Deux étudiantes de HEC Montréal ont dû être conduites à l’hôpital en ambulance, en octobre, parce qu’elles étaient intoxiquées à l’alcool à la suite d’un 4 à 7 organisé par l’association étudiante. Des rapports d’incident de diverses universités québécoises obtenus par La Presse montrent que c’est loin d’être un cas isolé. 

« Un problème banalisé »

La scène se passe le lendemain de l’Halloween, dans une résidence étudiante de l’Université McGill. C’est vendredi, et le service de sécurité de l’université intervient à la suite de l’appel d’un étudiant qui affirme que son ami « ne se sent pas bien et est faible ».

PHOTO ELIZABETH D. HERMAN, ARCHIVES THE NEW YORK TIMES

Selon une étude menée par l’Institut national de santé publique du Québec, sept jeunes de 12 à 24 ans sont reçus aux urgences de la province chaque semaine, en moyenne, pour des cas d’intoxication aiguë à l’alcool.

À leur arrivée, il vomit. « Il était intoxiqué par l’alcool. Il respirait bien et était cohérent. À un certain moment, des traces de sang sont notées dans le vomi puis le volume de sang augmente. [L’étudiant] commence aussi à être moins alerte et à moins réagir », lit-on dans le rapport rédigé par le service de sécurité cette soirée-là. Au cours de la nuit, les ambulanciers transportent l’étudiant à l’Hôpital général de Montréal.

Deux jours avant, un incident semblable s’était produit dans la même résidence étudiante. À nouveau, au petit matin, un étudiant qui « sombrait constamment dans le sommeil », qui « frissonnait » et qui « refusait l’aide » des agents de sécurité a été transporté en ambulance aux urgences.

Toujours en octobre, cette fois à HEC Montréal, deux étudiantes ont dû être amenées en ambulance à l’hôpital parce qu’elles avaient bu trop d’alcool, une histoire rapportée dans les médias.

En vertu de la Loi sur l’accès à l’information, La Presse a demandé à toutes les universités québécoises de fournir la liste des incidents liés à l’abus d’alcool ou de drogue survenus sur leurs campus dans les cinq dernières années. Certaines universités, parmi lesquelles figurent l’Université McGill, l’Université Laval, l’Université de Sherbrooke, l’Université du Québec à Rimouski et l’Université du Québec à Chicoutimi, nous ont fourni des dizaines de rapports détaillés. D’autres, comme l’Université du Québec à Montréal, l’ETS ou l’Université de Montréal, ont refusé de nous les fournir.

HEC Montréal nous a fourni un seul rapport d’incident lié à l’alcool. Il relate qu’en février 2018, une étudiante inconsciente à la suite d’un 4 à 7 a dû être transportée en ambulance à l’hôpital.

Banalisation

Professeur à la faculté de médecine à l’Université de Sherbrooke, Claude Cyr a mené des recherches sur les impacts de la consommation d’alcool chez les jeunes. Il rit quand on lui parle d’un de ces cas, mais il n’est pas insensible au sort des jeunes adultes qui font des excès. « Ce n’est pas une nouvelle, à chaque party universitaire, il y a des étudiants qui partent en ambulance, dit le médecin. J’ai révisé des centaines de dossiers médicaux, c’est toujours les mêmes histoires. »

Le Dr Cyr connaît bien le « pattern ». « C’est des jeunes qui commencent par boire de la bière, du vin, qui boivent un peu avant d’arriver au party, dit-il. Pendant le party, parce qu’il y a une ronde de shooter ou un deux pour un, ils vont caler et avoir une augmentation importante de leur taux d’alcool. Souvent, ils vont sortir du groupe parce qu’ils ont mal au cœur, on va les retrouver à l’extérieur ou aux toilettes et on a de la misère à les réveiller. »

C’est une histoire classique qui n’en est pas moins grave. 

C’est un problème qui est banalisé parce que médicalement, ce n’est pas complexe. Les jeunes viennent aux soins intensifs, sont intubés, ils dessoûlent et le lendemain, ils partent.

Le Dr Claude Cyr, professeur à la faculté de médecine de l’Université de Sherbrooke

Pourtant, « les visites à l’urgence en ambulance, c’est la pointe de l’iceberg des méfaits de l’alcool chez les étudiants post-secondaires », poursuit le pédiatre. La consommation d’alcool a un impact sur leurs études, leur travail, leurs relations interpersonnelles, leur santé physique, mais aussi mentale, dit-il.

