« C’était un système complètement opaque. » D’anciennes joueuses, des parents et des employés de l’école secondaire Saint-Laurent veulent mettre un terme à la « culture du silence » qui a imprégné le programme de basketball féminin de l’établissement pendant de trop longues années, et qui, selon eux, perdure.

Grâce Ngoyi garde un goût amer de l’année où Daniel Lacasse a entraîné sa fille, en 2018-2019. Elle dit avoir fréquemment entendu des abus verbaux, des cris, des paroles dégradantes et des insultes de la part du coach lors des entraînements et des matchs, auxquels elle assistait religieusement.

Quand Mme Ngoyi tentait d’intervenir, elle se faisait rapidement remettre à sa place par M. Lacasse, qui lui répondait que les adolescentes étaient « capables d’en prendre », affirme-t-elle.

Rappelons que trois entraîneurs de basketball à l’école secondaire Saint-Laurent, Daniel Lacasse, Robert Luu et Charles-Xavier Boislard, font face à des accusations de crimes de nature sexuelle. Plusieurs sources ont confirmé à La Presse que Daniel Lacasse se serait également livré à d’autres comportements inacceptables.

En pleine crise, le centre de services scolaire Marguerite-Bourgeoys a mandaté une « firme externe » pour « faire la lumière » sur la nature du climat de travail à l’école secondaire Saint-Laurent. Québec, de son côté, entend mener sa propre enquête. « Élèves et personnel scolaire doivent se sentir en confiance et en sécurité dans nos écoles », a déclaré lundi soir le ministre de l’Éducation, Jean-François Roberge.

Mise en demeure

Pendant l’année où Daniel Lacasse a entraîné sa fille, Grâce Ngoyi se sentait prise au piège. « J’étais attachée, j’avais les menottes aux poignets. J’avais peur qu’il y ait des répercussions sur mes filles et leur carrière. » Elle avait une relation amour-haine avec l’entraîneur. « Il a quand même permis à ma fille de se rendre aux États-Unis », dit-elle.

Plusieurs mois après que la fille de Mme Ngoyi a quitté l’école Saint-Laurent, en 2018, M. Lacasse aurait commencé à propager des rumeurs à son sujet, affirme la mère. « Il disait des mensonges, des déformations de la réalité et de la diffamation », se remémore-t-elle.

En septembre 2020, Mme Ngoyi a envoyé une mise en demeure à Daniel Lacasse pour diffamation et atteinte à la réputation de sa fille. Elle a informé le directeur actuel de l’école, René Bernier.

Je me suis dit : si le directeur sait qu’un parent envoie une mise en demeure à ton coach, il me semble que ça fait brasser les choses.

Grâce Ngoyi, dont la fille a joué au basketball à l’école Saint-Laurent

Dans le courriel, que La Presse a pu consulter, Mme Ngoyi a informé M. Bernier que Daniel Lacasse avait tenu « des propos très désobligeants et non fondés » à l’égard de sa fille.

« Par le fait même, nous vous suggérons de vous attarder sur les pratiques et façons de faire de monsieur et son entourage, qui frôlent souvent l’inacceptable », avait-elle écrit au directeur.

À la suite de son courriel, M. Bernier l’aurait appelée et lui aurait dit avoir entièrement confiance en M. Lacasse. Il lui aurait néanmoins promis que la situation ne se reproduirait plus.

Après discussions avec la direction, Mme Ngoyi et son conjoint ont mis fin à leurs démarches, mais la situation était loin d’être réglée. La mère a continué de croiser M. Lacasse, puisque ses autres enfants jouaient au basketball avec d’autres écoles. Chaque fois qu’elle le rencontrait, il lui lançait des regards perçants, menaçants, dit-elle. « C’était tout le temps comme ça », ajoute-t-elle.

Elle déplore que la direction n’en ait pas fait davantage. « Je me demande pourquoi [M. Bernier] n’est pas allé plus loin », dit-elle.

Le centre de services scolaire a indiqué lundi qu’il allait examiner la situation. René Bernier n’a pas répondu à notre demande d’entrevue.

Une omerta « bien réelle »

Plus tôt cette semaine, plusieurs sources ont dénoncé à La Presse un climat « hyper nocif », marqué par des agressions verbales et de l’intimidation contre les joueuses, au sein du programme féminin de basketball de l’école secondaire Saint-Laurent, et ont dénoncé l’« omerta de la direction » dans le dossier. D’après deux autres employés de l’école Saint-Laurent, qui n’ont pas souhaité se nommer par crainte de représailles, l’omerta au sein de l’établissement est « bien réelle ».

Ici, c’est sous-entendu que si on parle, ils vont nous mettre dehors. C’est clair. Ils vont me suspendre ou ils vont m’intimider.

Une employée de l’école Saint-Laurent

En entrevue avec La Presse lundi, le directeur du centre de services scolaire Marguerite-Bourgeoys, Dominic Bertrand, qui a lui-même été directeur de l’école secondaire Saint-Laurent entre 2010 et 2012, a réitéré n’avoir jamais été témoin d’abus verbaux de la part de M. Lacasse.

« Selon les informations dont on dispose actuellement, il n’y a pas de plaintes rapportées aux membres de la direction. Les allégations sont contradictoires à ce qu’on a en ce moment », dit-il.

