Comment faire pour devenir une école de premier choix ? Sur la Rive-Sud de Montréal, une polyvalente ordinaire (dite « régulière ») livre une bataille pour freiner la saignée vers les écoles privées et le public sélectif. Une guerre à armes inégales…

La polyvalente Mont-Bruno s’est mise sur son trente et un en ce jeudi soir d’octobre. Dans la cafétéria réaménagée pour les fins de la présentation, des enseignants se démènent pour vanter les mérites des programmes pédagogiques particuliers, ou PPP, en sciences, en sports et en arts.

C’est que la concurrence est féroce pour cette polyvalente de Saint-Bruno, surnommée « pâté chinois » à cause de son revêtement gris et jaune.

Assises sur des chaises droites, Brigitte Cusson et sa fille Éliane, 11 ans, en sont à leur huitième visite d’école. Elles ont « fait » toutes les écoles privées de la Rive-Sud : collège Trinité, Charles-LeMoyne, Saint-Hilaire… Puis les écoles publiques offrant des programmes sélectifs.

« C’est sûr que ce ne sont pas les élèves les plus doués qui viennent ici, leur taux de succès n’est pas très reluisant », laisse tomber Brigitte Cusson, en faisant allusion à cette polyvalente publique qu’elle visite un peu par acquit de conscience : elle veut vraiment faire le tour complet des options qui s’offrent à sa fille, quand elle fera le grand saut vers le secondaire.

Idéalement, mon premier choix, ce serait une bonne école publique, mais nos enfants, on veut leur donner les meilleures chances pour réussir.

Brigitte Cusson

Éliane, elle, a déjà choisi : ce sera le collège Saint-Hilaire, niché au pied de la montagne du même nom. « Il y a un projet en arts plastiques, et c’est dans la nature. »

Une autre gamine écoute distraitement les présentations des profs de Mont-Bruno. Son idée est déjà faite. « C’est sûr que ce sera le collège Trinité. Ils ont la meilleure équipe de cheerleading, une ruche, une animalerie, on peut toucher les lézards et les chinchillas… »

Le collège Trinité, ce n’est pas donné, reconnaît sa mère. Il faut prévoir 6000 $ par an, sans compter le MacBook pro obligatoire. La famille devra rogner sur le budget vacances… mais ce sera pour la bonne cause.

Les collèges privés offrent aussi un autre avantage, plus délicat à nommer : celui de la sélection. À un moment, à Trinité, il avait été question d’abolir les examens d’entrée, signale une des mères. Mais il y a eu des protestations. « Sans examens, n’importe qui aurait pu être admis… »

Dans l’agora de la polyvalente, je croise David Bertrand, mécanicien de Saint-Basile qui est un « vétéran » de Mont-Bruno. Lui aussi a déjà décidé de l’école où il enverra sa fille : ce sera ici, dans cette polyvalente gris et jaune campée dans un quartier de bungalows bordés d’arbres.

La question du privé ne se pose pas. Pour payer la facture, il lui faudrait emprunter l’argent. Et il n’en voit pas l’intérêt : son passage dans cette polyvalente lui a laissé de très bons souvenirs.

Une estime à remonter

Cette soirée portes ouvertes met en lumière la concurrence féroce qui se joue à l’aube du secondaire, dans cette ville de banlieue qui affiche une « cote socioéconomique 1 », la plus favorisée du classement.

Une ségrégation qui, en grande partie, suit les lignes des classes sociales.

À Saint-Bruno, le revenu familial médian frôle les 100 000 $. Les élèves des écoles primaires du quartier atterrissent, en majorité, au secondaire privé. Ou au public sélectif.

Mont-Bruno accueille aussi des élèves venus des villes environnantes : Chambly, Sainte-Julie, Saint-Basile…

Avant d’arriver à Mont-Bruno, où elle est en poste depuis un an, la directrice, Caroline Brunelle, dirigeait une école primaire publique d’un quartier chic de Saint-Bruno. Ses anciens élèves optaient presque tous pour le privé au secondaire.

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C’est tellement ancré, ils ne veulent surtout pas aller à Mont-Bruno.

Caroline Brunelle, directrice de Mont-Bruno

Résultat : plusieurs élèves qui débarquent à Mont-Bruno en première secondaire ont le moral dans les talons, déplore Caroline Brunelle.

