À quoi ressemble le quotidien des écoles publiques ordinaires, ces mal-aimées d’un réseau à trois vitesses que beaucoup de parents fuient comme la peste ? Depuis l’automne, la journaliste Agnès Gruda et le photographe Edouard Plante-Fréchette ont suivi deux classes de secondaire, l’une à Montréal, l’autre sur la Rive-Sud. Le reportage a été brutalement interrompu par la COVID-19 – une épidémie qui a exacerbé les inégalités entre les réseaux privé et public.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

La classe d’histoire de deuxième secondaire de Sophie Camiré, à l'école Honoré-Mercier, à Ville-Émard

Des rêves à revendre

Une vingtaine d’ados fixent avec une attention surprenante la prof d’histoire Sophie Camiré qui, en ce matin frisquet de décembre, décrit l’époque qui a précédé la Révolution française.

Il est question des philosophes des Lumières : Voltaire, Rousseau et les autres. Ces penseurs qui défendaient les valeurs de liberté, d’égalité.

Quand on leur demande si, selon eux, ces idéaux sont respectés aujourd’hui, les jeunes hésitent. Qu’est-ce que l’enseignante veut savoir au juste ?

Madame Camiré précise la question : est-ce que les élèves pauvres ont les mêmes chances de réussir dans la vie que les riches ? Disons, de devenir médecin ?

Avant même qu’elle n’ait terminé son explication, Juliette élance son bras. À 13 ans, Juliette a des yeux qui pétillent et un visage tout en sourire. Pour elle, l’équation est simple. « Si t’es riche, tu peux payer des études pour devenir médecin, sinon, tu peux pas, ça coûte trop cher. »

Dans la classe, personne ne proteste. Déjà, la cloche sonne, annonçant l’heure du lunch, et les élèves courent pour rejoindre le brouhaha de la cafétéria.

Madame Camiré, elle, est complètement assommée.

Ça me rend tellement triste de voir qu’ils croient qu’il faut être riche pour devenir médecin, je n’en reviens pas…

Sophie Camiré, professeure d’histoire

Sophie Camiré enseigne l’histoire en première et deuxième secondaire à l’école Honoré-Mercier, dans le quartier montréalais de Ville-Émard. Une école de 670 élèves, affublée de la cote 10, la pire, sur l’échelle de la « défavorisation. »

Sa clientèle est parmi les plus démunies de la métropole. Pas seulement en matière de revenus des familles, mais aussi en fonction du niveau d’éducation et de taux d’emploi des parents.

Madame Camiré est la prof de rêve, du genre à vous donner envie de reprendre les cours d’histoire depuis l’Antiquité, au cas où un détail vous aurait échappé. « Vous êtes unique ! », lui lancent un jour les élèves, pour expliquer qu’ils adorent son cours bien qu’ils n’aiment pas trop aller à l’école.

Mais quand l’enseignante se rend compte qu’à 13 ou 14 ans, ses élèves pensent déjà que certaines professions leur sont interdites, pour des raisons économiques, ça la jette à terre. Au point de devoir essuyer quelques larmes.

Vétérinaire, astrophysicien, chirurgienne

Pourtant, quand on leur demande ce qu’ils aimeraient faire dans la vie, les élèves de Madame Camiré ont de l’ambition à revendre. Rayan veut être programmeur. Majorie et Océanne s’imaginent vétérinaires.

Il y a aussi Lara qui veut être avocate, Juliana qui se voit productrice de cinéma, Milana qui aimerait devenir ingénieure, sans oublier Sofiane, qui compte travailler comme astrophysicien pour la NASA.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

Sofiane compte travailler comme astrophysicien pour la NASA.

Si on se fie aux statistiques, seule une minorité d’entre eux seront en mesure de réaliser leurs rêves.

Dans un système scolaire à trois vitesses – écoles publiques ordinaires, écoles publiques sélectives et écoles privées – les élèves d'Honoré-Mercier partent avec un handicap.

Si 60 % des élèves du privé poursuivent des études supérieures, c’est le cas de 51 % des élèves du public enrichi, alors que seulement 15 % du secteur public ordinaire atteignent le niveau universitaire, a constaté Pierre Canisius Kamanzy, professeur à la Faculté de l’éducation de l’Université de Montréal.

