas », déplore Louis Bernatchez.

Pas d’étudiants, pas de sciences

« Sans étudiants gradués et sans postdoctorants dans les laboratoires des universités canadiennes, il ne se fait pas de sciences », souligne M. Bernatchez.

L’U15, un regroupement des universités de recherche canadiennes, milite depuis des années pour rehausser la valeur des bourses fédérales, mais aussi leur nombre. Pour répondre aux défis de demain, le Canada a besoin d’une relève scientifique forte et diversifiée, argue son porte-parole, Dylan Hanley.

« Il faut attirer les étudiants à poursuivre des études supérieures au Canada, et le fait de s’assurer qu’ils ne vivent pas dans la pauvreté en fait partie. »

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  • 25 935 $
    Rémunération annuelle pour un emploi à temps plein au salaire minimum, qui est de 14,25 $ l’heure
    Source : ministère des Finances DU QUÉBEC