(Saint-Sauveur) Accusant l’opposition d’obstruction, le ministre de l’Éducation Jean-François Roberge brandit la menace d’un bâillon pour faire adopter son projet de loi qui abolit les élections scolaires et transforme les commissions scolaires en centres de services aux écoles.

« Ce n’est pas ce qu’on souhaite sincèrement, mais écoutez, peut-être qu’il faudra en arriver là un moment donné », a-t-il affirmé vendredi, lors d’une mêlée de presse en marge d’une réunion du caucus caquiste pour préparer la rentrée parlementaire de la semaine prochaine.

Le ministre « souhaite que la transition soit faite vers la nouvelle gouvernance [du réseau scolaire] pour le 1er juillet ». Il veut « des centres de services effectifs et des conseils d’administration formés et en fonction » à temps pour ce jour-là.

Pour y arriver, le projet de loi 40 devra être « adopté quand même assez rapidement cet hiver », au cours des « prochaines semaines », a-t-il précisé. Le bâillon « va faire partie des options si, un moment donné, on n’est pas capable de l’adopter dans les mesures régulières ».  

Il reproche justement à l’opposition de faire traîner les débats en longueur sur ce projet de loi qu’il a déposé le 1er octobre, plus tard que prévu.

« C’est sûr qu’il va falloir que les oppositions arrêtent de faire de l’obstruction. On aura bientôt fait 100 heures de travaux en commission. Il y a des mesures dilatoires, des amendements déposés, redéposés », a-t-il soutenu.

Le projet de loi prévoit que le mandat des commissions scolaires doit prendre fin le 29 février, mais « ça va probablement changer de quelques semaines » dans ce contexte, a indiqué le ministre.

Avec un bâillon, les règles normales de procédure à l’Assemblée nationale sont suspendues afin d’écourter les débats et de procéder en quelques heures à l’adoption d’une loi. Le gouvernement Legault l’a utilisé trois fois depuis son arrivée au pouvoir à l’automne 2018 : pour les lois sur l’immigration, la laïcité de l’État et les tarifs d’Hydro-Québec.

Jeudi, des membres de Fédération syndicale de l’enseignement (FSE-CSQ) puis d’autres de la Fédération autonome de l’enseignement (FAE) ont manifesté tour à tour contre le projet de loi 40 devant le Manoir Saint-Sauveur où se tient le caucus caquiste. Jean-François Roberge considère qu’ils représentent l’opinion d’une minorité parmi la profession enseignante. « La grande majorité des enseignants comme la grande majorité des Québécois appuient le projet de loi 40 », a-t-il dit.

Selon lui, « plusieurs syndicats utilisent le projet de loi 40 comme effet de levier pour se donner un rapport de force dans les négociations dans le secteur public ».

Les partis d’opposition se sont empressés de réagir à la sortie du ministre. Ils lui reprochent d’être lui-même responsable de la longueur des travaux. La députée du Parti québécois, Véronique Hivon, a taxé le ministre de faire preuve « d’énormément d’improvisation », de « manquer de profondeur » et de ne fournir « aucune réponse ».

« On est en train de revoir complètement la gouvernance, de centraliser les pouvoirs, de revoir le cadre de fonctionnement de l’enseignement au Québec parce qu’on touche aux pouvoirs des enseignants et [le ministre Roberge] nous met tout ça dans un projet de loi de 300 articles qui modifie 80 lois et après 11 jours de travail, on serait supposé dire “merci bonsoir, c’est trop” ? Franchement », a pesté  Mme Hivon, en marge du caucus présessionnel de sa formation à Sherbrooke.

La libérale Marwah Rizqy et la péquiste Véronique Hivon estiment d’ailleurs que l’étude détaillée du projet de loi – l’étape qui suit les consultations et qui vise à analyser chaque article – dure depuis une cinquantaine d’heures et non 100, ce qui est dans les normes selon elles.

« Si le ministre improvisait moins, s’il savait plus où il s’en va et s’il était capable de répondre lui-même aux questions qu’on lui pose, ça aiderait beaucoup les choses […] Le ministre depuis le début, c’est clair qu’il veut faire adopter ce projet de loi par bâillon, il n’en a rien à cirer du débat », a ajouté Mme Hivon.

Pour Marwah Rizqy, le ministre « a toujours eu l’intention » d’utiliser le bâillon et « n’avait jamais voulu l’avouer » jusqu’ici. Il ne doit en faire porter l’odieux à l’opposition, a-t-elle insisté. Selon elle, « il y a énormément de lacunes dans le projet de loi », et le gouvernement cherche à imposer des amendements qui visent le travail des enseignants et qui devraient plutôt faire l’objet d’une négociation avec les syndicats.