Et selon sa recherche, à peine un élève du public régulier sur deux continuera sa formation au cégep.

Pourtant, quand on demande aux élèves de Sophie Camiré qui a l’intention d’étudier au cégep, les trois quarts lèvent la main.

Reportage inachevé

Plus le secondaire ordinaire, fréquenté par environ 60 % des élèves au Québec, en arrache, plus les parents le fuient, et plus les parents le fuient, plus il en arrache. C’est un cercle vicieux.

La Commission scolaire de Montréal* a recensé huit de ces écoles secondaires régulières « mal aimées. » Honoré-Mercier fait partie du lot.

Il y a un an, la CSDM a demandé aux huit « mal-aimées » de présenter un projet de révision de leur « offre de service. » Bref, de se revamper un peu pour freiner la saignée vers le privé et le public sélectif. L’équipe de l’école Honoré-Mercier a travaillé d’arrache-pied sur un projet de volet artistique, qui devait commencer avec une option « danse. »

Mais à cause de la pandémie, l’école n’a pas eu le temps de « vendre » son programme aux finissants des écoles primaires, si bien qu’il n’y a eu que huit inscriptions pour l’automne 2020, explique le directeur Jonathan Tessier, arrivé à la tête de l’établissement en janvier. Le projet est resté pour l’instant une patte en l’air.

L’école offre déjà un programme « Citoyens du monde » (PCM) qui accueille les élèves les plus enthousiastes, calqué sur les programmes internationaux, moins les tests d’admission. Au menu, il y a, entre autres, des cours de mandarin. Seule exigence : cumuler une moyenne générale de 75 %.

Les élèves du « PCM » ont aussi droit à des activités extracurriculaires, comme une sortie annuelle au musée de l’Holocauste de Montréal.

Sophie Camiré s’est démenée pour permettre à ses élèves du « régulier » d’aller visiter, eux aussi, ce musée. Un jour de janvier, toute fière, elle a annoncé à la classe que la sortie aurait bel et bien lieu le 9 mai. Pourquoi est-ce qu’on réserverait les sorties culturelles aux élèves les plus doués ?

Mais le 9 mai, l’école était fermée. Le musée de l’Holocauste aussi. La faute au coronavirus.

Deux écoles, deux réalités

Pour mieux comprendre la réalité du « secondaire public régulier », j’ai suivi deux classes, dans deux écoles, depuis octobre. La classe d’histoire de deuxième secondaire de Sophie Camiré à l’école Honoré-Mercier, à Montréal.

Et la classe de français de cinquième secondaire du professeur Pierre-Luc Hamel, à la polyvalente Mont-Bruno, à Saint-Bruno.

Deux écoles aux réalités socio-économiques très différentes (Mont-Bruno a un indice de « défavorisation » de 1, soit aux antipodes de Honoré-Mercier), mais avec un gros point en commun : cette image négative du « public régulier » qui leur colle à la peau, et les prive de ceux qui auraient pu devenir leurs meilleurs élèves dans leurs quartiers respectifs.

J’ai croisé des profs dévoués, enthousiastes, par moments découragés. Et des élèves attachants, qui avaient parfois la tête ailleurs, qui ne remettaient pas toujours leurs devoirs à temps, qui roupillaient pendant les cours, mais qui pouvaient sauter de joie quand ils réussissaient à franchir la barre du 60 ou du 70 % dans un examen.

Mon reportage s’est arrêté abruptement le 12 mars – jour du grand confinement. Ce jour-là, je devais assister à un cours sur le capitalisme à l’école Honoré-Mercier avant un brin de discussion avec les élèves.

Le cours n’a jamais eu lieu. Ce qui suit, c’est donc un peu l’histoire d’une expérience inachevée.

Mais l’épidémie de COVID-19 a aussi jeté un éclairage brutal sur le sujet même de ce reportage : les inégalités qui balafrent notre système scolaire.

Cette pandémie me démontre en pleine face à quel point c’est inégal. J’ai des élèves en situation d’échec qui auraient peut-être pu s’en sortir mais qui risquent de ne pas y arriver parce que leurs parents n’ont pas d’ordinateur.

