Même les voyageurs qui rentrent au Québec en provenance de la région de Wuhan peuvent retourner à l’école ou au travail s’ils ne présentent pas de symptômes d’infection au coronavirus, estiment les autorités en santé publique québécoises, qui, contrairement aux États-Unis, à l’Australie, au Royaume-Uni ou à la France, ne préconisent pas de quarantaine.

« Si vous ou votre enfant revenez de Wuhan et que vous n’avez pas de symptômes, vous pouvez poursuivre vos activités habituelles, incluant la fréquentation d’un service de garde ou d’un établissement scolaire », écrit la Direction régionale de santé publique de Montréal dans une lettre envoyée mercredi aux parents des élèves d’écoles primaires et secondaires et d’enfants en services de garde, mais aussi aux établissements d’enseignement postsecondaire.

Le gouvernement canadien, qui organise actuellement le rapatriement de quelque 160 Canadiens qui se trouvent en Chine, a dit mercredi ne pas avoir encore décidé s’il y aurait quarantaine ou pas.

Jointe au téléphone, la Dre Anne Gatignol, professeure en microbiologie à l’Université McGill, est catégorique : une quarantaine doit tout de suite être envisagée et organisée au plus vite. « Il m’apparaît évident que ceux qui rentreront de la région de Wuhan doivent être en quarantaine pendant 14 jours. »

La même précaution s’impose à son avis, pour ceux qui auront passé environ 15 heures sur un vol privé avec des gens en provenance de cette même région.

« Je ne suis pas ministre, ce n’est pas à moi de décider », souligne la Dre Gatignol, mais elle rappelle que les gens qui rentreront au pays auront tôt fait de rencontrer des dizaines et des dizaines de personnes et bien davantage si elles prennent les transports en commun.

Le coronavirus est moins mortel que le SRAS, mais il semble très contagieux, à peu près aussi contagieux que la grippe.

La Dre Anne Gatignol, professeure en microbiologie à l’Université McGill

La pertinence d’une quarantaine pour les Québécois rapatriés de Wuhan, notamment les enfants qui retournent à l’école, doit « être décidée par la santé publique, eu égard aux situations spécifiques », croit pour sa part Raymond Tellier, microbiologiste à l’Université McGill. « Il y a de fortes chance qu’une quarantaine soit indiquée pour plusieurs de ces personnes, voire pour toutes. »

Quant à ceux qui rentreront de Chine mais pas nécessairement de la région de Wuhan, il ne serait pas possible de tous les mettre en quarantaine, estime la Dre Gatignol. « Pour ceux-là, il faut mettre en application les vérifications mises en place aux aéroports »

L’Australie a annoncé une quarantaine dans une île de l’océan Indien pour ceux qui rentrent de Wuhan. La France, qui a un cinquième cas confirmé sur son territoire, privilégie aussi la quarantaine de 14 jours alors qu’un premier avion de rapatriement est parti mercredi de Wuhan. Avant d’être rapatriés de là-bas, 200 Britanniques ont d’abord dû signer un contrat par lequel ils s’engageaient à respecter la quarantaine de 14 jours (qui, selon les premières indications, se dérouleraient sur une base militaire), qu’ils présentent ou non des symptômes.

Aux États-Unis, les 200 Américains évacués de Wuhan et arrivés mercredi en Californie seront en quarantaine pendant trois jours, voire 14 s’ils présentent des symptômes. La quarantaine est officiellement volontaire, mais tout est mis en place pour que tous les passagers la respectent.

Le Québec moins inquiet?

Pourquoi les autorités de santé publique au Québec comme au Canada semblent-elles moins inquiètes ? Pourquoi le Québec recommande-t-il simplement aux voyageurs d’appeler Info-Santé s’ils présentent « de la fièvre, de la toux ou des difficultés respiratoires dans les 14 jours suivant un retour » ?

En entrevue téléphonique, le Dr Alain Poirier, directeur de santé publique en Estrie, explique que les mesures à prendre « doivent être proportionnées à l’épidémiologie et au risque ».

Il explique que lorsqu’il allait travailler dans les pays africains aux prises avec la maladie à virus Ebola, des appareils prenaient systématiquement sa température corporelle à l’aéroport, ce qui n’était pas le cas au Canada, au retour.

Certains pays, dit-il, en font plus que ce que les protocoles officiels prescrivent, « pour éviter par exemple d’être sur des listes noires d’un point de vue économique ».

Si on impose des conditions plus sévères aux gens, certains risqueraient de se cacher. Mieux vaut à son avis conscientiser les Canadiens de retour au pays, effectuer des suivis et des appels téléphoniques.

Dans le temps de la fièvre Ebola, en Afrique, on suivait par exemple les gens par des appels téléphoniques quotidiens à la maison. Et le taux de mortalité était autrement élevé. Il était de 50 %, alors qu’on parle ici de 2 % à 3 %.

Le Dr Alain Poirier, directeur de santé publique en Estrie

Mais étant donné qu’on en sait encore très peu sur l’incubation et la contagiosité du coronavirus, qu’on n’a ni médicament ni vaccin, le principe de précaution ne commande-t-il pas des mesures plus sévères ?

À cela, le Dr Poirier répond que comme dans le cas du H1N1, les différents spécialistes autour d’une même table ne seront pas tous du même avis. Certains penseront qu’il faut fermer des écoles, d’autres rappelleront qu’en conséquence, des parents ne pourront pas aller travailler et que l’économie s’en ressentira.

Le H1N1 était cependant déjà au pays, ce qui n’est pas encore le cas au Québec, lui soumet-on.

« Mais s’il y a 70 000 personnes actuellement en Chine », comment tous les rapatrier et leur imposer une quarantaine ? demande le Dr Poirier.

— Avec la collaboration de Marie-Eve Morasse et de Mathieu Perreault, La Presse