Professeurs, diplômés ou employés de l’Université d’Ottawa, ils sont 73 à lancer un réel « cri du cœur » en défense de la liberté universitaire, dans une lettre ouverte obtenue en exclusivité par La Presse. Les signataires réclament des excuses formelles de la part du recteur de l’université, Jacques Frémont, à la professeure Verushka Lieutenant-Duval.

« C’est comme un cri du cœur d’une communauté envers sa haute direction pour que les choses avancent », affirme François Chapleau, professeur émérite au département de biologie de l’Université d’Ottawa, en entrevue avec La Presse.

Mme Lieutenant-Duval avait été suspendue de l’Université d’Ottawa en automne 2020 pour avoir employé le « mot commençant par un N » dans le cadre d’un cours portant sur la réappropriation des insultes par certaines communautés.

« Depuis ce temps-là, on sait bien ce qui s’est passé dans la salle de classe, et on ne comprend pas l’entêtement du recteur à ne pas utiliser cette possibilité-là qui s’offre à lui » de s’excuser, explique François Chapleau.

Lisez la lettre « Le temps de la réconciliation »

Les excuses sont « un pas important à faire », estime pour sa part Marc-François Bernier, professeur au département de communication de l’Université d’Ottawa, et signataire de la lettre. « On pense que c’est important de dénoncer une injustice », poursuit-il.

Si le recteur ne reconnaît pas son erreur auprès de la professeure, « il va toujours y avoir cette espèce de fantôme qui va hanter » le corps professoral, croit François Chapleau. « Tout le cadre d’enseignement a été un peu ébranlé par le fait que la haute administration de l’université ne semble pas offrir un appui à la liberté académique », indique-t-il.

L’application immédiate de certaines recommandations du rapport Bastarache sur la « liberté académique », rendu public le 4 novembre dernier, est aussi réclamée par les professionnels ayant signé la lettre ouverte.

L’Université d’Ottawa souhaite d’abord consulter le Sénat de l’Université, à partir du 22 novembre prochain, avant d’entreprendre de nouvelles démarches.

Rétablir un climat de confiance

Le rapport Bastarache s’oppose notamment à « l’exclusion de termes, d’ouvrages ou d’idées dans le contexte d’une présentation ou d’une discussion respectueuse de nature universitaire et dans un but pédagogique et de diffusion des savoirs ».

Le document recommande également que les définitions de « liberté académique » et de « liberté d’expression » soient « communiquées à l’ensemble de la communauté universitaire », afin d’assurer leur bonne compréhension.

Le rapport Bastarache dévoile des récits de professeurs qui disent avoir « peur » de s’exprimer lorsqu’ils enseignent, et qui s’autocensurent.

« Dans un cours, puis-je ne pas parler de la présence autochtone dans les grandes villes du Canada ? Ou des enjeux raciaux aux États-Unis ? Certainement pas. Comment puis-je le faire en étant à 100 % sûre qu’aucune de mes paroles ne sera prise comme “trop ceci” ou “pas assez cela”, et envoyée hors contexte dans la twittosphère ? », peut-on lire dans le témoignage d’une professeure.

« Ce que je veux dire en signant cette lettre, c’est que les excuses envers Verushka Lieutenant-Duval me semblent absolument essentielles pour rétablir un climat de confiance », souligne Maxime Prévost, professeur titulaire au département de français de l’Université d’Ottawa.