Québec a appelé mardi les cégeps et universités à ramener des étudiants sur les campus afin qu’ils puissent y aller au moins « une fois par semaine ». Il s’agit d’un « objectif », a précisé le premier ministre François Legault, en rappelant que les cégeps et universités sont des entités autonomes et que cela se ferait d’abord sur une base volontaire. Partout dans la province, les sessions sont bien entamées et force est de constater qu’ils ne sont encore qu’une poignée d’étudiants à se rendre sur les campus. La Presse est allée à la rencontre de certains d’entre eux à l’Université de Montréal.

Oui, ils sont bien « en mou » à la maison, se réjouissent de payer « moins de gaz » et de ne pas s’entasser dans les transports en commun, mais les étudiants rencontrés dans un cours de zooarchéologie la semaine dernière se disaient heureux d’être à l’université en personne, y fussent-ils avec un masque et une visière, assis à deux mètres les uns des autres.

« Ça fait du bien de voir des gens et de manipuler des os ! On ne peut pas apprendre ça sur Zoom, on manquerait de la matière », dit Anne-Julie Robitaille, finissante au baccalauréat en anthropologie. Elle s’est inscrite à ce cours quand elle a appris qu’il y aurait de la présence en classe.

Les cicatrices du tout à distance sont vives, et il suffit d’évoquer le fameux mois de mars 2020 pour que les discussions surgissent. Sabrina Paquet rappelle à quel point d’autres étudiants et elle ont bûché fort pour créer le club de taille de pierre. « On venait de commencer et la pandémie est arrivée, juste avant la semaine d’archéologie », dit en soupirant l’étudiante.

La chargée de cours Claire Saint-Germain a elle aussi gardé des souvenirs difficiles de ses deux dernières sessions à distance.

« J’ai trouvé ça excessivement laborieux. C’est désincarné », dit la chargée de cours, installée devant une table où sont posées des mâchoires d’animaux. Les apprentissages en ont pâti. « Par les travaux que j’ai reçus, j’ai vu qu’il y a des parties importantes qui n’avaient pas été comprises. Ils ne pouvaient pas manipuler les os », explique Mme Saint-Germain.

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Claire Saint-Germain, chargée de cours à l’Université de Montréal

En appartement avec trois colocataires et seul à être aux études, Sébastien Talbot explique qu’il trouve difficile de se concentrer quand les autres sont « dans le salon, en train d’avoir du fun ». Comme ses collègues de classe, il se réjouissait d’avoir enfin de « vraies » discussions autour de son domaine d’études.

La présence en classe vient bien entendu avec des contraintes sanitaires.

« C’est plus compliqué », dit Claire Saint-Germain, qui est aussi coordonnatrice des laboratoires d’ostéologie. « Dans mon cours, les étudiants font des identifications avec des centaines de petits os fragiles, ils ne peuvent pas travailler avec des gants, parce que c’est dangereux de les briser », explique Mme Saint-Germain.

Les étudiants doivent donc se désinfecter les mains régulièrement et tous les squelettes manipulés sont ensuite mis « en quarantaine dans le labo ». « C’est la manière que j’ai trouvée », dit Claire Saint-Germain.

Comme une nouvelle consigne sanitaire n’est jamais bien loin, le département a entrepris de numériser en 3D certains de ses ossements au cas où les laboratoires devaient à nouveau se faire à distance, tout en croisant les doigts pour que ça ne se reproduise pas. Des laboratoires que l’on fait de chez soi avec des modélisations sur un ordinateur ? Les étudiants qui l’ont fait récemment conviennent que « c’était horrible ».

Une remise des diplômes retardée de deux mois

La clinique d’optométrie de l’Université de Montréal a été la première à rouvrir après le confinement du printemps dernier. On est pourtant loin d’un retour à la normale, les activités roulent au ralenti et, en conséquence, des étudiants devront patienter quelques mois de plus avant de recevoir leur diplôme.

Les dernières années de cette formation de cinq ans menant au doctorat sont en majeure partie consacrées à la pratique. Or, la clinique d’optométrie, où des étudiants reçoivent des patients sous la supervision de cliniciens, roule au ralenti depuis sa réouverture en juin.

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La clinique d’optométrie de l’Université de Montréal a été la première à rouvrir après le confinement du printemps dernier.

« Ç’a créé un retard assez important pour nos étudiants qui doivent finir en avril. Ils n’ont vu aucun patient pendant un mois et demi, alors qu’ils en voient en moyenne 70 par semaine. C’est de l’expérience et de l’expertise qu’ils n’ont pas », explique le DLangis Michaud, directeur de l’École d’optométrie de l’Université de Montréal.

Les heures de clinique ont été allongées, mais le retard ne pourra être ainsi rattrapé et les finissants de cette année obtiendront leur diplôme deux mois plus tard. « Je n’ai pas le choix. Je dois certifier que le diplôme vaut quelque chose », explique le DMichaud.

Dans la clinique où des patients attendent d’être vus, trois finissantes du doctorat en optométrie s’inquiétaient du retard pris dans leurs études. « On est vraiment en retard par rapport aux autres années, donc on se demande si on va [terminer nos études] avec toutes les connaissances requises », dit Laurence Landry.

L’apprentissage d’une profession tout en intégrant des mesures sanitaires comporte aussi son lot de défis, notent les étudiantes, qui ajoutent que malgré tout, le fait de voir des patients devient presque, en temps de pandémie, une activité sociale en soi. « On fait de l’optométrie, mais ça fait du bien de socialiser avec les patients », dit Éloïse Lambert.

Pour le coordonnateur de la clinique, c’est aussi une gestion de tous les jours, notamment en raison des absences. « Des fois, le conjoint d’un clinicien a un symptôme ou des étudiants sont en contact avec une personne qui a subi un test de dépistage. Ils restent à la maison. On ne prend pas de risque, on ne veut pas devenir un lieu d’éclosion », explique le DKevin Messier.

La pandémie n’a pas freiné l’afflux de patients et les services externes offerts par les étudiants, comme les examens auprès d’élèves du primaire ou de sans-abri, sont toujours requis. « C’est essentiel de les maintenir », estime le DLangis Michaud.

Qu’en est-il actuellement ?

À part quelques exceptions, les cégeps et universités de la province ont lancé cet hiver le même mot d’ordre que la session précédente : tout ce qui peut se faire à distance, doit se faire à distance. Dans la plupart des établissements, seules les formations pratiques, comme des laboratoires, se font en présence, en respectant des règles sanitaires strictes, notamment la distanciation physique, le port du masque médical et d’une visière. En point de presse mardi, le directeur de santé publique Horacio Arruda a mis en garde les étudiants des cégeps et universités. « Ça ne sera pas le cégep d’avant la COVID-19. Ce sera le cégep avec des mesures mises en place », a dit le Dr Horacio Arruda. La ministre de l’Enseignement supérieur, Danielle McCann, doit apporter des précisions sur cette annonce plus tard cette semaine.