Sophie Camiré lors d’un entretien à la fin mai

En arrière-plan, les enseignants d’Honoré-Mercier devinent des conditions de vie précaires. Des familles qui partagent un ordinateur à cinq, d’autres qui n’ont pas de connexion internet, des parents qui ont perdu leur boulot, des fins de mois difficiles à boucler.

Fin mai, une trentaine d’élèves de l’école Honoré-Mercier attendaient toujours d’obtenir un ordinateur portable ou une tablette. Les élèves des écoles privées, dont la majorité sont tenus d’acheter leur propre portable, avaient pu reprendre à distance le fil de leurs études une semaine après le début du confinement.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

Lusdary prend un lancer lors d'une pratique de basketball.

Classes lourdes

« Le régulier, ce n’est plus le régulier, il faut trouver un autre nom pour le désigner », m’avait dit l’ex-présidente de la Commission scolaire de Montréal, Catherine Bourdon-Harel, lors d’un entretien en préparation de ce reportage.

Le régulier, ce n’est plus du régulier, c’est du faible, soupire Sophie Camiré, le jour de notre première rencontre.

Dans la classe de Sophie Camiré, sur 21 élèves, 10 ont des « cotes de difficulté. » Dans six cas, ce sont des « cotes 10 », qui désignent des difficultés d’apprentissage. Deux ont des cotes 12, qui réfèrent à des troubles de comportement. Il y a aussi un élève souffrant d’un trouble du spectre de l’autisme, et un autre affligé de phobie sociale qui ne se joindra à la classe qu’en février.

La majorité des élèves ont des origines étrangères. Mais ça, ce n’est pas nécessairement un poids, au contraire. Car le quartier desservi par Honoré-Mercier, dans l’arrondissement du Sud-Ouest de Montréal, est en train de changer. Il se diversifie. Et il s’embourgeoise un peu, aussi.

« Aujourd’hui, le quartier est plus multiethnique, et on a des cultures qui valorisent l’éducation », laisse tomber un enseignant croisé à l’heure du lunch dans la salle des profs.

Dans la classe de Sophie Camiré, un des meilleurs élèves, c’est Sofiane, un garçon timide originaire du Togo qui a vécu quelques années en Espagne. C’est lui qui rêve de travailler à la NASA. Il est arrivé au Québec il y a un an. À l’examen d’histoire de deuxième étape, il a eu la meilleure note : 92 %. Ce jour-là, il a eu droit à deux bonbons de récompense.

*La Commission scolaire de Montréal a été officiellement abolie il y a quelques jours au profit du Centre de services scolaire de Montréal.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

École Honoré-Mercier, à Ville-Émard

L’école Honoré-Mercier en bref

Avec ses 701 élèves (équivalant à 902 si l’on pondère par le degré de difficultés scolaires), l’école Honoré-Mercier est un établissement secondaire de taille moyenne, campé au cœur d’un quartier en mutation. Ville-Émard, situé dans l’arrondissement du Sud-Ouest, s’embourgeoise lentement, et sa population se diversifie.

Plus du tiers (35 %) des élèves de son secteur « régulier » ont des difficultés scolaires nécessitant un plan d’intervention.

L’école est un point de service pour les TSA (enfants atteints de troubles du spectre de l’autisme), qui fréquentent cinq classes spécialisées. Mais une vingtaine d’autres élèves concernés sont actuellement intégrés dans les classes ordinaires, dites « régulières ».

L’école compte aussi cinq classes en adaptation scolaire, quatre classes d’accueil pour nouveaux arrivants et deux groupes du programme d’enrichissement « Citoyens du monde. »

Dans la cohorte de 2014-2015, 15 % des filles et 20 % des garçons ont quitté l’école sans diplôme ni qualification.

Autre mesure du faible taux de persévérance scolaire, l’école compte cinq groupes de première secondaire – mais seulement deux de cinquième secondaire.

Répondant à l’appel de la CSDM, la direction de l’école a conçu une « offre de service » améliorée, incluant danse et sports, pour attirer les meilleurs élèves. Avec la COVID-19, le plan n’a pu être appliqué à temps pour la rentrée de septembre.

