C’est l’histoire de jeunes de Montréal-Nord qui ont des rêves, mais plus beaucoup de souffle après huit mois de cours à distance un jour sur deux à l’école.

Ras le bol de la pandémie. Ras le bol de l’école virtuelle.

C’est l’histoire d’écoles en milieu défavorisé, essoufflées elles aussi, qui ont la volonté de soutenir leurs élèves et disposent des fonds pour le faire, mais manquent de bras pour recruter des tuteurs et de locaux où déployer leur aide.

C’est l’histoire d’une députée inquiète qui s’est dit qu’elle devait absolument faire quelque chose et s’est retrouvée devant un sacré défi…

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Thomas, 18 ans, participe à un projet qui lui permet de suivre ses cours à distance dans le local d’un organisme communautaire de Montréal-Nord en présence d’un tuteur.

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Tout a commencé avec une simple question, lancée un jour de janvier, alors que le ministre de l’Éducation venait d’annoncer un programme de tutorat pour les élèves en difficulté.

« Comment je peux vous aider ? »

Lorsque la députée libérale Paule Robitaille a posé la question aux directions d’école de sa circonscription, elle a été accueillie avec un brin de scepticisme.

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Paule Robitaille, députée de Bourassa-Sauvé

On retrouve dans Bourassa-Sauvé des écoles où le taux de défavorisation est parmi les plus élevés du Québec. Beaucoup d’élèves en arrachent pendant la pandémie. L’école à distance complique les choses. Aux obstacles que tous doivent affronter s’ajoutent ceux liés à la pauvreté.

Alors un coup de main, oui, bien sûr. Mais par où commencer ?

La dernière chose dont on avait besoin, c’est d’une séance de photos avec un politicien qui propose son aide avant de disparaître devant la complexité de la tâche.

Sur le terrain, les directions d’école, débordées, ne savaient plus où donner de la tête. On s’inquiétait particulièrement pour les élèves du deuxième cycle du secondaire, pour qui l’école virtuelle peut être une catastrophe. Ils sont déprimés, isolés. « À la maison, les distractions sont nombreuses. Il y a le Xbox, il y a le lit, il y a le frigo… », observe le directeur de l’école Calixa-Lavallée, Dominic Besner.

Pour ceux qui vivent dans un appartement exigu, la maison est loin d’être un lieu propice aux études.

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Younes El Rhafiki, directeur de l’école Henri-Bourassa

Une élève de quatrième secondaire a récemment frappé à la porte de Younes El Rhafiki, directeur de l’école Henri-Bourassa.

« Monsieur, pouvez-vous m’aider ? À la maison, on est cinq. Il y a trop de bruit. Je ne peux pas travailler ! »

Le plus inquiétant, ce n’est pas tant la baisse des notes que la baisse de motivation qui affecte même ceux qui n’étaient pas en difficulté avant la pandémie. « Ils ont beaucoup de résilience. Mais le fait d’être privés d’activités scolaires joue beaucoup sur leur moral. »

C’est donc à de l’aide ciblée pour soutenir ces élèves que les directeurs d’école ont d’abord pensé lorsque Paule Robitaille leur a demandé de quoi ils avaient besoin.

Et si, avec la collaboration des organismes communautaires du quartier, on trouvait des locaux où ces jeunes pourraient suivre leurs cours à distance tout en bénéficiant sur place du soutien de tuteurs ?

La députée s’est attelée à la tâche. Elle a réuni les gens de Montréal-Nord. Elle a organisé de multiples réunions sur Zoom. Elle a embauché un tuteur chevronné qui a su recruter d’autres tuteurs et coordonner leurs horaires. Deux mois plus tard, elle a fini par confondre les sceptiques.

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Le projet est en place depuis le 15 mars dans les locaux de quatre organismes de Montréal-Nord – Un itinéraire pour tous, Centre jeunesse-emploi Bourassa-Sauvé, Centre Jean-Paul-Lemay et l’Escale. Et en allant y faire un tour cette semaine, je me suis dit qu’il gagnerait à être offert à tous les élèves qui souffrent de déprime pandémique.