« Soit ils ont raté un examen au privé ou dans un programme enrichi, soit leurs parents n’ont pas assez d’argent pour les envoyer ailleurs. »

« On passe les premiers mois de l’année à remonter leur estime d’eux-mêmes. »

Les grands moyens

Depuis quelques années, Mont-Bruno déploie les grands moyens pour se défaire de cette image d’école bas de gamme qui lui colle à la peau. Elle a adopté un plan d’engagement vers la réussite, et ces PPP, ou enseignement avec un profil particulier en arts, ou sciences ou sports et nature. Pour être admis, il suffit d’écrire une lettre d’intérêt et d’avoir la recommandation d’un enseignant du primaire.

Le programme a été lancé il y a trois ans, et les premiers groupes PPP arriveront en quatrième secondaire l’automne prochain.

Les efforts portent leurs fruits… un peu. À la soirée portes ouvertes, des parents confient qu’ils ne voient plus Mont-Bruno comme « une école de drogués. » Les choses ont changé. Ça va mieux. Mais pas nécessairement assez pour les convaincre d’y envoyer leur enfant.

Un soir de février, j’ai assisté à un spectacle monté par les élèves du programme « arts ». Une adaptation de l’histoire d’Aladin, version comédie musicale, dont les danseurs et chanteurs ont fait vibrer l’agora d’une énergie créatrice contagieuse. D’autres représentations étaient prévues à l’intention d’élèves d’écoles primaires du secteur. La tournée a été annulée, à cause du coronavirus.

L’école organise aussi des voyages d’études, en Allemagne, en Italie ou au Costa Rica.

Il reste qu’on a un peu l’impression que Mont-Bruno est le David qui se bat contre une armée de Goliath.

« Quoi qu’on fasse, on ne peut pas rivaliser avec la publicité du collège Trinité ni avec leurs beaux costumes neufs », dit Caroline Brunelle.

Ni avec les lézards, les lapins et les chinchillas…

Image négative

Les élèves de Mont-Bruno ne sont pas dupes. Ils savent que leur école n’a pas la cote dans leur milieu.

C’est une bonne école, mais vu que c’est du régulier, la plupart des gens pensent qu’on n’est pas intelligents.

Jérémie, élève de Mont-Bruno

Jérémie, un garçon réservé, avait commencé son secondaire dans un programme sport-études à Boucherville, mais a trouvé la pression trop forte.

« Des fois, il fallait se lever à 5 h 30 du matin. »

Jérémie fait partie du groupe de français de Pierre-Luc Hamel, que j’ai suivi entre octobre et mars… jusqu’à la fermeture des écoles, pour cause de pandémie.

Pierre-Luc Hamel enseigne le français à la polyvalente Mont-Bruno.

À 16 ou 17 ans, ils avaient dépassé le seuil crucial de la troisième secondaire – celui des grands dérapages. Une trentaine d’élèves de familles modestes ou de classe moyenne, visant en majorité le cégep, même si certains devront attendre un peu, pour cause de cours à reprendre. Dans le groupe, environ un jeune sur trois a un « plan d’intervention » pour surmonter des difficultés scolaires.

Plusieurs sont des « défroqués » du privé et ne se gênent pas pour le critiquer.

« Le collège, ça coûte cher, c’est des fils de riches, des frais chiés, ils nous jugent. Ici c’est mieux, les élèves ne se prennent pas pour quelqu’un d’autre », tranche Thomas, un autre élève du groupe, qui n’a pas apprécié son séjour d’un an dans une école privée.

Justin, lui, avait échoué au test de qualification pour l’école internationale de McMasterville. « Sur le coup, j’étais déçu, mais c’est peut-être aussi bien. Là-bas, il y a trop de devoirs, puis à la fin, ça ne change rien », dit ce grand blond qui se destine à l’école d’aviation du cégep Édouard-Montpetit.

« À Mont-Bruno, les profs prennent le temps d’expliquer, quand j’étais [au programme] international, je n’arrivais pas à suivre », confie une autre élève, Ariane.

Il y a aussi Dacine, une adolescente sérieuse d’origine algérienne. Quand sa mère lui avait parlé du privé, elle ne voulait rien savoir. Elle a raté l’examen d’admission dans un programme international. Et se dit très heureuse dans son école de quartier.

À l’opposé, il y a Sahadat, garçon d’origine afghane qui avait passé avec succès son examen d’admission dans un collège privé, à la fin du primaire. Sa mère est couturière, son père vend des pièces d’auto – pour sa famille, « 7000 $ par année pendant cinq ans, c’est trop !  ».

Sahadat s’ennuie à l’école. Il trouve que les profs n’arrêtent pas de se répéter.

Sauvé par le public

Un jour de février, un nouvel élève atterrit dans la classe de Pierre-Luc Hamel.

Karl a fait tout son secondaire dans une école privée de la Rive-Sud. Il s’en tirait tant bien que mal. Mais en cinquième secondaire, il a flanché. « J’étais obligé de faire des maths fortes, des cours de science, j’étais en échec partout, si j’étais resté là-bas, j’aurai mal viré. »

Karl n’allait pas bien, confirme sa mère, Sylviane Grenier. Et sans trop entrer dans les détails, disons que ses parents ont eu le sentiment que son école, celle qui l’avait suivi pendant tout son secondaire, ne lui a pas donné le soutien dont il avait besoin à un moment critique de sa vie.

Ni sur le plan pédagogique ni sur le plan psychologique. « Ils n’ont rien fait pour accompagner notre beau Karl. »

Tout un contraste avec Mont-Bruno, où le garçon a été accueilli chaleureusement et a reçu toute l’aide dont il avait besoin, selon ses parents.

Quand il est arrivé à Mont-Bruno, juste avant le confinement, Karl était très loin de sa note de passage en français. Aujourd’hui, avec l’aide de Pierre-Luc Hamel, il a de bonnes chances de réussir le cours. Pour lui, c’est direction cégep.

Mont-Bruno en bref

• La polyvalente Mont-Bruno accueille 1537 élèves, dont trois premières cohortes inscrites en projets pédagogiques particuliers (sciences, sports et aventure, danse et arts plastiques).

• Environ 155 élèves sont inscrits dans des classes d’adaptation scolaire.

• L’école accueille des élèves d’autres écoles publiques de Chambly et de Sainte-Julie en quatrième et cinquième secondaire.

• Le revenu médian des familles habitant à Saint-Bruno est de 99 115 $ par an.

• Environ le tiers des élèves du secteur « régulier » ont ce qu’on appelle des « plans d’intervention », soit des adaptations pour compenser des difficultés d’apprentissage.

• Son taux de diplomation en 7 ans est de 69 % pour la cohorte de 2010 et de 74,1 % pour la cohorte de 2011, ce qui inclut les élèves des classes d’enseignement spécialisé.

Journal de bord

2 octobre 2019

« Bye bye bitch, I think I’m in love. » Ce graffiti inscrit sur une porte de toilette à la polyvalente Mont-Bruno me rappelle où je suis : je viens d’atterrir en « adoland ».

Dans la classe de français de cinquième secondaire de Pierre-Luc Hamel, c’est l’heure des présentations, j’essaie d’en savoir plus sur ce groupe de 32 élèves de 16 ou 17 ans vivant en banlieue de Montréal.

Quand je leur demande s’il y en a qui ont des boulots à temps partiel, presque toutes les mains se lèvent. Ils travaillent dans les supermarchés de Saint-Bruno, Chambly ou Saint-Basile, mais il y a aussi Audrey, qui fait le service dans une résidence pour personnes âgées, Isaac qui bosse à la Cage aux sports, Jolin qui cumule deux jobs, cuisinier dans un restaurant et arbitre de hockey…

C’est vraiment ce qui frappe dans ce groupe de jeunes qui amorcent la dernière ligne droite du secondaire. Ils travaillent fort. La vie de banlieue leur impose certains rêves. Notamment celui d’acheter une auto pour ne plus dépendre de papa-maman.

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Thomas sur son lieu de travail

Thomas, par exemple, travaille dans un IGA, 15 heures par semaine pendant l’année scolaire, 40 heures pendant les vacances. Son but : économiser 3000 $ pour acheter une auto.

Isaac, lui, sort du lot avec son ambition de faire du parachute. Il a déjà ramassé les 1900 $ dont il a besoin pour payer ses premiers sauts.

Leur prof Pierre-Luc Hamel se demande si certains ne travaillent pas trop. En moyenne, c’est 20 heures par semaine. L’école accueille une clientèle de classe moyenne, mais pas seulement. « Il y en a qui doivent aider leurs parents à payer l’épicerie. Un jour, un élève a fondu en larmes devant moi parce qu’il était épuisé, il travaillait trop. »

9 octobre

Dans la classe de Pierre-Luc Hamel, une affiche énumère les 10 droits du lecteur de Daniel Pennac. Au fond, une petite bibliothèque met à la disposition des élèves des dictionnaires et des Bescherelle.

Pierre-Luc Hamel remet les productions écrites qui vaudront 10 % dans le bulletin final. La moyenne est de 5,5 sur 10. Sous la barre des 60 %.

« Ils ont une belle créativité, mais la langue pose problème », constate-t-il.

17 octobre

Après le cours, qui porte sur la notion de « personnage », je retrouve les deux inséparables, Maïka et Maude, dans un fast-food du coin. Des copains d’autres classes les rejoignent.

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Maiïka fait une dictée pendant un cours de français.

Devant une poutine à un zillion de calories, Théodore, un garçon affirmé qui aime le théâtre et se dirige vers les communications, prend le crachoir.

« Mont-Bruno a une image d’école de drogués. Bien sûr qu’il y en a, mais il y en a autant au privé », tranche-t-il d’emblée.

Le privé lui pue au nez. « Ils regroupent des riches, des gens de haut statut, ils viennent tous d’un même milieu, moi, je préfère être entouré de gens différents, ici, c’est plus hétérogène. »

22 octobre

C’est un lendemain d’élections fédérales. Tout le monde est fatigué, c’est le festival de têtes couchées sur les pupitres.

Pierre-Luc Hamel remet les tests d’écriture, ceux où les élèves devaient décrire un lieu.

« Je voulu allez vider ma vessie », « je sentie son souffle », « nous finissâmes », « ils abbittuent », « j’arriva au motel », « j’appercevai », « il détournit le regard »… : beaucoup de fautes d’accord et un usage créatif du passé simple. Les notes sont à l’avenant.

« On approche de la fin de la première étape et il y a un gros problème au niveau de l’écriture », dit en soupirant Pierre-Luc Hamel.

« Ça stagne un peu, faut que ça décolle. »

6 novembre

Nous retrouvons Jonathan chez lui, à Saint-Basile, après la fin des classes. Maison de banlieue, deux chiens, piscine creusée. Jonathan se dirige vers une formation de chef cuisinier. Chez lui, il prend souvent les rênes du souper.

Ce soir-là, ce sera un rôti de palette à la moutarde.

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Jonathan dans sa maison de Saint-Basile

Jonathan a déjà 17 ans. À la suite d’une blessure qui a nui à ses résultats scolaires, il avait décidé de reprendre sa quatrième secondaire pour améliorer ses notes.

Ses plans d’avenir sont précis : il étudiera en comptabilité avant d’essayer d’entrer à l’Institut d’hôtellerie.

Ah oui : il a eu 44 sur 50 pour sa production écrite.

18 novembre

Au local des profs de cinquième secondaire, à l’heure du lunch, il y a Pierre-Luc Hamel, mais aussi une autre enseignante de français, Meredith Grondin, un prof de maths, Louis-Philippe Lemieux, et quelques autres.

La conversation démarre lentement, mais quand ils sont lancés, les enseignants en ont gros sur le cœur.

« Le niveau est très faible cette année, j’ai des cas vraiment lourds, les faibles sont très faibles, les pauvres forts se retrouvent engloutis », dit Meredith Grondin.

« En maths, il y a de bons élèves, mais pas beaucoup qui nous tirent vers le haut, qui posent plus de questions, qui aident les autres dans les travaux d’équipe », déplore Louis-Philippe Lemieux.

« L’écrémage s’est accentué au fil des ans, note Meredith Grondin. Il n’y a pas si longtemps, je pouvais utiliser des textes de Victor Hugo pour étudier la grammaire. Ce n’est plus possible aujourd’hui. »

Pierre-Luc Hamel est d’accord avec ces constats. Mais il tient à préciser que « la beauté du métier d’enseignant, c’est que dans la vaste majorité des cas, au fil de l’année, les élèves s’améliorent. »

4 décembre

C’est une journée de dictée ; 175 mots. À plus de cinq fautes, on est en échec. Certains élèves en font une vingtaine.