« J’aime cette clientèle », confie le directeur Jonathan Tessier, qui a pris le relais du directeur démissionnaire Frédéric Prudhomme en janvier.

« Notre satisfaction, c’est de prendre un élève tout croche et de voir ses notes monter. »

Qu’est-ce qu’une cote de défavorisation ?

La cote de défavorisation est basée notamment sur l’indice socioéconomique qui prend en compte le niveau d’instruction de la mère et le taux d’emploi des parents. La cote 1 indique le milieu socioéconomique le plus favorisé, la cote 10, le plus défavorisé.

Au Québec, un tiers des élèves du public fréquentent des écoles cotées 8, 9 ou 10 et considérées comme des écoles accueillant une clientèle défavorisée.

La moitié des écoles de la CSDM ont un indice de défavorisation de 10.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

La classe d’histoire de deuxième secondaire de Sophie Camiré, à l'école Honoré-Mercier, à Ville-Émard

Portrait de groupe : Virginie, Océanne, Juliette et les autres…

Virginie

Virginie ne laisse personne indifférent. Tantôt baveuse, tantôt brillante, elle est souvent la première à lever la main pour répondre à mes questions, ou à celles de son enseignante.

L’adolescente de 13 ans ne s’appelle pas vraiment Virginie, mais comme elle est suivie par la DPJ, nous devons taire son identité.

Quand on lui demande comment elle imagine sa vie à 18 ans, elle joue la provocation. « Je me vois dans un deux et demie, couchée par terre parce que j’ai passé la nuit au bar. »

Quand on s’enquiert du métier qu’elle aimerait exercer, elle lance : esthéticienne parce que j’aime péter des boutons.

Mais quand Sophie Camiré, sa prof d’histoire, demande de nommer un des philosophes des Lumières, la même Virginie lance : Montesquieu.

Un autre jour, Madame Camiré demande comment s’appelait le premier constructeur d’automobiles. C’est encore Virginie qui lance sans hésiter : Henry Ford.

Malgré son intelligence vive, Virginie en arrache en classe. Au moment où la COVID-19 a frappé Montréal, elle échouait dans plusieurs matières, y compris l’histoire.

Il faut dire qu’elle en a beaucoup sur les bras. Dont un chum beaucoup plus vieux qu’elle : 20 ans et des poussières. L’affaire est de notoriété publique. Un jour, cette histoire a même provoqué une bataille dans la cour d’école. C’était dans le temps de l’Halloween. Un jeune a lancé à Virginie que ça n’avait pas d’allure qu’elle sorte avec un gars de cet âge-là. L’incident a dégénéré. L’école a dû appeler la police en renfort.

Cette semaine-là avait d’ailleurs été infernale, m’avait confié, début novembre, le directeur Frédéric Prudhomme.

Des élèves s’étaient battus dans un parc voisin, quelqu’un a lancé une bombe fumigène à l’école, puis il y a eu un incident de gaz poivre pour une histoire de fille, avait-il énuméré.

Au bout du rouleau, Frédéric Prudhomme a quitté le bateau quelques semaines plus tard.

Un jour d’automne, j’ai eu la surprise de voir le visage de Virginie dans un quotidien montréalais. L’entrefilet parlait d’une adolescente disparue. Le lendemain, elle avait été retrouvée. Fin de l’épisode.

Depuis le début de la pandémie, Virginie n’a pas donné signe de vie à l’école. Elle n’a pas touché au matériel scolaire mis en ligne par Madame Camiré, et ne s’est pas connectée sur Teams, l’outil d’enseignement virtuel utilisé par la CSDM.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

Juliette lors d’un cours de cheerleading

Juliette

« Moi, si j’étais riche, j’aurais une femme de ménage et une piscine », imagine Juliette à voix haute.

Avant d’ajouter : « Et j’aiderais l’Australie pour sauver les animaux pris dans les feux. »

Nous sommes à la mi-janvier et le coronavirus qui s’apprête à faire basculer le monde n’est encore qu’une lointaine menace. Ce qui impressionne plusieurs des élèves de Madame Camiré, ce sont ces incendies qui brûlent l’Australie.

