Le gouvernement Legault s’apprête à déposer un projet de loi visant à remplacer les commissions scolaires par des centres de services et des conseils d’administration. C’est là un gros chantier qui suscite bien des questions.

Un forum nécessaire ?

Courus, les conseils des commissaires ? En gros, pour ce qui est des parents, « le seul enjeu qui les amène massivement à se mobiliser, c’est s’il y a risque qu’une école ferme », dit Jean-Pierre Proulx, qui est à la retraite après avoir été professeur en administration scolaire et président du Conseil supérieur de l’éducation.

Sinon, quelques parents se présentent lorsqu’il y a un problème ponctuel dans leur école.

Certaines séances sont certes houleuses. À la Commission scolaire de Montréal, à la fin d’août, des manifestants se sont pointés massivement pour faire entendre leur opposition à la Loi sur la laïcité. Parfois, les enseignants et les représentants syndicaux se présentent en grand nombre pour porter leurs revendications.

Mais très souvent, c’est le calme plat. À une séance de la commission scolaire Marguerite-Bourgeoys, à Montréal, le printemps dernier, seules deux citoyennes se sont présentées. Faute d’avoir signifié son intention dans la journée, l’une des deux savait qu’elle ne pourrait pas poser sa question. Cette citoyenne a d’ailleurs bien failli ne pas pouvoir entrer : quelques minutes après le début de la séance, les portes extérieures de l’édifice étaient verrouillées.

L’ordre du jour a rapidement été parcouru, presque inaudible. Lorsque le temps est venu de discuter du sujet de l’heure – le point sur la pénurie d’enseignants –, un huis clos a été ordonné.

À Laval, au printemps, sitôt terminée la période de questions, la vingtaine de parents et d’enseignants présents sont repartis. La séance s’est ensuite bouclée en une trentaine de minutes, avec pour seul public la représentante de La Presse.

Comment contrer l’indifférence ?

En 2014, seuls 5,54 % des Québécois ont voté aux dernières élections scolaires, soit 4,87 % dans les commissions scolaires francophones et 16,88 % dans les commissions scolaires anglophones.

Cette année-là, les présidents de 31 des 72 commissions scolaires ont été élus sans opposition.

Jean-Pierre Proulx rappelle que cette indifférence ne date pas d’hier et que, le constatant, le rapport Parent sur l’éducation, dès 1964, proposait « que les commissaires scolaires soient choisis par les parents, réunis en collège électoral », rappelle-t-il.

En Nouvelle-Écosse, le faible taux de participation et le nombre important de candidats nommés d’office ont amené la province à abolir sept des huit commissions scolaires l’an dernier pour ne conserver que la commission scolaire francophone.

« Difficile de dire pourquoi le taux de participation est si faible, il faudrait le demander aux citoyens. Est-ce que c’est parce qu’ils pensent que leur voix n’est pas entendue ? », demande Avis Glaze, consultante en éducation qui a produit un rapport pour le compte du gouvernement néo-écossais qui recommandait l’abolition des commissions scolaires.

Jean-Pierre Proulx rappelle que surtout, les candidats aux élections scolaires « n’ont aucun moyen technique ou financier de se faire connaître ».

La Fédération des commissions scolaires souligne à ce propos que le budget de publicité des élections scolaires en 2014 n’a été que de 35 000 $.

Où seront les économies ?

À l’automne 2014, les élections scolaires, qui ont normalement lieu tous les quatre ans, ont coûté 20 millions. Selon un décompte de Radio-Canada allant jusqu’en 2018, les élections partielles qui ont suivi ont coûté au moins 810 000 $.

En 2016-2017, la rémunération globale des commissaires s’élevait à 10,2 millions.

Jean-François Roberge, ministre de l’Éducation, fait valoir que l’abolition des commissions scolaires se traduira par des économies qui iront aux élèves.

« Mais si l’on remplace les commissions scolaires par des conseils d’administration, les gens feront-ils cela bénévolement ? », se demande Sonia Éthier, présidente de la Centrale des syndicats du Québec.

André Brassard, qui a été professeur d’administration de l’éducation à l’Université de Montréal, doute que les économies à faire soient énormes. « Les services que les commissions scolaires donnaient vont devoir continuer d’être dispensés. »

À qui se plaindre ?

« La voie des médias semble être maintenant la seule façon de faire », a écrit une citoyenne à La Presse récemment.

Comme elle, ces années-ci, beaucoup des parents se tournent vers les journalistes quand ils ont tout tenté pour régler un problème, ce qui se traduit parfois par une intervention du ministre.

Alain Fortier, président de la Fédération des commissions scolaires, s’en désole. « C’est rendu que quand on [les parents] n’obtient pas satisfaction, on va directement au ministre au lieu de contacter son élu et de lui expliquer la situation. On a développé un mauvais réflexe. »

Le problème, c’est que la voie officielle ne fonctionne pas. Kévin Roy, président de la Fédération des comités de parents, ne cache pas que lorsqu’un élève ou un parent a un problème avec l’école, le système actuel ne fonctionne pas.