Avec l’aide des enseignants, on a identifié une soixantaine d’élèves de l’école Calixa-Lavallée et une cinquantaine d’autres de l’école Henri-Bourassa qui sont en grande difficulté. Des dizaines d’autres sont sur une liste d’attente.

Les jours où ils sont en classe virtuelle, les élèves, au lieu de rester à la maison, se rendent dans les locaux d’un organisme communautaire. Là, ils suivent leurs cours en ligne comme d’habitude, comme s’ils étaient chez eux, dans le respect des consignes sanitaires. On leur offre un lunch et des collations. Et s’ils ont besoin d’aide, un tuteur est sur place pour répondre à leurs questions.

Les élèves choisis sont obligés d’y être. « Mais ce n’est pas une punition. C’est une aide. Parce que vos profs croient en vous. On croit en vous. Tout Montréal-Nord s’est mobilisé et on veut vous aider », leur a dit M. Besner en leur présentant le projet.

Vanessa, 17 ans, qui travaille fort pour décrocher son diplôme et poursuivre ses études en design, n’était pas très excitée au départ d’être choisie pour participer au projet. Mais elle a vite changé d’avis.

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Vanessa, 17 ans, travaille fort pour décrocher son diplôme et poursuivre ses études en design.

J’avais du mal à me concentrer à la maison. Et je dois le dire : quand je suis ici, je me sens mieux. Si l’école pouvait ressembler à ça, on serait tous en réussite.

Vanessa, 17 ans

Thomas, 18 ans, qui doit ramer deux fois plus fort les jours de cours en ligne pour surmonter son trouble de l’attention, y trouve le soutien nécessaire pour ne pas se décourager : « Ça m’enlève beaucoup de stress. Je me sens chanceux de pouvoir être ici. »

Monica, 16 ans, qui rêve de devenir professeure d’éducation physique ou infirmière auxiliaire : « Au début, je n’étais pas contente d’être obligée de venir ici. Mais je dois dire que ça m’aide vraiment à me concentrer sur mon travail. Parce que l’école en ligne, c’est assez décourageant. Moi, j’ai besoin d’être en présentiel. »

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Le directeur de l’école Calixa-Lavallée, qui ne croyait pas que le projet allait se concrétiser, est vraiment heureux de s’être trompé.

« Ça fait cinq ans que je suis à Montréal-Nord. Il existe de très belles initiatives. Mais je n’avais pas vu encore une aussi belle collaboration entre les organismes de Montréal-Nord qui ont vraiment voulu répondre présents et aider les jeunes. Je dois donner à Mme Robitaille ce qui lui revient. Sans elle, je ne pense pas que l’on y serait arrivés. »

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Dominic Besner, directeur de l’école Calixa-Lavallée

Ousseynou Ndiaye, directeur de l’organisme Un itinéraire pour tous, qui travaillait d’arrache-pied depuis longtemps à des projets de persévérance scolaire, devient émotif quand il en parle. « C’est toute une fierté, vraiment, d’en arriver à cette belle collaboration. »

Même si ç’a été plus compliqué qu’elle ne l’imaginait, la députée est heureuse d’avoir réussi à orchestrer le tout.

« Ça me tenait vraiment à cœur que nos élèves aient le suivi qu’il faut et qu’ils puissent être ici. Parce que je voyais une catastrophe annoncée… Souvent, à l’Assemblée nationale et partout ailleurs, on ne parle pas assez des plus défavorisés. De ceux qui tombent entre les mailles du système. »

Pour Vanessa et plusieurs autres, ce projet permet d’entrevoir un peu de lumière au bout d’une année scolaire éprouvante.

« Il n’y a pas que les adultes qui souffrent de la pandémie. Les ados souffrent aussi. On a perdu ce que l’on avait pour nous motiver. On a vu nos bals annulés. C’était notre récompense… Alors, voir que des gens pensent à nous, ça fait chaud au cœur. J’aimerais vraiment les remercier. »

Grâce à eux, ceux qui tombent se relèveront.