Des étudiantes s’étant vu refuser leur diplomation par l’Université de Montréal (UdeM) demandent à obtenir justice. Elles dénoncent qu’un changement réglementaire adopté il y a quelques années, qui impose dorénavant un délai maximal pour terminer un baccalauréat « par cumul », ait été « mal publicisé » et expliqué. Une association poursuit actuellement l’établissement à cet égard.

« C’est aberrant. Le système académique doit s’adapter à la vie d’aujourd’hui. Ça cause beaucoup de frustration », lance Martine Laeremans, qui est infirmière à l’hôpital de la Cité-de-la-Santé de Laval depuis 18 ans. En 2011 et en 2015, deux incendies majeurs sont survenus à son domicile, le deuxième ayant même requis « la reconstruction complète » de sa maison. Son quotidien a été suspendu pendant plusieurs années.

Le printemps dernier, à l’issue de ses études, la femme de 43 ans n’a pu recevoir son baccalauréat « par cumul » – soit trois certificats de suite. La raison : elle avait dépassé de quelques mois le délai maximal entre son premier et son dernier certificat, qui est de 10 ans depuis 2015, en vertu du Règlement des études de premier cycle.

« Je comprends qu’il y a des règles, mais ils ne sont pas capables de s’adapter au parcours des gens. On met tout le monde dans le même panier, dit Mme Laeremans. Je dois reprendre des cours alors que je travaille déjà. Je trouve ça inconcevable, surtout quand on sait que le besoin d’infirmières est criant au Québec. »

L’Association des étudiants de la faculté de l’éducation permanente recense 18 cas relativement similaires. Le groupe a lancé une poursuite contre l’université il y a quelques mois. « Les membres qu’on représente ont terminé leur dernier certificat au moment où les règles changeaient, sauf qu’ils n’ont jamais eu l’information », dénonce le coordonnateur, Hadrien Chénier-Marais.

« On constate que l’université n’a pas fait son travail de publiciser le règlement comme il faut à l’époque. Certains ont eu de mauvaises informations comme quoi il n’y aurait pas de problème à obtenir un baccalauréat », ajoute-t-il. Les audiences de la poursuite devaient avoir lieu en mai, mais ont été reportées à novembre 2021, pandémie oblige.

« Ça me ferme beaucoup de portes »

Sophie Rigaud est dans la même situation. Elle a terminé ses études en décembre 2017, près d’un an après la nouvelle limite imposée par l’université. « Pendant mes études, j’ai eu trois enfants et un congé maladie du travail. Ce n’est qu’à la fin de mes trois certificats qu’on m’a dit que j’avais excédé la période de 10 ans », raconte-t-elle. Pour cette infirmière, qui travaille au CISSS de Laval depuis 2007, la situation est injuste.

Ça me ferme beaucoup de portes. Je n’ai pas la rémunération d’une bachelière ni les mêmes accès à des postes. On parle pourtant de congés de maternité.

Sophie Rigaud, infirmière au CISSS de Laval

« Je ne vois pas pourquoi on ajoute une limite de temps, surtout quand on sait que de toute façon, les infirmières reçoivent une formation chaque année. Ce n’est pas comme si on perdait nos notions », raconte Geneviève Arcand, une autre infirmière qui a dû se résoudre à travailler dans le réseau privé comme il n’était pas possible d’obtenir son diplôme. « Dans l’agence où je suis, au moins, les salaires sont les mêmes pour tout le monde. Au public, sans bac, c’est complètement différent », souligne-t-elle.

Chef d’unité au CHSLD de Sainte-Dorothée, Sophie Jean s’est aussi butée à un refus de diplomation, n’ayant pas réussi à terminer son baccalauréat par cumul à temps, notamment à cause de la naissance de ses enfants et d’un arrêt de travail. « J’étais à la fin de mon dernier certificat quand on m’a avisée du changement. Sur le coup, je ne me suis même pas sentie concernée. Je me disais qu’ils ne pouvaient pas faire ça au monde », relate-t-elle.

Le comble, c’est que l’université nous invite à faire une maîtrise, puisque nos 90 crédits sont quand même validés. On nous offre une maîtrise, mais pas de bac.

Sophie Jean, chef d’unité au CHSLD de Sainte-Dorothée

« Notre règlement est clair », rétorque l’UdeM

Appelée à réagir, l’Université de Montréal dit comprendre la situation de ces étudiantes, mais affirme que les nouvelles règles sont là pour une raison. « Elles font en sorte que le bac par cumul est octroyé à un moment rapproché de la fin des derniers cours, et donc garantissent que la formation est récente », dit sa porte-parole, Geneviève O’Meara, en ajoutant qu’elle ne fera aucun commentaire sur le processus judiciaire en cours.

Malheureusement, notre règlement est clair et rien ne nous permet de faire des exceptions. […] L’obtention d’un bac par cumul va au-delà du simple calcul d’un total de crédits. C’est un geste académique que l’université pose en l’octroyant.

Geneviève O’Meara, porte-parole de l’Université de Montréal

Mme O'Meara précise que les discussions concernant les modifications de l’article 17 ont débuté en 2014. « L’article 17 est entré en vigueur le 1er janvier 2015. Le nouveau libellé prévoyait des mesures transitoires jusqu’au 1er janvier 2017 », assure-t-elle.

La mobilisation des étudiantes a eu des échos jusque dans les couloirs de l’Assemblée nationale. Des discussions ont eu lieu entre le cabinet de la ministre Danielle McCann et l’université, ainsi que le député de Sainte-Rose, Christopher Skeete, qui se dit « très touché » par ces histoires.

« Il faut comprendre que les universités sont autonomes dans leurs règles et gouvernes », indique le cabinet de M. Skeete, en disant avoir malgré tout tenté de « sensibiliser l’université » à cette situation particulière.