Comment le collège de Maisonneuve s’est-il relevé de la vague de départs et de tentatives de départ d’un groupe d’élèves vers le djihad, il y a quelques années ? Une équipe de documentaristes a passé plus d’un an entre les murs d’un des cégeps les plus gros et les plus multiculturels du Québec. Leur film raconte les tensions qui continuent d’opposer certaines communautés, mais surtout la bataille menée à l’interne pour « vivre un peu mieux ensemble ».

Présentée ce dimanche en première mondiale aux Rendez-vous Québec Cinéma, Maisonneuve – À l’école du vivre-ensemble se veut un message d’espoir. Un exemple concret du fait que « le jeu en vaut la chandelle », « qu’il vaut mieux essayer de s’ouvrir aux autres que d’imposer une vision ou de se replier sur soi-même », même si c’est plus compliqué, avance le cinéaste Nicolas Wadimoff, en entrevue avec La Presse.

Petit retour en arrière avant d’aller plus loin.

En 2015, une dizaine d’élèves du cégep ont quitté ou tenté de quitter le Canada pour aller rejoindre le groupe armé État islamique en Syrie. Deux de ces jeunes, Sabrine Djermane et El Medhi Jamali, ont d’ailleurs eu un procès à Montréal, au terme duquel ils ont été acquittés des accusations de terrorisme qui pesaient sur eux.

Dans la tourmente, le collège de Maisonneuve a reçu l’année suivante une subvention de 400 000 $ pour « mettre en place des mesures d’appui à la diversité ethnoculturelle ».

C’est dans ce contexte que Nicolas Wadimoff et la journaliste Emmanuelle Walter y ont effectué leur incursion, sorte de « laboratoire in vivo », pour reprendre les mots du réalisateur. Ils ont passé deux sessions à Maisonneuve, dont ils nous présentent l’univers à travers le regard d’une dizaine de protagonistes.

Nicolas Wadimoff voit en eux des « chevaliers de la cause du vivre-ensemble ». « C’est une démarche citoyenne pour mieux vivre ensemble aujourd’hui et encore mieux demain. »

Est-ce que ça marche ? Oui… et non.

Il ne faut pas être naïf, dit le cinéaste d’origine suisse : « Le chemin est long et ce n’est pas facile tous les jours. Mais il y a des moments qui donnent de l’espoir. »

Parmi ces moments, notons ceux qui mettent en scène Mohamed Mimoun, Momo pour les intimes, un « travailleur de corridor », sorte de travailleur de rue du collège embauché dans la foulée des événements de 2015. Il joue les modérateurs, apaise les esprits et multiplie les conseils, surtout auprès de membres de l’importante communauté arabo-musulmane.

Les interventions de Momo auprès d’Adam Belghadid, élève inscrit en comptabilité qui tente en vain de se faire élire à l’association étudiante (SOGEECOM), sont particulièrement révélatrices d’un clivage encore manifeste.

Ce clivage est ici illustré par les interactions entre deux groupes. D’un côté, des membres de l’association étudiante, blancs, ouvertement de gauche, militants antiracistes et impliqués dans la vie du cégep. De l’autre, des élèves arabes qui se sentent mis de côté et qui déplorent, parfois maladroitement, le manque de représentativité de leur association étudiante.

À la recherche de solutions

Malgré les efforts de réconciliation incontestables, le fossé persiste. Le jeune Adam, par exemple, ne comprend pas pourquoi les membres de l’assemblée lors de laquelle il présente sa candidature aiment mieux laisser un poste vacant que de l’élire trésorier, alors qu’il est pourtant inscrit en comptabilité. Les rires de quelques jeunes dans l’assistance quand sa défaite est annoncée font mal.

C’est Momo qui lui soulignera que les reproches formulés à l’endroit de l’exécutif étudiant pendant son discours devant les électeurs ont peut-être été à l’origine de sa défaite. Le travailleur de corridor fait une observation semblable à un autre jeune, Idir Mazouzi, lui aussi frustré des positions de l’association. « N’oublie pas, on est dans une société comme le Québec où la confrontation n’est pas quelque chose qui fait partie de la culture. Ça, c’est très méditerranéen. »

Lorsqu’une élève, Rayene Bouzitoun, adopte la stratégie opposée et s’assoit avec la SOGEECOM pour trouver des solutions visant à une meilleure représentativité culturelle, on est surpris de la réponse. « Je suis d’accord que c’est peut-être un problème, la représentativité, mais je ne suis pas d’accord qu’il y a des choses à faire en tant [qu’association]. C’est un syndicat d’application volontaire. Essayer de force d’intégrer des gens de minorités, ça ne serait pas trop une solution. Quand des gens voudront s’impliquer, ils s’impliqueront. »

Malgré ces écueils, la volonté de favoriser l’harmonie est visible. On la sent dans le discours des membres de la direction, mais aussi dans les paroles et les gestes du corps professoral et des élèves. Il y a cette prof de sociologie qui amène ses élèves en technique policière à la mosquée. Il y a ce futur policier qui participe bravement à une discussion sur le profilage racial avec un groupe composé uniquement de membres de minorités. Il y a cet animateur socioculturel qui apprend à jouer d’un instrument de musique pour gagner la confiance des membres d’une minorité.

« Il faut travailler fort. Il faut que tout le monde accepte de sortir de sa zone de confort », conclut le réalisateur. Son film montre que beaucoup l’ont fait au collège de Maisonneuve.