Je me suis toujours dit de François Cardinal : voici un premier de classe, et qui l’a sans doute toujours été.

Le genre à être élu premier ministre du Parlement jeunesse au secondaire, où il avait sans doute aussi gagné la Médaille académique du Gouverneur général qui récompense le meilleur élève de l’école.

La nomination de François Cardinal comme éditorialiste en chef de La Presse ne m’a pas étonné : c’est un poste de premier de classe, une tribune de studieux cartésien et méthodique, je le dis sans raillerie.

Je me trompais lourdement.

François Cardinal n’a jamais été un premier de classe. C’est même tout le contraire. François a été un cancre de la maternelle au secondaire. Il vient d’en faire la confession dans son nouveau livre sur les garçons et l’école, Lâchez pas, les gars !

Je veux parler des cancres, je veux parler de ces élèves qui ont toujours l’impression de visiter la planète Mars en habit de plongée sous-marine quand ils mettent les pieds à l’école.

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Il y a deux semaines, le chroniqueur Patrick Duquette a publié une chronique sur une école de Gatineau qui tente une expérience spéciale : en cinquième année, garçons et filles sont séparés, dans des classes non mixtes.

Le chroniqueur du journal Le Droit a été invité à parler aux garçons de la classe de cinquième parce que leur enseignante leur avait fait lire une de ses chroniques, où il raconte avoir « piloté » un chasseur F-35 dans un simulateur de vol. Les p’tits gars étaient vraiment impressionnés par l’idée de piloter un F-35, même en simulateur.

La chronique cite l’enseignante qui explique les différences entre les gars et les filles, dans une classe du primaire. Elle donne des exemples, des anecdotes. Je cite un paragraphe de la chronique de Patrick Duquette, qui illustre bien le discours de l’enseignante : 

« