Ce sera une fin d’année mémorable, avait-elle promis à ses élèves, avant la pandémie.

« C’est votre fin du primaire. C’est ma fin de carrière. On va se faire toute une fin d’année ! »

Elle voulait que ce soit mémorable. Mais pas mémorable comme ça…

Après 35 ans d’enseignement, Brigitte Bourque part à la retraite le cœur gros, la tête pleine de souvenirs.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Après 35 ans d'enseignement, Brigitte Bourque prend sa retraite le cœur gros, la tête pleine de souvenirs.

Elle part avec une conviction profonde : celle d’avoir eu le privilège d’exercer une profession passionnante.

Elle part avec un grand regret aussi : celui de ne pouvoir serrer dans ses bras ses élèves de sixième à qui elle dira adieu, mardi.

Il y aura une haie d’honneur. Il y aura des larmes aussi, c’est sûr.

« C’est toujours émouvant ce moment. Mais là… on va devoir se consoler de loin… »

Lorsqu’elle a appris que, COVID-19 oblige, il n’y aurait pas de retour en classe avant l’automne, l’enseignante de l’école de la Sablière, à Terrebonne, n’a pu retenir ses larmes.

« Oh ! Non ! Ce n’est pas vrai que je vais finir ma carrière pas d’enfants ! »

Elle avait signé ses papiers de retraite en février. Un mois plus tard, elle regrettait de l’avoir fait. Elle a tenté de faire marche arrière.

« Je n’ai pas enseigné 35 ans pour finir comme ça ! Je veux revenir ! Moi, je suis vraiment une fille de liens. Je suis encore en contact avec ma première cohorte à qui j’ai enseigné il y a 35 ans. Et là, je finis ma carrière pas d’enfants ! Vous ne pouvez pas me faire ça ! »

Mais il était trop tard. L’enseignante s’est résignée, le cœur brisé.

« J’avais un gros deuil à faire. »

Elle a dû s’adapter, travaillant très souvent six ou sept jours par semaine pour bien accompagner ses élèves jusqu’à la fin de leur primaire. « C’est une fin d’année et une fin de carrière complètement folles. Mais les enfants m’ont tellement impressionnée. C’est incroyable, leur capacité d’adaptation. Ce sont les héros de ce grand confinement. »

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Sur ses 35 ans d’enseignement, Brigitte en a passé 34 dans la même école. « Il y a des briques qui m’appartiennent ! »

Des briques et une montagne de souvenirs.

Ces enfants qu’elle a tant aimés et avec qui elle a tissé des liens très forts, grâce au bouclage (mieux connu sous l’appellation anglaise looping), qui permet de demeurer avec le même groupe pendant deux ans. « Ils savent quand on les aime. »

Tous ceux en qui elle a cru plus qu’ils ne croyaient parfois eux-mêmes. Les « tannants » souvent si attachants. Ceux qu’elle a poussés de l’échec à la réussite. « J’en ai eu, des victoires. Ça, c’est notre paye. »

Elle a eu le bonheur d’enseigner aux enfants de certains de ses anciens élèves. Elle a aussi eu le plaisir d’accueillir comme stagiaire dans sa classe une élève à qui elle avait enseigné en quatrième et en sixième. Elle a été invitée au 40anniversaire de jumelles qu’elle a connues lorsqu’elles avaient 10 ans.

Dans son cœur, il y a aussi le souvenir de cette élève dont la mère était atteinte d’un cancer. « Avec ma gang, on avait organisé une grande collecte auprès des commerces et des familles de l’école, afin de leur rendre, à elle, sa maman et sa famille, le temps des Fêtes plus doux. »

Elle repense à tous ces jours où sa fille, atteinte de trisomie 21, venait faire du bénévolat dans sa classe. « Mon école est comme une grande famille. »

Elle repense à ses collègues qui vont tant lui manquer. À tous les projets fous qu’elle a lancés avec ses élèves et dont ils lui parlent encore des années plus tard.

Depuis une douzaine d’années, Brigitte était connue comme la prof qui fait marcher ses élèves. L’idée est née un matin d’automne, alors qu’elle se trouvait devant un groupe très difficile et se demandait comment elle allait passer à travers l’année scolaire avec une telle classe. Pourquoi pas une marche rapide matinale ? s’est-elle dit, après avoir vu des études qui en montraient les bienfaits pour les élèves.

C’est ainsi que beau temps, mauvais temps, avant de commencer la journée, Brigitte invitait ses élèves à déposer leur sac à l’école et à retourner dehors.

Elle les emmenait dans la forêt juste à côté. Les jours de tempête, quand les sentiers étaient tout blancs, elle adorait leur faire apprécier la nature. Elle leur proposait de faire des anges dans la neige. « Je leur disais : “Regardez chacune des branches. Regardez comme c’est beau.” »

De retour en classe, elle leur préparait un chocolat chaud.

« Il y en a pour qui c’était la seule activité physique de la journée. J’ai tout de suite vu l’effet sur leur concentration. »

Parfois, lorsqu’elle revoit ses anciens élèves qui sont à l’école secondaire, ils lui disent : « Brigitte, je m’ennuie de nos marches ! »

Désormais, elle va s’en ennuyer aussi, c’est certain. « Mon école prend tellement de place dans mon cœur… »

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La dernière journée d’école est toujours surchargée d’émotion.

« Habituellement, quand on laisse nos élèves après deux ans, ils pleurent, les enseignantes pleurent, les parents pleurent aussi… On a vraiment de la peine. »

Cette dernière journée le sera encore plus puisque, distanciation physique oblige, il faudra se consoler de loin… « Il faudra que l’on mette de la musique festive ! On va essayer de rendre ça agréable. On a prévu des surprises. »

Au fait, comment on fait ça, se consoler de loin ?

« Je ne sais pas… », dit Brigitte, la gorge nouée.

Devant la haie d’honneur pour ses élèves, à l’occasion de cette fin d’année et cette fin de carrière « mémorables », tout indique qu’il y aura une enseignante émue qu’il faudra aussi consoler.