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Analysa lit L’orangeraie pendant son cours de français.

Une élève, Analysa, a les larmes aux yeux : « Je ne comprends pas pourquoi dans ‟ils sont tout énervés », tout prend un T. Pourquoi on ne peut pas écrire TOUTS ? »

13 janvier

Pierre-Luc Hamel est le genre de prof qui carbure à l’optimisme. Devant un problème, il se retrousse les manches. Mais en ce lendemain de tempête hivernale, il commence à montrer des signes de découragement.

« Je pensais que la classe remonterait, mais on fonce droit dans un mur. »

22 janvier

Dans la classe, 10 élèves dorment sur leur bureau.

« C’est vous qui faites le cours, pas moi, j’ai pas choisi d’être prof pour faire de la discipline, mais là, depuis le début de l’année, j’ai l’impression de ramer à contre-courant », peste Pierre-Luc Hamel.

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Il avait divisé la classe en équipes pour un exercice… que personne n’a fait.

5 février

Le coronavirus fait son entrée dans la classe, alors que Pierre-Luc Hamel sort de son plan de cours pour discuter de ce qui se passe dans le monde.

Attention aux fausses nouvelles et au racisme contre les Asiatiques, dit-il.

L’enseignant a écrit aux parents d’élèves en situation d’échec.

Il y a ceux qui sont là en apparence, mais dont l’esprit vogue ailleurs, celui qui s’absente pour cause d’anxiété, ceux qui attendent un plan d’intervention qui n’arrive pas.

« Certains parents ont baissé les bras, ils me disent : “Je ne sais plus quoi faire.” »

19 février

Dehors, il neige à gros flocons. Les élèves se regroupent en équipes de trois pour lire différents textes d’opinion sur le don d’organes obligatoire et se faire une opinion sur le sujet.

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Mia lors d’une période réservée à l’écriture de textes pour l’album de finissants

Mia proteste. « C’est pas juste, dans mon groupe, on est trois en échec ! » Personne pour tirer le groupe vers le haut…

11 mars

Une odeur de printemps flotte dans l’air quand j’arrive à l’école Mont-Bruno – j’ignore alors que ce sera ma dernière visite.

Le coronavirus occupe les esprits. C’est que plusieurs élèves, dont Jérémie, sont inscrits au voyage en Allemagne. Le départ est prévu pour le début de mai. Pierre-Luc Hamel doit être du voyage.

« Pensez-vous vraiment qu’on pourra y aller ? », s’inquiète Jérémie.

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Le voyage n’aura pas lieu. Et c’est en auto, dans une cérémonie de type « drive-in » adaptée à la pandémie, que ces grands ados privés de bal de finissants iront récupérer leur diplôme, le 19 juin.

Le choc pandémique

Pour Carolane, la COVID-19 n’aurait pas pu arriver au pire moment. L’élève de cinquième secondaire à l’école Mont-Bruno, à Saint-Bruno, avait eu un début d’année difficile.

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Carolane poursuit sa formation à distance en suivant les cours en ligne de ses professeurs.

Disons qu’une rupture amoureuse n’a pas aidé. Elle a mis des mois avant de retrouver sa motivation. Elle tient à souligner que son enseignant de français, Pierre-Luc Hamel, l’a énormément aidée à traverser la tempête.

Après le bulletin de deuxième étape, Carolane n’était pas loin de la note de passage en français. À quelques petits points près. Comme la troisième étape compte pour 60 % dans le bulletin final, elle avait bon espoir d’y arriver…

Puis bang, la COVID-19 a frappé, l’école a fermé ses portes, et Carolane s’est retrouvée confinée à la maison. Après les messages contradictoires du ministère de l’Éducation, ce n’est qu’à la mi-mai qu’elle a pu reprendre ses cours à distance.

Déjà que je ne suis pas bonne à l’école, c’est beaucoup plus dur de faire ça à distance. On est tellement distraits, tu peux aller voir ton cellulaire, fouiller sur l’ordi.

