Des enseignants suppléants, qui se promènent d’une école à l’autre, appréhendent la rentrée scolaire. Malgré la COVID-19, ils devront travailler dans cinq, dix, voire vingt écoles pour remplacer des enseignants absents. Pourtant, les déplacements de personnel, c’est exactement ce qui a causé une hécatombe dans les résidences pour aînés, au printemps.

Depuis trois ans, Christine Veillette a remplacé des enseignants dans une quinzaine d’écoles de la Rive-Sud de Montréal. Si on lui offre une classe cette année, elle prendra la proposition en considération. Sinon, elle ne veut plus effectuer des remplacements dans plusieurs écoles différentes. Du moins, pas dans le contexte d’une pandémie.

« S’il y a quelque chose qu’on aurait dû tirer comme leçon, c’est bien ça, le déplacement de personnel. C’est comme si on reproduisait l’échec des CHSLD dans un autre milieu, celui de l’éducation », souligne Mme Veillette.

Afin de réduire la circulation du personnel entre les écoles, Mme Veillette souhaiterait que chaque établissement ait un suppléant attitré pour l’année scolaire entière. « Intégrer des gens de l’extérieur dont on ne connaît pas les allées et venues, je pense que ça augmente les risques [d’éclosion] », dit celle qui a travaillé pendant huit ans en réadaptation scolaire avant de se réorienter vers l’enseignement primaire.

En juin dernier, Marc* s’est fait offrir de renouveler son contrat qui lui garantit 180 jours de suppléance dans des écoles de la couronne nord de Montréal. Les déplacements de personnel sont la première chose qui lui est venue en tête à ce moment.

« Je vais me faire étiqueter par mes collègues enseignants qui ne voudront peut-être plus manger avec moi à la salle du personnel le midi, et par les élèves qui commencent peut-être à avoir peur des inconnus », affirme celui qui a préféré garder l’anonymat, car il ne veut pas nuire à ses chances d’obtenir un poste permanent dans le milieu de l’éducation.

Le suppléant, qui a remplacé des enseignants dans une vingtaine d’écoles en deux ans, a tout de même décidé de prendre le contrat, au risque de se faire montrer du doigt.

J’aime quasiment mieux que les gens aient peur de moi et qu’ils ne m’approchent pas. Moi, je le sais que je fais attention. Je ne sors pas dans les bars, mes enfants n’ont pas vu leurs grands-parents depuis cinq mois, je respecte les consignes à la lettre. Donc si les gens ont peur de moi, tant mieux. Je me sentirai plus en sécurité.

Marc*

Roxanne Calestagne, elle, craint de faire moins de remplacements, car des écoles pourraient avoir moins souvent recours aux suppléants pour réduire les risques de faire entrer le virus dans leur établissement, dit-elle. Au printemps, certaines écoles à l’extérieur de Montréal ont en effet demandé à leurs enseignants de se remplacer entre eux lors d’une absence de courte durée.

« Ça me fait un peu peur. Je risque de ne pas me faire appeler autant que je pensais », explique celle qui aimerait pouvoir remplacer dans une seule école secondaire en attendant de terminer son doctorat.

Josée Scalabrini, présidente de la Fédération des syndicats de l’enseignement (FSE-CSQ), ne croit pas que les suppléants vont manquer de travail à l’automne. Avant la pandémie, le réseau de l’éducation manquait déjà d’enseignants, dit-elle. Certains d’entre eux, qui éprouvent des problèmes de santé, devront s’absenter de leur classe. D’autres ont devancé leur retraite dans le contexte de la pandémie.

Mme Scalabrini croit d’ailleurs que les écoles n’auront pas le choix d’avoir recours à des suppléants qui se promèneront dans plus d’un établissement. En fait, 46 % des enseignants sont considérés comme « précaires », c’est-à-dire qu’ils sont suppléants ou contractuels. « Ils sont d’une importance capitale pour faire rouler notre système. Pour s’assurer qu’il y a toujours un adulte pour accompagner nos élèves dans une classe, les suppléants sont absolument indispensables. »

Le ministère de l’Éducation dévoilera pour sa part son plan sanitaire en vue de la rentrée la semaine prochaine.

* Prénom fictif