La Presse a révélé samedi que des employés de l’école secondaire Saint-Laurent avaient tenté de dénoncer, en vain, les abus verbaux et psychologiques de Daniel Lacasse, entraîneur de basketball accusé d’exploitation sexuelle jeudi.

Lisez l’article « “L’omerta de la direction” dénoncée »

« Je suis un peu surpris d’entendre ça, et on va faire la lumière sur les évènements, mais c’est inacceptable. La première chose qu’une direction d’école doit s’assurer dans son milieu, c’est la sécurité et le bien-être des élèves et des membres du personnel. Quand vous me dites que c’est difficile de parler, que les gens ne sont pas capables de s’exprimer librement, ça me préoccupe énormément, parce que ça va à l’encontre de nos valeurs », a indiqué M. Bertrand.

Il a également indiqué n’avoir jamais été informé des agissements de l’ancien directeur de l’école secondaire Patrice Brisebois, qui aurait intimidé une ancienne intervenante scolaire et professionnelle de la santé à l’école Saint-Laurent, comme rapporté samedi par La Presse.

Une autre source rapporte que les trois entraîneurs avaient beaucoup de pouvoir au sein de l’établissement. « C’était les trois gars ensemble. Tout le reste était mis à côté. On était un peu comme des pions », fustige cette source, qui travaille toujours à l’établissement aujourd’hui.

L’employé en question affirme être durement ébranlé par toute cette affaire, qui a engendré une onde de choc dans l’école et chez le personnel enseignant.

« Ça me fait vraiment mal. Et surtout, comme citoyen, ça me fait craindre que les gens perdent confiance dans le milieu sportif, dans les entraîneurs en général », soupire-t-il, disant espérer que des solutions rapides soient trouvées.

L’enfer

Shamiera Plunkett, qui a joué au basketball à l’école secondaire Saint-Laurent jusqu’en 2017, a quitté Montréal pour Toronto, afin de fuir l’« enfer » que lui faisait vivre Daniel Lacasse.

PHOTO FOURNIE PAR SHAMIERA PLUNKETT

Shamiera Plunkett a joué au basketball à l’école secondaire Saint-Laurent jusqu’en 2017.

« Je ne retournerai jamais à Montréal à cause de l’image que Daniel m’a donnée et de la façon dont les entraîneurs m’ont torturée », dit-elle d’emblée. M. Lacasse lui aurait notamment dit qu’elle était nulle, l’aurait rabaissée devant les autres joueuses et aurait propagé des rumeurs à son sujet à plusieurs reprises, raconte-t-elle.

Lors d’un gala sportif, un autre entraîneur, qui ne fait pas partie des accusés, lui aurait tapé les fesses en disant qu’elle avait un « gros bounda », affirme-t-elle par ailleurs.

La jeune femme, aujourd’hui âgée de 22 ans, ne se laissait pas faire. Elle avait du caractère. « Si mon coach me manquait de respect, je me défendais », dit-elle.

Daniel Lacasse l’aurait obligée à consulter la thérapeute de l’école avant l’entraînement et pendant les cours parce qu’elle avait selon lui un problème d’attitude, dit-elle. « Il pensait que j’avais un problème mental à cause de mon attitude. Je n’avais pas de problème mental ; je n’acceptais pas le manque de respect », dit-elle.

Après le départ de la joueuse de Montréal, en 2017, Daniel Lacasse aurait continué à faire de sa vie un « enfer ». « Il parlait aux joueuses et leur disait que je ne me rendrais nulle part dans la vie et que j’étais une finie », dit-elle.

Il aurait également propagé de fausses rumeurs à son sujet à ses nouveaux entraîneurs en Ontario. « Avant qu’ils ne me recrutent, des entraîneurs de Toronto m’ont demandé si j’avais un problème de consommation et ils m’ont demandé si j’étais sexuellement active, parce qu’ils avaient entendu d’un entraîneur de l’école Saint-Laurent que je l’étais », dit-elle.

Une autre joueuse ayant affronté les équipes de Daniel Lacasse entre 2007 et 2015 dans la ligue métropolitaine et scolaire dit n’être « pas du tout surprise » par les récentes révélations de La Presse. « Daniel Lacasse était réputé parce que ses joueuses étaient terrorisées par lui. Je me souviens quand je jouais contre lui. Nos coachs nous avertissaient tout le temps avant les parties que le ton allait monter rapidement. Il engueulait violemment ses joueuses et les dénigrait comme si elles n’étaient absolument rien », soutient-elle, non sans émotion.

La jeune femme dit avoir fait face pour la première fois à l’« agressivité » de M. Lacasse quand elle n’avait que 10 ans, lors de tournois d’été. « Ses joueuses étaient encore des enfants et elles se faisaient quand même dénigrer comme du poisson pourri. Il était extrêmement manipulateur. Les victimes qui ont parlé ont une force inhumaine », ajoute-t-elle.

La police invite toute victime ou tout témoin d’actes sexuels commis par les accusés à joindre sa Section des agressions sexuelles au 514 280-8502 ou à se rendre dans un poste de quartier.

Avec la collaboration d’Isabelle Ducas et de Daniel Renaud, La Presse