Ce sera le branle-bas de combat dans les établissements d’enseignement supérieur du Québec pour rouvrir les portes aux élèves et aux étudiants, comme le demande le gouvernement, à compter de ce lundi. Mais pas au cégep de Sherbrooke qui, dès le début de la session d’hiver, avait un plan pour donner 25 % de ses cours théoriques en présentiel.

Comment cela a-t-il été possible ? La direction a-t-elle bafoué les consignes sanitaires ?

Non, elle a pris les devants et fait approuver son projet par la Santé publique régionale.

« Ce que la ministre [Danielle] McCann nous demande, c’est ce qu’on fait déjà », lâche la directrice générale Marie-France Bélanger, dans son bureau, entre deux rendez-vous. « Ça représente très peu de changements pour nous. »

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La directrice générale du cégep de Sherbrooke, Marie-France Bélanger

Le septième en importance

Le cégep de Sherbrooke est le septième au Québec en matière de taille. Depuis le 18 janvier, tous les élèves mettent déjà les pieds sur le campus au moins une fois par semaine. Ils portent un masque médical, fourni par le collège depuis que la région est passée de l’orange au rouge, le 12 novembre. Et dans les classes, les bureaux sont espacés et le taux d’occupation ne dépasse pas 50 %.

C’est en gros ce que les autres cégeps et les universités, partout en zone rouge, sont invités à faire dès ce lundi, en plus de permettre de petits rassemblements pour les travaux d’équipe.

« Nous, on a pris la décision en juin d’avoir le plus possible d’activités en présence, en respectant les consignes sanitaires, précise Marie-France Bélanger. Cet automne, on était en hybride. Le contexte de la région nous permettait de faire des choses que peut-être d’autres régions ne pouvaient pas faire. On était en zone orange jusqu’au 12 novembre. Au 12 novembre, il restait peu de périodes de cours avant les examens. Donc, on a gardé quand même un peu de présence, même dans les cours théoriques, et on a imposé le masque de procédure, que nous fournissions. On s’assurait comme ça que c’était des masques homologués et qu’on ne pénalisait pas les étudiants qui n’avaient pas les moyens. »

Et, le plus important, le cégep a appelé tous ses élèves.

« On les a tous appelés. On avait 5600 étudiants cet automne. On les a tous appelés. C’était d’abord pour créer le lien social avec eux, pour ne pas qu’ils se sentent tout seuls et isolés. Même si on avait de la présence, il reste que ce n’est pas comme d’habitude. On voulait prendre soin d’eux, leur dire qu’ils sont importants, leur demander ce qui les aiderait pour la session d’hiver », explique la directrice.

On a contacté les jeunes du secondaire aussi, ceux qui étaient inscrits chez nous, mais qui n’étaient pas encore arrivés. Ils nous ont dit que ça les inquiétait d’être totalement à distance.

Marie-France Bélanger, directrice générale du cégep de Sherbrooke

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Le cégep de Sherbrooke accueille près de 6000 élèves de partout au Québec.

Et comme avant la pandémie, la présence des élèves en classe est obligatoire. « S’ils ne viennent pas, ils assument les conséquences. »

Une heure sur quatre en classe

Sherbrooke est toujours en zone rouge. Malgré cela, avant Noël, la direction du cégep a demandé deux choses à ses enseignants, en prévision de la rentrée d’hiver. La première : ne pas utiliser trop de plateformes différentes (Teams, Zoom, etc.) pour l’enseignement à distance, histoire de faciliter la vie aux élèves. La deuxième : donner 25 % des cours théoriques en présentiel. Un élève qui a un cours de quatre heures par semaine de chimie, par exemple, va être à distance trois heures et en classe une heure.

En janvier, lorsque le gouvernement a imposé des mesures plus strictes, le cégep de Sherbrooke a contacté la Santé publique régionale pour avoir son avis. Pouvait-elle ou non maintenir des cours en présentiel pour tous les élèves ? Réponse : Oui.

Après analyse, les autorités sanitaires ont conclu que ce cégep était un milieu sécuritaire, que la transmission de la maladie y était marginale et que le coronavirus se propageait davantage dans la communauté que dans les salles de classe ou les laboratoires.

La Santé publique a aussi fait remarquer que l’Estrie est la seule région qui a maintenu des cours en présentiel dans ses établissements d’enseignement supérieur et que cela a eu des effets positifs. « Il n’y a eu aucune détérioration de l’état de santé mentale chez les jeunes adultes estriens, alors qu’une détérioration a été notée chez les jeunes adultes des autres régions », selon une étude sur la santé mentale réalisée dans sept régions, en septembre et en novembre 2020, note-t-on.

« Évidemment, tout ne s’est pas fait d’un coup », rappelle la directrice, Marie-France Bélanger.

« On s’est pratiqués. Au début de l’automne, il a fallu répéter souvent les consignes. Quand on a mis en place la distribution des masques de procédure, on a eu quelques ratés. On s’est ajustés, on s’est adaptés, on a écouté, on s’est promenés sur le terrain. Mais là, on est rodés, ça marche. »

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Le professeur de chimie Steve Leclair a divisé son groupe en deux, pour respecter les règles sanitaires.

Le cégep de Sherbrooke voulait que tous ses élèves puissent venir en classe, y compris ceux qui sont en sciences humaines ou en arts et lettres, pour une « question d’équité ».

« Vraiment mieux que rien »

Steve Leclair, professeur de chimie, est d’accord avec cette approche, même s’il admet que cela augmente sa charge de travail. Il doit notamment donner une portion de son cours de chimie deux fois. Une première fois à la moitié des élèves de sa classe, pour respecter la consigne du taux d’occupation de 50 %, et une deuxième fois au groupe restant. « C’est un moindre mal, disons. J’aime mieux avoir quelques contacts une fois de temps en temps. »

Les élèves de sa classe sont unanimes : « C’est bien plus facile de se concentrer en classe. »

Fabien Burnotte, prof en génie civil, trouve lui aussi que « c’est vraiment mieux que rien ».

Toutes ses périodes de laboratoire sont en présentiel. Les groupes sont petits, 18 maximum. Et quand il enseigne à 32 élèves, il en a la moitié en classe et l’autre moitié à distance, en formation comodale.

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Des élèves discutent pendant le cours de mécanique des sols 1 donné par le professeur Fabien Burnotte.

Samuel Poissant-Fluet, 19 ans, inscrit en technologie du génie civil, est dans son cours de mécanique des sols 1. « La concentration, la motivation, c’est difficile à distance. C’est plus encourageant d’être entouré de monde qui fait la même technique que nous », dit-il.

Et les autres cégeps ?

Pourquoi les autres cégeps en zone rouge ont-ils attendu les nouvelles consignes du gouvernement pour ramener les cégépiens sur les bancs d’école ? N’auraient-ils pas pu s’organiser, comme l’a fait le cégep de Sherbrooke, pour offrir un minimum de cours en classe à tous les élèves ?

« Ailleurs, en zone rouge, c’était difficile d’avoir, je dirais, cette audace-là, en sachant que les Directions de santé publique, sur une base régionale, évaluent quand même la situation », répond Bernard Tremblay, président-directeur général de la Fédération des cégeps. « Et les cégeps sont en lien direct avec les Directions régionales de santé publique. Donc, il y a un message national, mais il faut aussi tenir compte du contexte de chaque région. »