L’année aura le temps de se terminer avant que la plainte ait eu le temps de cheminer.

Kévin Roy, président de la Fédération des comités de parents

Un parent ne peut pas porter plainte directement au Protecteur de l’élève. « Le parent est d’abord envoyé d’instance en instance, il doit remplir différents formulaires et attendre très longtemps. »

S’il n’a pas abandonné en cours de route, peut-être sera-t-il autorisé à porter plainte au Protecteur de l’élève, « qui est nommé par le Conseil des commissaires et dont l’indépendance est donc très relative », note M. Roy (qui précise par ailleurs qu’il ne souhaite pas se prononcer sur l’ensemble de la réforme à venir).

Résultat : chaque année, 200 familles préfèrent s’adresser directement au Protecteur du citoyen. Dans un rapport en 2017, le Protecteur du citoyen a lui-même critiqué la lourdeur du processus et rappelé que l’indépendance du Protecteur de l’élève devrait être plus clairement établie.

De façon générale, « quand il s’agit d’enfants, il faut avoir un sentiment d’urgence », rappelle Avis Glaze, la consultante qui a recommandé l’an dernier au gouvernement néo-écossais l’abolition des commissions scolaires.

Par ailleurs, plusieurs enjeux locaux, comme les remplacements à répétition dans les classes ou les effets directs de coupes en éducation, sont portés par les commissaires scolaires, fait observer Pascale Grignon, porte-parole du mouvement Je protège mon école publique.

« Le commissaire scolaire est sur le terrain, il est indépendant par rapport au gouvernement, redevable à la population », dit-elle.

Si les commissions scolaires sont abolies, elle se demande quelle sera la place des parents « au niveau décisionnel, pas seulement consultatif ».

Et les économies d’échelle ?

« On s’engage sur un terrain inconnu. Avant de se lancer, le gouvernement doit s’assurer que ça va être OK », lance Alexandre Beaupré-Lavallée, professeur adjoint à la faculté des sciences de l’éducation de l’Université de Montréal.

Les commissions gèrent encore des dossiers complexes, ne serait-ce que la mise en application des conventions collectives.

Même dans le meilleur des scénarios, M. Beaupré-Lavallée prévoit que les trois ou quatre années suivant la réforme seront chaotiques, comme c’est le cas dans le réseau de la santé.

Il rappelle que de grosses structures permettent de grosses économies d’échelle (notamment quand il s’agit de constructions, d’agrandissements ou de rénovations d’écoles), qu’il faudra évidemment préserver.

Une centralisation à redouter ?

Le professeur Beaupré-Lavallée fait remarquer que Québec a déjà beaucoup grugé dans les pouvoirs des commissions scolaires et que leur abolition ira vers une centralisation accrue.

En 2007, rappelle-t-il, les libéraux rétablissaient le bulletin chiffré unique. En août, le gouvernement Legault a rapatrié le pouvoir de décider lui-même quels sont les besoins en matière de construction et d’agrandissement d’écoles.

S’il est favorable à l’abolition des élections scolaires, Jean-Pierre Proulx croit néanmoins qu’il faut à tout prix éviter que ce soit des fonctionnaires à Québec « qui décident où ouvrir et où fermer des écoles ».

PHOTO ARCHIVES LA PRESSE

Jean-Pierre Proulx, professeur en administration scolaire à la retraite et ex-président du Conseil supérieur de l’éducation

Ce type de décision doit revenir à un conseil d’administration, formé de gens du milieu qui ont à cœur l’éducation, insiste-t-il.

La grande question, dit Sonia Éthier, présidente de la CSQ, « c’est de savoir qui nommera les membres du conseil d’administration et ceux qui seront à la tête des centres de services. Est-ce que ce sera comme en santé, où c’est le ministre qui nomme les PDG ? »

Daniel Bourdon, maire de Mont-Laurier et ancien commissaire scolaire, estime que le gouvernement « a fait son lit » dans le dossier. Il craint lui aussi que le réseau de l’éducation ne vive ce que le réseau de la santé a connu avec la création des Centres intégrés de santé et de services sociaux (CISSS), « le fameux mur-à-mur, qui fait qu’on centralise tout vers les grands centres ».

Il évoque la fermeture d’une école primaire dans sa région, un moment difficile pour l’élu scolaire qu’il était alors. « Émotivement, dit Daniel Bourdon, ce n’est pas évident de dire à une municipalité : “Tu perds ton école.” » Il faudra, dit-il, tenir compte de la « saveur locale » et il entend s’assurer personnellement que le gouvernement « aille dans ce sens-là ».