Dotée d’une double ascendance écossaise et ivoirienne, Juliette est une ado ouverte et pleine de vie. Elle est la première à accepter de manger avec moi à la cafétéria de l’école. Elle se voit bien devenir psychologue.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

Juliette lors d’un cours de cheerleading

La discussion sur la richesse et la pauvreté, c’était à l’occasion d’un cours durant lequel le groupe a pu faire une visite virtuelle du château de Versailles.

« Ça sert à quoi d’avoir une si grande maison ? », s’était demandé une autre élève, Alexis.

À la fin du cours, les élèves font une déclaration d’amour à leur prof. « Vous êtes unique, Madame Camiré », lui lancent-ils.

Une semaine plus tard, c’est la correction des examens sur la révolution américaine. Les résultats sont catastrophiques : moyenne de 66 %, et huit échecs dans le test de connaissances.

« La semaine dernière, j’étais sur un nuage, puis là, on arrive à ce résultat. Est-ce qu’il y a un bout qui me manque ? », demande l’enseignante.

C’est ce jour-là que je mange à la cafétéria avec Juliette. Elle raconte qu’elle vit avec les cinq frères et sœurs de sa famille reconstituée. Son frère passe son temps sur Fortnite et « crie après tout le monde. »

« C’est impossible de relaxer à la maison », confie Juliette.

Le bout qui manque, il est peut-être là.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

Océanne lève sa main pour poser une question pendant son cours d’histoire.

Océanne

Océanne a des cheveux noir foncé qui tranchent avec son teint pâle. Elle aime les animaux et la danse. Elle dit qu’elle se sent bien à l’école… mais les notes ne suivent pas.

Le problème d’Océanne, c’est que sa famille n’arrête pas de déménager. Il y a eu ce propriétaire qui les a mis à la porte. Puis l’appartement trop humide, où il fallait vider le déshumidificateur trois fois par jour. Puis l’autre appartement, avec des « poteux » à l’étage du dessus. « Les voisins marchent fort, le plafond nous tombe dessus… »

« C’est vrai que je m’absente souvent, mais les seules fois où je suis calme, c’est à l’école ou pendant mes cours de danse », confie Océanne.

À l’arrivée de la COVID-19, Océanne en arrachait dans plusieurs matières. Va-t-elle réussir à passer en troisième secondaire ? À se rattraper grâce aux 60 % que représentent les notes de la troisième étape ? Difficile à dire, car sa famille vient de déménager, une fois de plus…

Alexis

Alexis a les cheveux rose et mauve, elle est inscrite au cours de cheerleading, elle aussi. Elle a de la difficulté à l’école, surtout en français. De la peine aussi à supporter la pression.

Ses parents l’encouragent : « Ils n’ont pas fini le secondaire et ils me disent souvent à quel point ils regrettent d’avoir décroché. »

D’où cette entente avec sa maman : à 15 ans, si elle a de bonnes notes, elle aura le droit de travailler.

« On vit bien, mais c’est fragile, j’aimerais pouvoir aider ma mère, en gagnant de l’argent. »

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

Installée dans sa chambre en raison de la pandémie, Majorie a continué à suivre ses cours à distance avec son téléphone.

Majorie

Majorie est arrivée à la rencontre des parents, en février, toute pimpante, les ongles peints couleur fuchsia. Le hic, c’est que Majorie était en voie d’échouer dans plusieurs matières, dont l’histoire. Pourtant, ses parents sont toujours là, présents, à l’appuyer, note l’enseignante Sophie Camiré. Est-ce l’attrait des écrans qui distrait Majorie de ses études ? se demande sa mère dans la cafétéria transformée en salle de rencontre avec les parents. Pas grave, répond Majorie. Si ça ne marche pas maintenant, « je finirai mon secondaire aux adultes ».

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

Le directeur de l’école Honoré-Mercier, Jonathan Tessier, lors de la cérémonie de remise des diplômes des élèves de cinquième secondaire, vendredi, avec les enseignantes Sophie Camiré et Fouzia Sahrane. M. Tessier a pris la relève de Frédéric Prudhomme en cours d'année.

« C’est un tue-monde, ce job-là »

Dès ma première rencontre avec Frédéric Prudhomme, fin octobre, celui qui exerçait alors les fonctions de directeur de l’école secondaire Honoré-Mercier, à Montréal, m’annonce qu’il est « brûlé » et qu’il ne fait que travailler et dormir.

