(Montréal) Des parents québécois étaient devant un juge jeudi afin de lui demander d’ordonner au ministère de l’Éducation de rendre l’option des cours en ligne disponible à tous les enfants, peu importe leur état de santé.

Pour l’instant, seuls les enfants qui ont certaines conditions médicales définies ou des parents à risque peuvent être exemptés de venir à l’école. Les autres doivent aller physiquement en classe.

Mais en cette période de la COVID-19, tous les parents devraient avoir ce choix, font valoir ceux qui ont mandaté Me Julius Grey pour que l’option des cours en ligne soit disponible pour tous dès la rentrée, au primaire comme au secondaire. Cette option existe en Ontario.

Jeudi, Me Grey a plaidé devant le juge Frédéric Bachand de la Cour supérieure.

Pour l’instant, il demande une mesure de sauvegarde pour obtenir les cours en ligne pour tous. Il s’agit d’une demande qui peut être présentée à un juge rapidement, quand il y a urgence : c’est le cas ici, selon lui, parce que la rentrée est déjà commencée. Le dossier sera plaidé au fond dès que possible, fort probablement cet automne.

Il n’est pas question ici de faire annuler une loi ou de forcer tous les enfants à suivre des cours en ligne : juste de le permettre à ceux qui le souhaitent, a plaidé Me Grey.

D’envoyer ses enfants à l’école dans une situation de pandémie — sans précédent dans notre histoire — est une décision d’une nature extrêmement privée et personnelle, a-t-il dit au juge. Il en va de l’autonomie des parents.

Il y a encore beaucoup d’inconnu sur la COVID-19, et des parents craignent que leur enfant ou l’un de leurs proches ne tombe gravement malade.

C’est le cas d’une des mères à l’origine de cette poursuite. Marisa Fernandez a deux filles à l’école primaire, dont une de huit ans qui a des problèmes respiratoires. Quant à Mme Fernandez, elle est atteinte de lupus, une maladie affectant son système immunitaire. Elle n’a pu obtenir de billet d’un médecin pour sa fille, mais le Centre de services scolaire a accepté de l’exempter, sur la base d’une note médicale antérieure.

« Les exemptions sont arbitraires et difficiles à obtenir, juge-t-elle. On estime que les parents, au Québec, on a le droit de décider pour la sécurité et la santé de nos enfants. »

Elle dit comprendre que la socialisation des enfants est importante et que certains petits ont besoin des repas offerts à l’école. Mais elle ne demande pas que les cours en ligne soient offerts à tout jamais ni qu’ils soient imposés à tout le monde, a précisé la mère de famille.

Dire oui à cette demande n’est pas impossible pour le gouvernement, a ajouté Me Grey : les enfants qui ont été exemptés en raison d’une condition médicale permise ont déjà accès aux cours en ligne. Il s’agit juste de donner le lien internet à d’autres enfants.

C’est inexact, a plaidé l’une des deux avocates du Procureur général du Québec. Il n’existe pas de telle plateforme d’enseignement par internet, a expliqué Me Maryse Loranger. Des ressources distinctes doivent être affectées à l’enseignement en ligne, pendant que les enseignants sont dans leurs classes.

Le premier ministre François Legault a d’ailleurs commenté cet aspect de la demande en justice jeudi.

Il a fait valoir qu’il manque quelques centaines d’enseignants au Québec. Et que ceux qui sont en poste ne peuvent pas en même temps enseigner en classe et en ligne aux enfants qui sont à la maison. « On ne peut faire les deux. »

Me Grey a plaidé plusieurs arguments devant le juge : d’abord, la liste des conditions médicales permettant une exemption est beaucoup trop restreinte. « Le gouvernement a décidé de microgérer qui va à l’école ou non », a-t-il lancé dans la salle de cour.

De plus, il a fait valoir que le décret du gouvernement sur la rentrée scolaire est inconstitutionnel, car il contrevient à l’article 7 de la Charte des droits et libertés qui protège le droit à la vie et à la sécurité.

Et puis, actuellement, si les parents choisissent de faire l’école à leurs enfants à la maison, ils risquent de perdre leur place dans l’établissement fréquenté. Les jeunes ne pourront le réintégrer une fois que leurs parents jugeront la situation plus sécuritaire. Sans compter que la DPJ risque de sonner à leur porte, a-t-il ajouté.

Les avocates du Procureur général du Québec ont essentiellement plaidé que le décret du gouvernement sur l’enseignement est valide. Il vise tous les jeunes et a notamment pour but de protéger les plus vulnérables. Car ce sont justement ces derniers qui risquent de ne pas aller en classe si les parents ont le choix, a fait valoir Me Stéphanie Garon.

« La décision a été prise dans le meilleur intérêt de tous les enfants du Québec sur la base des recommandations de la santé publique », dit-elle.

Et puis, la liberté des parents est déjà limitée, a ajouté l’avocate : la Loi sur l’instruction publique oblige la fréquentation de l’école jusqu’à un certain âge.

Sauf que cette loi n’entrevoyait pas une situation de pandémie, a rétorqué Me Grey. Et si la décision du gouvernement d’envoyer tous les enfants à l’école — sauf exemption médicale — est peut-être la bonne pour la majorité, elle ne l’est pas pour tous.

En fin de compte, la question se résume à ça : « qui peut décider ? », a-t-il soutenu.

Le juge Bachand a promis de rendre jugement au plus tard mardi.