Professeur au département de communication de l’Université d’Ottawa, Boulou Ebanda de B’béri devient le premier conseiller spécial d’un comité « antiracisme et inclusion » tout juste créé dans cet établissement. « Ce sera tout un défi, et je sais que ce n’est pas le plus sexy des comités ! », lance-t-il d’emblée en riant.

C’est que son arrivée en poste, en janvier, se fera dans la foulée de la tempête qui a secoué l’Université d’Ottawa cet automne quand une professeure a été suspendue après avoir employé le tristement célèbre « mot commençant par n » devant des étudiants, dans le contexte d’un cours.

On s’arrête tout de suite. Est-il acceptable à son avis d’utiliser ce mot pour situer le lecteur qui n’a peut-être plus cette controverse en tête ? Boulou Ebanda de B’béri estime que oui. Quand c’est fait « dans un contexte pédagogique et informatif », quand c’est fait dans le respect, aucun problème.

Et en classe ? Idem, « à condition de contextualiser », d’user de doigté.

M. de B’béri a d’autant plus conscience qu’il ne présidera pas le plus reposant des comités que l’Université d’Ottawa part de loin, à son avis. Dans le département où il enseigne, ils ne sont que deux ou trois professeurs à être issus de minorités culturelles, explique-t-il, ajoutant dans la foulée qu’il existe aussi un gros déséquilibre entre le nombre de femmes et le nombre d’hommes.

En cela, l’Université d’Ottawa n’est pas si différente de toutes les autres, relève-t-on. « Exact. Elle n’est pas pire que les autres. Mais elle n’est pas mieux non plus. »

L’Université d’Ottawa le reconnaît elle-même implicitement dans son communiqué annonçant la nomination de M. de B’béri. La création du comité, dit Jill Scott, provost et vice-rectrice aux affaires académiques, vise à ce que « l’Université évolue rapidement pour devenir un campus plus inclusif, diversifié et accueillant ».

À ceux qui auraient trouvé qu’il y a eu tempête dans un verre d’eau plus tôt cet automne, que les étudiants ont eu la mèche bien courte en réagissant aussi fortement au mot de cinq lettres, M. de B’béri dirait qu’il faut remonter aux sources de la colère.

Quand vous subissez des microagressions depuis longtemps, ces questions [d’épithètes racistes] peuvent devenir épidermiques pour vous.

Boulou Ebanda de B’béri, professeur au département de communication et premier conseiller spécial d’un comité « antiracisme et inclusion » de l’Université d’Ottawa

Le climat est certes toujours tendu. À peine créé, le comité que présidera Boulou Ebanda de B’béri est déjà contesté. Une manifestation a été organisée par le syndicat étudiant de l’Université d’Ottawa, qui estime que ce comité est une nouvelle façon d’« exploiter les membres de notre communauté » et qu’il n’a aucune légitimité. Le recteur Jacques Frémont est aussi visé par des pétitionnaires d’un autre clan qui estiment, eux, qu’il a laissé des étudiants harceler des professeurs et ainsi porté atteinte à la liberté d’enseignement.

Québec et suprématie « eurocentrique, blanche et masculine »

Dans un texte publié en août 2020 dans Le Devoir, M. Ebanda de B’béri, qui est né au Cameroun, a livré le fond de sa pensée sur la discrimination en l’abordant, dans cette tribune, sous l’angle québécois.

Il y raconte qu’à son arrivée ici, où il a fait ses études, puis fondé une famille, il s’est déjà senti « bien Québécois, très Montréalais ».

C’était, écrit-il, avant qu’il tente en vain de décrocher un poste dans l’une ou l’autre des universités québécoises qui l’avaient formé, « alors que plusieurs universités ontariennes, européennes et américaines sollicitaient [s]on expertise ».

Dans ce texte, il dénonce l’absence de personnes des minorités dans les hauts postes universitaires.

« En dehors de l’UQAM, qui a nommé en 2020 une minorité au poste de vice-recteur, et Concordia, nous sommes encore au Temps des bouffons [film pamphlétaire de Pierre Falardeau] : tout est blanc. Et si c’est cela, votre “évolution tranquille”, ce pays verra encore bien plus de ses talents lui échapper, car il y a un fait : ce Québec d’exclusivité blanche survivra certes, mais pas pour longtemps puisque ses autres enfants, comme les miens, le quitteront pour s’épanouir ailleurs, non parce qu’ils rejettent le projet de société, mais faute de s’y reconnaître. »

« Dénions-nous aujourd’hui l’ubiquité colonialiste et la suprématie eurocentrique, blanche et masculine, des boys clubs qui gèrent nos institutions ? », demandait M. de B’béri.