Il se plaint que la directrice adjointe qui était là au moment de son atterrissage dans cette école de l’arrondissement du Sud-Ouest, cinq mois plus tôt, a plié bagage peu de temps après son arrivée. Et que celle qui l’a remplacée vient justement d’entrer dans son bureau en pleurant d’épuisement.

« Je supplie la CSDM de me donner une deuxième adjointe, la taille de l’école augmente, on accueille de plus en plus d’élèves, mais ils ne veulent pas. »

Une semaine plus tard, coup de théâtre : la nouvelle adjointe vient de claquer la porte, elle aussi.

« Elle n’y arrivait plus, c’est un tue-monde, ce job-là », se désole Frédéric Prudhomme.

« On devrait être trois, je me retrouve seul », proteste-t-il lors de notre deuxième rencontre, début novembre.

Un mois plus tard, c’est Frédéric Prudhomme lui-même qui décide de céder le gouvernail. Sa démission surprise sème la consternation parmi le personnel. Il était généralement aimé et il avait fait rêver les enseignants avec tous ses projets éducatifs. Comment peut-il laisser tout ça en plan ?, se demandent les enseignants.

Mais c’est fini, basta.

Son passage à la tête d’Honoré-Mercier n’aura pas duré six mois.

Lorsque nous nous reparlons, en décembre, Frédéric Prudhomme ne veut pas trop s’étendre sur les raisons de son départ. Il se contente de noter que depuis le départ de son adjointe, il roulait « sur l’adrénaline ».

« Je dors, je mange, je suis sur le pilote automatique. »

Il marchait sur un fil et le fil a fini par casser.

Portes tournantes

Jonathan Tessier, celui qui a pris sa relève en janvier, deviendra le quatrième directeur d’Honoré-Mercier en quatre ans. En plus des deux adjointes qui sont parties en l’espace de quelques mois. Le taux de roulement à la tête de cet établissement est époustouflant.

L’école Honoré-Mercier n’a pas le monopole du syndrome des portes tournantes.

Pendant mon séjour dans deux écoles secondaires publiques, j’aurai vu partir un directeur et deux adjointes – tous entrés en fonction depuis peu. Et ayant pris le relais de dirigeants qui avaient quitté le navire avant eux.

Mon rendez-vous avec Claudine St-Onge était prévu pour le 4 décembre.

Claudine St-Onge, c’est la directrice adjointe pour les élèves de cinquième secondaire à la polyvalente Mont-Bruno.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

La polyvalente Mont-Bruno, à Saint-Bruno

Ou plutôt : C’ÉTAIT. Car lors de notre rencontre, l’ancienne enseignante arrivée à Mont-Bruno en février 2019 m’annonce sa démission. Elle retournera à l’enseignement, 10 mois à peine après son entrée en fonction.

Claudine St-Onge ne veut pas trop s’attarder sur les raisons de son départ. Mais on devine que l’ampleur de la tâche et un sentiment d’impuissance y sont pour quelque chose.

Calme olympien

« Je suis d’un calme olympien », affirme Jonathan Tessier lors de notre première rencontre, en février, alors qu’il vient de prendre la relève de Frédéric Prudhomme à la tête de l’école Honoré-Mercier.

« Il y a comme un petit canard qui pédale par en dedans », nuance-t-il en entrevue, le 5 mars. À une semaine de l’annonce du confinement, Jonathan Tessier a déjà entrepris de mettre l’école à sa main. Deux élèves trop turbulents ont été renvoyés, le projet de « révision de l’offre scolaire » a été acheminé à la commission scolaire, il s’apprêtait aussi à faire repeindre l’école, à faire changer les tuiles de plafond contenant de l’amiante.

« Suis-je débordé ? Oui. La tâche est-elle importante ? Oui. Mais ma devise, c’est que l’éléphant se mange à petites bouchées… »

Ce printemps, le nouveau directeur de l’école Honoré-Mercier a appris qu’il aurait de l’aide pour venir à bout de l’éléphant. L’établissement a grossi suffisamment pour que la Commission scolaire de Montréal lui accorde un deuxième adjoint.