C’est un fait, les incidents se suivent et se ressemblent. Cette année, à l’Université du Québec à Rimouski, une étudiante s’est présentée au service de sécurité le lendemain d’une soirée très arrosée. « Consommation abusive d’alcool, lit-on dans le rapport. Vient nous voir le lendemain; perdu ses clés, ne se souvient pas de la veille, ne sait pas où elle a dormi. Panique […]. »

Le 8 septembre dernier, une étudiante a quitté le campus de l’Université de Sherbrooke en ambulance. « Le discours de madame n’est pas cohérent et elle ne semble pas se rappeler de sa soirée mise à part la prise d’alcool mais ne sait pas la quantité. Ses yeux sont vitreux, elle a le teint pâle et les mains moites. Elle a plusieurs moments, et de façon récurrente, où elle indique avoir très peur mais ne sait pas pourquoi », écrit l’agent de sécurité dans son rapport.

Sept jeunes par semaine aux urgences

Dans la foulée du décès de la jeune Athena Gervais, morte noyée après avoir consommé une grande quantité d’alcool en peu de temps en 2018, une étude menée par l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) a révélé que chaque semaine, en moyenne sept jeunes de 12 à 24 ans sont reçus aux urgences de la province pour des cas d’intoxication aiguë à l’alcool.

Cette même étude révélait que le taux d’intoxications aiguës à l’alcool chez les 18 à 24 ans a connu une augmentation significative si l’on compare le taux de 2017 à celui de la période 2014-2016.

Imaginez s’il y avait sept jeunes de 12 à 24 ans qui étaient transférés dans nos urgences parce qu’ils ont fumé du cannabis, y’aurait une crise.

Le Dr Claude Cyr, coauteur de l'étude

Le cannabis est une « problématique réelle », poursuit-il, mais « ce n’est rien à côté de l’alcool et des méfaits qui y sont liés ».

À l’Université McGill, la directrice associée du mieux-être et de la sensibilisation explique que « statistiquement », les incidents qui surviennent sur le campus de l’université quant à la consommation abusive d’alcool sont en phase avec ce qui se passe chez les jeunes en général.

« Nous travaillons main dans la main avec notre service de sécurité, nous savons s’il y a quelque chose qui doit nous s’inquiéter. L’abus d’alcool n’est pas en haut de la liste », dit Kathleen Bateman. Les rapports qui nous ont été fournis par l’Université McGill et qui relatent les incidents liés à l’alcool sur le campus tiennent sur 255 pages.

Kathleen Bateman rappelle que pour chaque événement tenu à l’université, les serveurs ont reçu une formation de trois heures sur les méfaits de l’alcool. « Les étudiants de McGill ne peuvent tenir des événements sans avoir reçu cette formation, ce qui assure que nos étudiants boivent avec modération », dit-elle.

Qu’arrive-t-il quand un étudiant se retrouve à l’hôpital pour intoxication à l’alcool ? « Quand ça arrive, on fait un suivi. C’est du cas par cas », dit Kathleen Bateman.

Calage interdit

Plusieurs universités québécoises ont signé le « Partenariat en éducation postsecondaire – Méfaits de l’alcool » et ont en conséquence pris acte du problème, dit Catherine Paradis, analyste principale, recherche et politiques, au Centre canadien sur les dépendances et l’usage des substances (CCDUS).

« On sait que la problématique est là. Près de 90 % des étudiants ont consommé de l’alcool dans les derniers mois, 80 % dans les derniers jours », ajoute Catherine Paradis.

Tous s’entendent pour dire qu’arrêter de servir de l’alcool sur les campus n’est pas la solution. À l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC), par exemple, le bar géré par l’association étudiante s’est doté d’un code de conduite strict, qui inclut une interdiction de faire des jeux d’alcool ou de calage. Pendant les soirées, des étudiants bénévoles – et à jeun ! – assurent le bon déroulement des activités. Ce sont souvent des étudiants en psychologie ou en travail social.

On préfère que les étudiants viennent à ce bar. Ça nous permet d’encourager la bonne consommation et d’avoir un plus grand contrôle. On est là pour eux s’il y a un problème. Dans un autre bar de la ville, peut-être qu’ils seraient plus enclins à s’en foutre [si un étudiant est soûl].

