Dès lundi prochain, les élèves de 3e, 4e et 5e secondaire seront de retour en personne à l’école à temps complet, même en zone rouge. Cette décision, « un risque qui en vaut la peine », selon le premier ministre François Legault, pourrait avoir des conséquences tangibles dans les écoles. Avec la présence des variants, il arrive ces jours-ci que des dizaines de membres du personnel d’une même école soient isolés d’un coup par la Santé publique, un véritable casse-tête pour les directions.

Professeure à l’École de santé publique de l’Université de Montréal, Roxane Borgès Da Silva dit qu’elle aurait encore patienté avant de ramener les élèves dans les écoles secondaires à temps complet.

« On le voit, il y a plusieurs éclosions dans les écoles. C’est aussi un milieu où on a de la difficulté à respecter les gestes barrières, comme les deux mètres entre les bureaux puisqu’on n’a pas la place dans les classes. Avec le variant britannique plus contagieux, j’aurais attendu un peu, mais c’est un équilibre difficile à trouver entre la santé mentale des jeunes et la santé physique », dit Mme Borgès Da Silva.

Le premier ministre a admis mardi qu’il a eu « des discussions très longues » sur le sujet.

Directeur de deux écoles primaires de Mont-Laurier, Christian Coursol a appris un vendredi qu’il était privé d’une vingtaine de membres de son personnel, soit près du tiers de son équipe. La cause : trois cas de COVID-19 qui touchaient des écoles de son secteur, dont un chez les élèves.

Le directeur n’a pas eu de chance : le groupe d’élèves où un cas s’était déclaré avait été en contact avec beaucoup de membres du personnel au cours des journées ayant précédé le résultat positif.

« Le titulaire de la classe, l’éducatrice spécialisée, l’orthopédagogue, le psychologue, le spécialiste de musique, d’anglais, d’éducation physique : d’office, tout ce monde-là est en isolement [pendant 14 jours] s’ils ont passé 60 minutes ou plus avec le groupe [qui doit être retiré] », explique M. Coursol.

C’est sans compter, ajoute-t-il, les chauffeurs d’autobus et parfois même des brigadiers qui accompagnent les élèves.

La présence des variants incite la Santé publique à adopter une « approche très agressive » pour les traquer, a précisé mardi le directeur national de santé publique, Horacio Arruda. En conséquence, ce ne sont pas seulement les élèves et le personnel concernés par la fermeture d’une classe qui sont isolés, mais aussi toute leur famille.

Dans un milieu « très serré », explique le directeur Christian Coursol, un effet « boule de neige » s’ensuit. La mère d’un élève dont le groupe est fermé est peut-être orthopédagogue dans une autre école. Un père, éducateur en service de garde. Les écoles sont également touchées.

« On manque encore plus de monde »

Le président de la Fédération québécoise des directions d’établissement, Nicolas Prévost, est à court de mots pour décrire la gestion qui doit se faire dans les écoles depuis quelques semaines. « Je ne sais plus quel terme utiliser », répète-t-il deux fois en entrevue.

« On peut aller jusqu’à 100 élèves isolés après une enquête [de la Santé publique]. On n’avait jamais vu un aussi grand nombre et ça touche beaucoup de membres du personnel. Ça nous cause de sérieux maux de tête », dit M Prévost.

En ces temps de pénurie de personnel, « on manque encore plus de monde », dit-il.

Oui, après un an de pandémie, les écoles secondaires ont l’habitude de faire l’enseignement à distance aux groupes confinés, mais quand on sort tous les surveillants ou les responsables d’activités parascolaires d’une école parce qu’ils ont été en contact avec un cas présumé, le problème est majeur si l’école reste ouverte.

« Comment peut-on avoir plein d’élèves si on n’a pas de monde pour s’en occuper ? », demande Éric Deguire, président de l’Association des directrices et directeurs généraux des établissements scolaires de l’enseignement privé.

Il a été rapporté à La Presse que dans certaines écoles, on demande au personnel de limiter les contacts entre eux pour réduire le nombre de personnes isolées si on soupçonne un variant. Ce n’est pas simple, dit M. Deguire.

PHOTO FOURNIE PAR LE COLLÈGE ST-JEAN-VIANNEY

Éric Deguire, président de l’Association des directrices et directeurs généraux des établissements scolaires de l’enseignement privé

Il y a plein d’écoles qui n’ont pas de salles individuelles. Les gens doivent manger et enlever leur masque pour le faire ! Un de mes collègues a perdu dix membres de son personnel d’un coup parce qu’ils avaient mangé ensemble.

Éric Deguire, président de l’Association des directrices et directeurs généraux des établissements scolaires de l’enseignement privé

Également directeur d’un collège privé, il considère qu’il a eu de la chance depuis la montée des variants : la COVID-19 laisse ses élèves tranquilles depuis les Fêtes.

Ceux qui dirigent des écoles ont beau comprendre la chasse aux variants, il reste que la « gestion interne » est complexe. Quand la COVID-19 entre dans une école, des orthopédagogues ou des éducateurs spécialisés qui ne sont pas en isolement deviennent pour quelques semaines des titulaires de classe. Des enseignants vont remplacer des éducateurs au service de garde.

« On sollicite tout le monde et on remplace du mieux qu’on peut », dit Christian Coursol, directeur des écoles primaires de Mont-Laurier. Certains sont « irremplaçables » : en pénurie, trouver un autre psychologue relève presque du miracle.

Dans un tel contexte, est-il inquiet pour les services que reçoivent les élèves ? « Oui, mais pas seulement à cause de la COVID-19. La pénurie de main-d’œuvre est plus criante, mais avant même la pandémie, on s’inquiétait », dit M. Coursol.