Québec a payé des millions et livré des centaines de systèmes de vidéoconférence dans les écoles de la province pour faire de l’enseignement à distance. Or, la plupart des élèves sont maintenant en classe à temps plein, si bien que des écoles ne savent que faire de ces équipements et que certains syndicats recommandent de ne pas les utiliser.

En septembre, bien des enseignants ont eu la surprise de voir apparaître dans leur classe un système intégré de visioconférence appelé Poly X50, une barre de son à laquelle s’ajoutent des micros, une caméra et un moniteur de 22 pouces.

PHOTO TIRÉE DU SITE DU FABRICANT

Le Poly X50

Au départ, en février dernier, Québec a fait un projet-pilote d’enseignement à distance dans une centaine de classes. Il s’agissait du prélude à un « déploiement à grande échelle » pour la rentrée scolaire 2021. À ce moment, la province amorçait à peine sa campagne de vaccination massive contre la COVID-19 et nul ne savait comment se déroulerait l’année scolaire suivante.

Un contrat gré à gré de 499 000 $ pour ce projet-pilote a d’abord été conclu avec l’entreprise AVI-SPL, dont le siège social est en Floride. Par la suite, l’entreprise a remporté deux autres appels d’offres de Québec totalisant 25 millions de dollars.

Depuis, il « pleut » de ces systèmes dans les écoles, dit un enseignant d’un petit établissement de la Rive-Sud de Montréal, qui raconte que, ne sachant trop quoi en faire, sa direction a consulté les profs pour tenter de trouver une utilité à ces appareils.

Dans la couronne nord de Montréal, un autre enseignant s’indigne que ces systèmes « dorment dans les boîtes ».

Interrogé depuis lundi pour savoir combien de ces systèmes avaient été distribués dans les écoles et combien l’opération avait coûté par classe, le ministère de l’Éducation n’avait pas fourni de réponse à La Presse mercredi soir. Le directeur général d’AVI-SPL au Québec n’a pas voulu le dire. Sur le site Amazon, un « kit » Poly X50 se détaille 3800 $.

Des besoins informatiques « plus urgents »

Le centre de services scolaire de la Rivière-du-Nord indique qu’il a reçu 378 de ces systèmes, tandis que dans la région de Granby, le centre de services scolaire Val-des-Cerfs (CSSVDC) a reçu depuis mars dernier 257 appareils Poly X50.

« Le scénario qui a motivé les achats ne s’est heureusement pas concrétisé », lit-on sur le site du CSSVDC. « Nous ne prévoyons donc pas d’utilisations importantes au cours des prochains mois dans nos classes malgré la grande quantité de barres livrées », poursuit-on.

Il est expliqué qu’il faudrait l’investissement de « sommes importantes » pour installer ces appareils et qu’en conséquence, d’autres achats numériques seront cette année mis en priorité pour des « besoins incomparablement plus urgents ».

Des documents que La Presse a consultés montrent que pendant le projet-pilote, certaines classes de la province n’avaient pas suffisamment de prises de courant pour brancher ces appareils de visioconférence.

Même branchés, à quoi serviront ces appareils maintenant que les élèves sont en classe à temps plein ? Audrey Lebœuf, porte-parole du CSSVDC, rappelle que dans la livraison de ces systèmes, les centres de services sont des exécutants.

Le centre de services scolaire de la Beauce-Etchemin, qui en a pour l’instant dans 70 classes, explique que « ces installations permettront l’enseignement comodal, mais aussi d’autres activités admissibles », sans préciser lesquelles.

Le directeur général d’AVI-SPL au Québec dit que « même hors pandémie, il y a plein d’avantages » à l’installation de ces systèmes. Des écoles de différentes régions ou même différents pays peuvent ainsi collaborer, illustre Benoit Lavictoire.

Quels résultats pour le projet-pilote ?

Le projet-pilote mené le printemps dernier a-t-il fait l’objet de rapports ? Ni le ministère de l’Éducation ni les centres de services contactés n’ont répondu à cette question. Une enseignante de la région de Montréal qui y a participé affirme que cette technologie n’a pas su convaincre la petite équipe qui a eu l’occasion de la tester pendant quelques mois.

Comparativement à l’utilisation simple d’un logiciel comme Teams sur un ordinateur, le Poly X50 était « trop de trouble pour rien », estime-t-elle.

Nos recommandations [à la suite du projet-pilote] n’ont pas été prises en compte. Quand on est arrivés au mois de septembre, cet équipement avait été installé partout. On était découragés, on aurait pu s'arranger avec les quelques stations mobiles qu’on avait déjà.

Une enseignante qui a participé au projet-pilote

Au Syndicat de l’enseignement de la Haute-Yamaska, on relate que « tout le monde s’entend » pour dire aux profs de ne « pas toucher à ça » et que le gouvernement a fait fi des doléances syndicales au moment d’installer ces appareils.

« On a la crainte qu’on revienne sur un principe de comodal, soit un enseignement qui va se faire autant à l’école qu’à la maison, par exemple avec des élèves absents », dit Alina Laverrière, présidente du syndicat.

Malgré l’installation d’un système à la fine pointe de la technologie, l’enseignante qui a participé au projet-pilote observe qu’on ne lui a pas demandé de faire de l’enseignement à distance quand un de ses élèves s’est absenté pendant deux semaines en raison de la COVID-19.

« Il n’y a plus de budget pour les dictionnaires, les romans font pitié. Pour l’informatique, on dirait que c’est illimité », déplore-t-elle.

* Les enseignants à qui La Presse a parlé dans le cadre de ce reportage ont tous refusé d’être identifiés par crainte de représailles de leur employeur.