Camille Bellefeuille, vice-présidente aux affaires étudiantes du Mouvement des associations générales étudiantes de l’UQAC

À HEC Montréal, à la suite de l’intoxication des deux étudiantes, les 4 à 7 qui se déroulent tous les jeudis ont été suspendus pendant un mois, le temps « d’analyser la situation ». Ils ont repris avec plus d’agents de sécurité, et tous ceux qui assurent le service au bar ont reçu une formation « pour un service responsable de boissons alcoolisées ».

« C’est notre décision, assure Brendan Peddar, président de l’Association étudiante de HEC. On a été surpris de voir ce qui s’est passé et on s’est dit que si ça s’est passé une fois, il faut réagir. »

— Avec la collaboration de William Leclerc, La Presse

Des soirées mouvementées

PHOTO OLIVIER PONTBRIAND, LA PRESSE

Au Québec, les partys universitaires ne sont pas de tout repos pour les services de sécurité, comme le démontrent plusieurs rapports d’incidents obtenus par La Presse.

L’abus d’alcool ne conduit pas toujours aux urgences. En parcourant les rapports des services de sécurité de différentes universités, on découvre des dommages faits aux équipements, des alarmes d’incendie déclenchées sans raison, des bagarres qui dégénèrent, des blessures, etc.

Fin de session houleuse

17 décembre 2014, Université du Québec à Rimouski

« Un mur de défoncé […] trois personnes ayant vomi, plusieurs en état d’ébriété avancé, altercation vers 0 h 30 entre deux étudiants […], à 3 h 15 altercation entre le président de l’AGE et un étudiant […], on ne devrait jamais donner la permission d’un party quand le lendemain la session est finie car trop de gens en état d’ébriété et plus d’altercations à cause de la boisson. »

Chutes dans les marches

Mars 2016, Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue

« Party au bistro, reçu trois appels concernant le bruit. Avisé la barmaid de baisser le son et au responsable de surveiller ses gens car un étudiant est dans le D-221 et ne se sent pas bien (trop bu), deux autres ont déboulé les marches, les salles de bains (hommes et femmes) ont du vomi […]. »

Au volant

Janvier 2017, Université Laval

« Un agent de prévention a constaté qu’un véhicule avait effectué une sortie de route. La présence du SPVQ a été requise sur les lieux, et ceux-ci ont procédé au remorquage du véhicule étant donné que le conducteur qui est étudiant était intoxiqué par l’alcool. »

Crachat et expulsion

Février 2017, Université Laval

« Un agent de prévention a interpellé un étudiant qui circulait en dehors du Pub avec sa bière. Lorsque l’agent s’est tourné pour jeter la bière, l’étudiant a craché sur l’agent. L’étudiant a été expulsé des lieux. »

Une étudiante agressive

Octobre 2017, Université Laval

« Un étudiant a signalé la présence d’une étudiante fortement intoxiquée par l’alcool qui crie et frappe dans les portes de chambre. À l’arrivée des agents de prévention, l’étudiante a démontré des signes d’agressivité, notamment en bousculant et injuriant les agents. Elle a été transportée par ambulance vers un centre hospitalier accompagnée par le SPVQ. »

Agression sur sa copine

Décembre 2018, Université du Québec à Rimouski

« Étudiant. Consommation d’alcool abusive lors d’un party au Baromètre. Aurait agressé sa copine. Les agents ont dû intervenir lors de l’événement. Suivi fait avec la copine de l’étudiant par la suite au niveau des services d’aide aux étudiants. »

— Avec la collaboration de William Leclerc, La Presse

Sherbrooke : Front commun de la communauté universitaire

PHOTO ARCHIVES LA TRIBUNE

L'Université de Sherbrooke a adopté plusieurs mesures pour s'attaquer au problème de surconsommation d'alcool chez les étudiants.

Chaque jeudi sur le campus de l’Université de Sherbrooke, de 2500 à 3500 étudiants participent à des activités sociales dans leur faculté respective, des 5 à 8 au cours desquels de l’alcool est servi.

« Il a été une époque où il y avait plus d’étudiantes et d’étudiants qui quittaient le campus en ambulance à cause d’une intoxication à l’alcool », dit Jocelyne Faucher, vice-rectrice à la vie étudiante.

Au cours des dernières années, des mesures ont été mises en place sur le campus pour éviter les débordements dans le cadre de ces soirées. Ceux qui ne boivent pas d’alcool ont droit à des consommations non alcoolisées gratuites. La Fédération étudiante de l’Université de Sherbrooke (FEUS) paie des étudiants pour circuler sur le campus dans le cadre des activités festives.

