La noyade du jeune Blessing Claudevy Moukoko pendant un cours d’éducation physique à Montréal, en 2018, a créé une onde de choc. Les cours de natation dans les écoles étaient déjà loin d’être généralisés, et maintenant, des enseignants qui allaient à la piscine avec leurs élèves déplorent de ne plus pouvoir le faire.

Jean-François Lacroix est professeur d’éducation physique dans une école secondaire de Montréal. Il prévoyait aller à la piscine avec un de ses groupes cette année, mais même si un sauveteur est présent, ça lui est interdit parce qu’il n’a pas la certification en milieu aquatique requise pour les profs d’éducation physique.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Jean-François Lacroix, professeur d’éducation physique dans une école secondaire de Montréal

Ce cours à la piscine était apprécié des élèves, rappelle-t-il. « Il y a des élèves qui ne sont jamais allés à la piscine, d’autres qui longent les murs. Il faut leur montrer à s’asseoir tranquillement sur un banc, puis à se mettre les pieds dans l’eau », observe M. Lacroix.

Le centre de services scolaire de Montréal (CSSDM) indique que si un enseignant en éducation physique n’a pas terminé sa certification en milieu aquatique, deux sauveteurs – plutôt qu’un seul – doivent être présents.

« S’il n’y a pas d’enseignant qualifié, il n’y a pas de cours en piscine, c’est la directive actuelle », confirme Alain Perron, porte-parole du CSSDM.

Or, certaines écoles ne paient pas le deuxième sauveteur. Des enseignants que connaît Jean-François Lacroix ont été plus rusés que lui, dit-il. Ils ont trouvé le financement eux-mêmes pour payer le sauveteur supplémentaire pour pouvoir aller à la piscine avec leurs élèves.

Enseignant et sauveteur, deux tâches distinctes

En 2018, Blessing Claudevy Moukoko, 14 ans, a été trouvé au fond de la piscine de l’école Père-Marquette, où il s’était rendu avec son groupe pour suivre un cours de natation dans le cadre de son cours d’éducation physique.


PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

Funérailles du jeune Blessing Claudevy Moukoko, en mars 2018

Dans son rapport déposé neuf mois plus tard, le coroner Louis Normandin a noté que lors du drame, le professeur d’éducation physique remplaçant n’avait pas terminé la formation de natation de 90 heures demandée dans le cadre de son baccalauréat. Dans le cas où le cours est sous la responsabilité du professeur d’éducation physique, celui-ci devrait avoir complété cette formation, recommande-t-il.

« Ce ne sont pas tous les enseignants qui ont la certification en milieu aquatique », observe Carl Chartier, président de la Fédération des éducateurs et éducatrices physiques enseignants du Québec (FEEPEQ), sans toutefois pouvoir chiffrer combien l’ont. Certains enseignants expérimentés ont terminé cette formation il y a des années.

Le coroner conseillait également que le cours de natation soit « sous la supervision constante et simultanée d’un enseignant [qui donne le cours] et d’un sauveteur/surveillant [qui n’a d’autre tâche que de surveiller] ».

Les enseignants qui déplorent de ne plus pouvoir aller à la piscine reconnaissent, justement, qu’ils n’ont pas le temps de jouer le rôle de sauveteur. « Des fois, il faut aller au vestiaire pour gérer des élèves qui se cachent », illustre un enseignant d’éducation physique qui refuse qu’on le nomme par crainte de subir des représailles de son employeur.

La mort de Blessing Claudevy Moukoko a peut-être rendu des directions d’école « plus frileuses », observe Carl Chartier.

Je ne pense pas que ce soit la bonne chose de priver les élèves : il faut mettre en place le contexte pour que le plus de jeunes aient accès à une expérience positive.

Carl Chartier, président de la Fédération des éducateurs et éducatrices physiques enseignants du Québec

À la Société de sauvetage, on croit qu’il faut mettre en place des règles d’encadrement sécuritaire pour « éviter un drame tel que celui qu’on a connu à Père-Marquette ».

Le ministère de l’Éducation dit qu’il n’exclut pas de « modifier la forme actuelle du programme Nager pour survivre ».

La Société de sauvetage souhaite pour sa part que le programme Nager pour survivre se donne dans toutes les écoles primaires et qu’on le voie comme une sortie scolaire.

« Au lieu d’aller à La Ronde, l’élève devrait faire Nager pour survivre avant le printemps. C’est tout à fait faisable », dit M. Hawkins. La pandémie a freiné le déploiement du programme, mais n’eût été celle-ci, 20 000 élèves du Québec auraient pu faire la formation en 2019-2020.

La « machine repart » pour 2021-2022, note M. Hawkins. La majorité des formations pourraient avoir lieu au printemps.

Qu’est-ce que le programme Nager pour survivre ?

Le programme Nager pour survivre comporte trois leçons en classe sur la sécurité aquatique et trois leçons en piscine. Les enfants apprennent à entrer en eau profonde par roulade, à nager sur place pendant une minute et à nager sur une distance de 50 m.

Une piscine dans un camion

IMAGE TIRÉE DU SITE D’AQWA ITINERIS

La piscine mobile d’Aqwa Itineris est installée dans un camion semi-remorque.

Apporter la piscine aux enfants ? C’est l’idée originale de l’association européenne Aqwa Itineris, qui sillonne depuis plus de deux ans les routes de la Suisse et de la France avec une piscine mobile installée dans un camion semi-remorque. Le bassin de huit mètres sur deux mètres est équipé d’un fond mobile pour faciliter l’apprentissage des jeunes. Cette piscine s’installe souvent dans les régions rurales, où l’accès à des cours de natation est parfois complexe.