Plusieurs centaines d’enseignants du secondaire ont été appelés à travailler dans les écoles primaires qui ont rouvert leurs portes au printemps. Dans certaines régions, jusqu’à la moitié des enseignants du secondaire ont changé temporairement d’affectation.

Pierre Alain enseigne l’éducation physique au secondaire depuis 28 ans. Quand les écoles primaires ont été rouvertes dans sa région, il a été appelé pour prêter main-forte à ses collègues du primaire. Habitué à travailler avec des adolescents, il s’est retrouvé avec des plus jeunes, notamment dans une classe de maternelle.

« Ç’a été un petit choc. On m’a dit que j’avais l’air d’un chevreuil en plein milieu du chemin », dit en riant l’enseignant de la région de Portneuf. Pierre Alain a découvert qu’une période de détente pour les petits pouvait facilement être perturbée par la seule présence d’une araignée et que, même avec une classe de seulement six élèves, la distanciation physique n’était pas assurée.

PHOTO FOURNIE PAR PIERRE ALAIN

L’enseignant d’éducation physique au secondaire Pierre Alain a été appelé à travailler dans les écoles primaires en raison de la pandémie.

Au cours des derniers mois, ils ont été nombreux, comme lui, à passer du secondaire au primaire. Dans la région de Saint-Hyacinthe, par exemple, environ la moitié des enseignants du secondaire sont allés travailler dans les écoles primaires.

« La première semaine, tout le monde a eu un choc. On ne s’attendait pas à ce que le primaire ait autant besoin d’aide », dit la directrice des ressources humaines du Centre de services scolaire de Saint-Hyacinthe (CSSSH), Chantal Langelier.

Certains enseignants ont été appelés à travailler au primaire seulement quelques heures, d’autres quelques jours ou semaines. Ils ont tout fait, de 7 h le matin à 18 h le soir : prendre la relève dans les services de garde, préposés au « Purell sur le bord de la porte », enseigner, « faire le guet » dans les corridors, etc.

Parce que le ministère de l’Éducation avait demandé qu’on maintienne l’apprentissage des matières de base à distance au secondaire, les enseignants de mathématiques, de français et d’anglais ont été peu sollicités. Le CSSSH s’est davantage tourné vers les professeurs d’éthique et culture religieuse, d’arts ou d’éducation physique.

« Il y a des gens pour lesquels ç’a été un réel plaisir, et d’autres pour lesquels ç’a été très difficile », dit la présidente de la Fédération des syndicats de l’enseignement (FSE), Josée Scalabrini. Ce n’est pas qu’une question d’âge, poursuit-elle, mais bien des notions enseignées qui diffèrent entre les petits et les plus vieux.

Portrait variable

Combien d’enseignants sont ainsi passés du secondaire au primaire pendant les derniers mois de l’année scolaire ? Questionné à ce sujet, le ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur nous a renvoyé aux centres de services qui, « à titre d’employeurs, sont responsables de la gestion des ressources humaines ».

En vertu de la Loi sur l’accès à l’information, La Presse a posé la question à des centres de services scolaires. Le portrait est variable. Le Centre de services scolaire de la Capitale, à Québec, nous a répondu qu’aucun enseignant du secondaire n’avait été affecté au primaire.

Dans la région de Sorel-Tracy, c’est environ 40 % des enseignants habituellement affectés au secondaire qui sont allés temporairement dans les écoles primaires, nous a répondu le Centre de services scolaire de Sorel-Tracy. Dans la région de Charlevoix, c’est un peu moins d’un enseignant du secondaire sur cinq qui est passé au primaire.

« Trop d’enseignants du secondaire qui ont été transférés »

Quand les écoles primaires ont rouvert leurs portes dans plusieurs régions du Québec, les élèves du secondaire ont appris qu’ils devraient poursuivre leur formation à distance jusqu’à la fin de l’année scolaire. Leur suivi n’a pas été compromis par le transfert d’enseignants du secondaire à d’autres tâches, assure la directrice des ressources humaines du Centre de services scolaire de Saint-Hyacinthe, Chantal Langelier.

Le président du Syndicat de l’enseignement du Haut-Richelieu (SEHR), qui représente les enseignants du Centre de services scolaire des Hautes-Rivières, n’est pas de cet avis. Dans cette commission scolaire, environ un enseignant du secondaire sur deux a été appelé à aller travailler au primaire.

Tout en reconnaissant les « grands besoins » dans les écoles où on a rouvert en respectant les règles de distanciation physique, Éric Plourde estime qu’« il y a trop d’enseignants du secondaire qui ont été transférés au primaire ».

Dans certaines écoles, dit-il, on a choisi d’envoyer les enseignants d’adaptation scolaire au primaire. « Ils enseignent à des élèves qui ont des difficultés et qui ont besoin d’un suivi », déplore le président du SEHR.

Ceux qui sont restés au secondaire pour faire l’enseignement à distance ont parfois dû mettre les bouchées doubles. Il cite l’exemple d’un enseignant du secondaire qui s’est retrouvé avec plus de 350 élèves à suivre. Les enseignants ont fait leur possible dans les circonstances, dit-il, mais il ne « peut assurer que les services étaient à 100 % ». « On était en situation de crise », dit-il.

La présidente de la FSE estime que lorsque les directions d’écoles ont fait un bon travail de coordination, les élèves n’ont pas pâti de la réaffectation de nombreux enseignants. Certains enseignants, dit toutefois Mme Scalabrini, ont été déçus « de tout quitter pour aller au primaire ».

Pierre Alain, lui, garde de bons souvenirs de son passage dans plusieurs écoles primaires de sa région, notamment de l’accueil chaleureux reçu de ses collègues. Il se fait quand même une joie de retrouver son école secondaire après les vacances. « À l’automne, je retourne avec mes élèves », dit-il.

— Avec William Leclerc, La Presse