« Ils se promènent dans les événements pour voir s’il n’y a pas d’abus d’alcool, si derrière les bars ils respectent les normes de l’université qui disent qu’on ne peut pas servir plus de deux verres à la fois à la même personne », illustre Albert Bourassa, président de la FEUS. Ces étudiants peuvent aussi raccompagner des étudiants qui le souhaitent à la maison ou appeler pour eux un taxi.

Autobus réservés

Parce que les étudiants sortent des campus, toute la communauté s’est mobilisée il y a environ deux ans pour réduire les méfaits liés à une trop grande consommation d’alcool. Des recherches menées par le pédiatre Claude Cyr avaient mis en lumière la situation à Sherbrooke.

« Une des réalités de Sherbrooke, c’est qu’il y a des partys de début de soirée sur le campus et souvent le party va se finir au centre-ville », dit le professeur à la faculté de médecine à l’Université de Sherbrooke Claude Cyr.

Donc, il y a des heures de pointe d’autobus de jeunes étudiants intoxiqués, ce qui n’est pas cool pour les autres utilisateurs. On a un partenariat avec la Société de transport de Sherbrooke pour avoir des autobus dédiés à ce groupe-là.

Le Dr Claude Cyr

À quelques jours de l’Halloween – une période riche en festivités et propice aux excès –, une grande campagne de sensibilisation appelée « Garde ça le fun » a été lancée dans la ville.

« Dans tous les autobus, les jeunes pouvaient voir cette campagne. Ça leur permettait de dire : prendre un verre d’eau, c’est ben correct aussi, t’as le droit de faire ça », illustre Catherine Paradis, analyste principale, recherche et politiques, au Centre canadien sur les dépendances et l’usage des substances (CCDUS).

La rentrée universitaire en septembre a néanmoins donné lieu à des plaintes de citoyens qui vivent aux abords de l’université. Un conseiller municipal de Sherbrooke a déploré que certains étudiants aient « fêté trop fort » et qualifié de « beuveries » certains partys qui se sont déroulés en plein jour.

De manière générale toutefois, la campagne de prévention de Sherbrooke semble porter ses fruits. 

Les données ne sont pas complètement analysées, mais on a des indicateurs que lors des moments à très haut risque, on a moins d’admissions aux urgences que par le passé.

Catherine Paradis, du Centre canadien sur les dépendances et l’usage des substances

« Est-ce que la tendance va se maintenir ? On ne le sait pas, on le souhaite, mais on a l’air d’être sur la bonne voie », souligne-t-elle.

Il n’y a pas qu’à Sherbrooke qu’on s’attaque au problème. Beaucoup d’universités et d’associations étudiantes reconnaissent l’importance d’éliminer la « glorification de consommation d’alcool », dit Catherine Paradis.

Toutefois, elles ne pourront faire le travail toutes seules.

« À la base de cette problématique, dans les grands déterminants, il y a le prix, la publicité et la facilité d’accès. Or, les universités n’ont pas le contrôle là-dessus. Tant et aussi longtemps que les dépanneurs vont offrir de la bière à moins de 1 $ la consommation, qu’il va y avoir une publicité incessante qui promeut la consommation d’alcool et les excès, tant que le gouvernement ne s’attaquera pas à ces choses-là, la tâche des universités va être excessivement ardue », conclut Catherine Paradis.

En chiffres

Entre 2012 et 2017, les consultations aux urgences des jeunes de 12 à 24 ans pour intoxication à l’alcool au Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke (CHUS) ont été analysées.

25 % : Proportion des jeunes admis au CHUS qui ont été déclarés prioritaires de niveau 1 ou 2, indiquant que leur vie était en danger

20 ans : Âge moyen chez les femmes et les hommes

57 % : Proportion des jeunes admis qui présentaient des complications comme un coma, des lésions à la tête ou une hypothermie

Chez les 18 à 24 ans, il y a davantage de consultations aux urgences lors de la dernière semaine du mois d’août, ce qui correspond au retour à l’école et aux initiations scolaires. Les visites aux urgences ont aussi été plus nombreuses lors de la dernière semaine d’octobre, dans la période de l’Halloween.

* Source : Paradis, C., JP Goupil, C. Cyr et C. Proulx. La consommation d’alcool et ses méfaits chez les jeunes : Étude de cas dans la communauté de Sherbrooke.