Des centaines d’éducatrices ont marché dans les rues de Montréal mardi lors de leur premier jour de grève, afin de réclamer un salaire plus élevé et de meilleures conditions de travail. Pour arrêter l’exode de ces travailleuses, la profession doit être reconnue « à sa juste valeur », souligne une experte.

Aux abords du parc des Faubourgs, une marée de chandails roses agitait des drapeaux de la CSQ et brandissait des pancartes où l’on pouvait lire « Valorisons la profession » et « CPE en négos ». Cette manifestation marquait le premier jour de grève des CPE affiliés à la CSQ dans les régions de Montréal, de Lanaudière, de la Montérégie, ainsi que de l’Estrie. Celle prévue mercredi touche les régions de Québec, de Chaudière-Appalaches et de l’Abitibi.

Dans la foule, Sylvie Bérard raconte manifester depuis ses débuts en tant qu’éducatrice, il y a de cela 36 ans. « On n’est pas reconnues pour ce qu’on fait », se désole-t-elle. Cette dernière s’indigne que son salaire ait « plafonné après 10 ans », ce qui fait qu’elle ne gagne actuellement que 25 $ l’heure.

La pénurie d’éducatrices en CPE s’explique en partie par l’absence de « possibilités d’avancement à long terme » pour elles, souligne Nathalie Bigras, directrice scientifique de l’équipe de recherche Qualité des contextes éducatifs de la petite enfance de l’Université du Québec à Montréal (UQAM).

Dans le contexte actuel où il y a plus d’exigences de la part du gouvernement sans bonification du salaire, elles choisissent d’aller ailleurs où c’est moins difficile de gagner leur vie.

Nathalie Bigras, directrice scientifique de l’équipe de recherche Qualité des contextes éducatifs de la petite enfance de l’UQAM

Rencontrée à la manifestation, Nicole Tardif soutient vivre plus de stress en tant qu’éducatrice qu’avant. « Ce n’est pas attrayant du tout, laisse-t-elle tomber. Les plus vieilles, qui ont 61 ans comme moi, ont envie de déserter. » Cette dernière affirme travailler en dehors de ses heures de travail, par manque de temps pour terminer des rapports sur le développement des enfants.

En fin de matinée, la manifestation s’est arrêtée devant des bureaux gouvernementaux de la rue Fullum. Véronique Hivon, du Parti québécois, Gabriel Nadeau-Dubois, de Québec solidaire, et Marc Tanguay, du Parti libéral du Québec, étaient présents pour exprimer leur soutien aux éducatrices. Jeudi et vendredi, les CPE affiliés à la CSN seront à leur tour en grève.

Offre qui « n’est pas à la hauteur »

Line Camerlain, première vice-présidente de la CSQ, espère que ces deux jours de grève enverront un message clair pour la reprise des négociations, jeudi. « Ce qu’on nous offre sur le plan salarial n’est pas à la hauteur », a-t-elle indiqué à La Presse.

  • « Le premier maillon de l’éducation, ça vaut plus de respect », pouvait-on lire sur une pancarte.

    PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

    « Le premier maillon de l’éducation, ça vaut plus de respect », pouvait-on lire sur une pancarte.

  • Les manifestantes demandent un meilleur salaire ainsi que plus d’accompagnement et de reconnaissance.

    PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

    Les manifestantes demandent un meilleur salaire ainsi que plus d’accompagnement et de reconnaissance.

  • L’attachée de presse de la ministre Sonia LeBel a déploré que les parents écopent de cette grève, étant privés de service de garde pour leurs enfants.

    PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

    L’attachée de presse de la ministre Sonia LeBel a déploré que les parents écopent de cette grève, étant privés de service de garde pour leurs enfants.

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Selon l’offre du gouvernement de juillet dernier, le salaire au dernier échelon passerait de 25 $ à 28,25 $ l’heure. Une éducatrice est actuellement payée 19 $ l’heure au premier échelon. En plus de la question salariale, les éducatrices demandent plus de soutien pour s’occuper des enfants avec des besoins particuliers, précise Mme Camerlain.

De son côté, Québec dit reconnaître « l’urgence » de soutenir le réseau en améliorant les conditions salariales. « Le gouvernement est au rendez-vous en proposant d’augmenter considérablement le salaire des éducatrices », a soutenu Florence Plourde, attachée de presse de Sonia LeBel, présidente du Conseil du trésor. Au sujet de la grève, cette dernière déplore que les « parents écopent » en étant privés de service de garde.

« Retour en arrière dramatique »

Selon Nathalie Bigras, freiner l’exode de la profession passe par une réelle reconnaissance de celle-ci. Les éducatrices donnent les bases nécessaires aux enfants pour leur développement, souligne-t-elle.

« Elles ont le rôle le plus important de notre société, fait-elle valoir. Mais ce sont elles qui sont les moins bien rémunérées. »

Roxanne Bolduc, dont la fille de 14 mois fréquente un CPE, dit encourager les éducatrices dans leurs démarches et souhaite qu’elles soient reconnues. « Mais c’est sûr que comme parents, on doit se retourner rapidement avec les journées de grève », admet-elle.

Christine Langevin, mère de famille, juge que les éducatrices sont « sous-payées » et que le gouvernement doit remédier à la situation. Il doit aussi s’attaquer au manque de places en CPE, en raison duquel elle a dû attendre trois ans et demi.

Le fait que des femmes se voient forcées de rester à la maison faute de places en garderie est « un retour en arrière dramatique » pour la société québécoise, soulève Nathalie Bigras.

Au mois d’août, Québec a annoncé la création de 9000 nouvelles places d’ici deux ans. Mais selon Line Camerlain, les familles ne pourront en bénéficier que si les conditions salariales favorisent l’attraction et la rétention du personnel.

Avec La Presse Canadienne

En chiffres

98 014 : Nombre de places existantes en CPE en date du 31 mars 2021

Source : Gouvernement du Québec

81 850 : Nombre de naissances au Québec en 2020

Source : Institut de la statistique du Québec