En une seule année, le nombre d’enseignants non qualifiés a fortement augmenté dans les écoles du Québec. Comparativement à l’an dernier, plusieurs centres de services scolaires de la province ont embauché le double, voire le triple de professeurs sans brevet, révèlent des chiffres obtenus par La Presse.

Nombreux sont les élèves qui ont devant eux des professeurs qui n’ont pas de formation en enseignement, mais qui ont obtenu une tolérance d’engagement délivrée par Québec. Si c’est le cas depuis un bon moment déjà, trouver des enseignants qualifiés a été encore plus laborieux cette année.

Fin avril, La Presse a demandé à tous les centres de services scolaires le nombre d’enseignants sans brevet auxquels ils ont fait appel jusqu’ici, information que n’a pu nous donner le ministère de l’Éducation. En vertu de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics, près d’une cinquantaine de centres nous ont répondu.

À quelques exceptions près, tous ont vu le nombre d’enseignants non qualifiés augmenter de manière substantielle.

Au Centre de services scolaire de Montréal, ils sont maintenant 515 profs à ne pas avoir de brevet d’enseignement, comparativement à 330 l’an dernier. Le Centre de services scolaire de la Capitale en a plus du double (38 contre 15 l’an dernier), tandis que celui de l’Énergie, en Mauricie, en a quatre fois plus que l’an dernier (18 contre 4 en 2019-2020).

Au Centre de services scolaire de la Rivière-du-Nord, dans les Laurentides, où le nombre d’enseignants non qualifiés est passé de 73 l’an dernier à 136 cette année, on explique que cette augmentation « est principalement associée aux exemptés de la COVID-19 ».

Trois facteurs sont en cause, estime plutôt Nicolas Prévost, président de la Fédération québécoise des directions d’établissement d’enseignement (FQDE). C’est vrai, les exemptions demandées par des enseignants en raison de la COVID-19 « n’ont pas aidé », mais la pénurie de profs était criante bien avant.

Ironie du sort, l’ajout de mesures pour aider les élèves dans le contexte pandémique accentue le manque d’enseignants détenteurs d’un brevet. « On est heureux d’ajouter ces services-là, mais ça ne fait pas plus de finissants dans le domaine de l’éducation ou en orthopédagogie », poursuit M. Prévost.

Pour la présidente de la Fédération des syndicats de l’enseignement (FSE), Josée Scalabrini, la pandémie n’est pas non plus la seule coupable. C’est plutôt le métier de prof qui est peu attrayant.

« Dans nos écoles, de plus en plus d’enseignants nous disent que ça n’a pas de bon sens, le nombre d’enseignants non qualifiés qui sont là. La profession enseignante n’a pas été valorisée dans les dernières années », dit Mme Scalabrini, qui cite le départ hâtif d’enseignants d’expérience et le désenchantement de jeunes profs nouvellement arrivés.

« Préoccupant », disent les comités de parents

Cette augmentation du nombre d’enseignants non légalement qualifiés inquiète Kévin Roy, président de la Fédération des comités de parents du Québec (FCPQ).

Beaucoup se demandent si les écoles prennent la première personne sur le coin de la rue. Je sais que les centres de services scolaires font leur possible, que ceux qui font des remplacements à plus long terme sont encadrés, mais en tant que parent, on s’attend ce que les enfants aient un enseignement donné par une personne qualifiée pour le faire.

Kévin Roy, président de la Fédération des comités de parents du Québec

Non, on n’embauche pas n’importe qui, dit le président de la FQDE. D’abord, des vérifications judiciaires des candidats sont faites. « Après, ça devient plus difficile », observe toutefois Nicolas Prévost.

Si on s’assure que les profs embauchés aient les « connaissances minimales de la matière », la manière de les transmettre, « l’aspect pédagogique », cause le plus de maux de tête aux directions. Qui plus est, « gérer 25 élèves, ce n’est pas donné à tout le monde », ajoute M. Prévost.

Comme la FSE, il ne croit pas que la pénurie se résorbera en même temps que la pandémie. « On va avoir besoin d’encore plus de monde pour donner des services aux élèves. Trouver des gens légalement qualifiés sera extrêmement ardu », prévoit Nicolas Prévost.

Il y a cinq ans, ils étaient moins d’un millier à enseigner dans les écoles du Québec sans la qualification requise. Cette année, ils auront été jusqu’à trois fois plus, selon les chiffres partiels obtenus par La Presse.

Avec William Leclerc, La Presse