Carolane, élève de cinquième secondaire

Bienvenue sur Teams

La première semaine d’enseignement sur la plateforme de vidéoconférence Teams a été infernale pour beaucoup d’enseignants et d’élèves. Un peu partout, on a vu des jeunes qui débranchaient le micro de l’enseignant, qui écrivaient des niaiseries dans l’espace de dialogue ou qui « expulsaient » certains élèves du groupe.

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Pierre-Luc Hamel enseigne à distance depuis la mise en place des mesures pour freiner la propagation de la COVID-19.

Il faut dire que tout était nouveau et que tous, enseignants et élèves, devaient apprivoiser la bête.

« Nous sommes passés de l’âge de pierre à 2020 en quelques jours », résume Jonathan Tessier, directeur de l’école Honoré-Mercier, dans le quartier de Ville-Émard, à Montréal.

À Mont-Bruno, pour faciliter l’organisation des horaires, l’école a décidé de regrouper les élèves d’un seul niveau pour un même cours pendant une heure, avant de les laisser poursuivre en plus petits groupes avec leur enseignant. « J’ai eu des cours de maths à 150 élèves », dit Carolane. Pas idéal quand on peine à comprendre.

Même réalité à l’école Honoré-Mercier, où l’enseignante d’histoire de première et deuxième secondaire, Sophie Camiré, a donné ses premiers cours à 80 élèves. « Je ne pouvais même pas suivre qui était là et qui restait jusqu’à la fin du cours. »

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Sophie Camiré a donné des cours en ligne à 80 élèves.

Âgés de 12 à 14 ans, ils s’en sont donné à cœur joie avec le nouvel outil Teams. Ici aussi, les enseignants ont subi un festival de niaiseries.

Finalement, Sophie Camiré et ses collègues ont changé de cap : au lieu d’un cours en temps réel, ils ont opté pour des capsules vidéo et des travaux.

Chercher l’ordi

Encore fallait-il que tous les élèves aient accès à un ordinateur. Sur les 700 élèves d’Honoré-Mercier, 128 avaient besoin de matériel informatique pour suivre leurs cours. L’école a pu prêter ses 62 ordinateurs, une clinique médicale a fait don de ses vieux appareils. Mais fin mai, l’opération de distribution n’était pas encore terminée.

Selon la directive de Québec, les élèves qui étaient déjà en réussite à la deuxième étape n’avaient pas trop de souci à se faire : ils seraient automatiquement promus au niveau suivant.

D’autres élèves, trop loin de la réussite, ont filé entre les mailles de l’enseignement à distance, disparaissant carrément de l’écran radar.

C’est pour des élèves comme Carolane, qui a été acceptée au cégep en sciences humaines à condition de réussir son cours de français de cinquième secondaire, que l’enjeu de l’enseignement à distance est le plus crucial.

Apprendre sur son cellulaire

J’ai revu huit élèves de Sophie Camiré sur Teams, le 27 mai. Sept d’entre eux avaient accès à un ordinateur et à l’internet, la huitième suivait ses cours sur son cellulaire.

« Au début, quand l’école a fermé, j’étais contente, mais après deux semaines, tu t’ennuies », a confié Brunette.

Même chose pour Mamour, qui passe beaucoup de temps à jouer sur sa PS4, mais fait ses travaux scolaires sous la surveillance étroite de sa maman.

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Sofiane a continué sa formation à distance avec des capsules vidéo enregistrés par ses enseignants.

Majorie a dit qu’elle s’ennuyait de l’école, Sofiane a confié qu’il profitait du confinement pour jouer avec ses frères et dormir.

Tous espèrent que l’école recommencera « pour vrai » en septembre…

Fin d’année en « drive-in »

Le soleil brûlant plombe sur le stationnement des autobus devant la polyvalente Mont-Bruno. C’est le 19 juin et la cérémonie de diplomation se déroule sous forme de « drive in ». Les élèves vêtus comme s’ils allaient au bal passent en auto de station en station, pour prendre un verre de boisson gazeuse, recevoir leur diplôme, se faire prendre en photo.

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Malgré la pandémie, Carolane a reçu son diplôme d’études secondaires, vendredi.

Une fin d’année joyeuse après une année qui a failli se terminer en queue de poisson. Eh oui, Carolane a réussi son cours de français. Direction cégep.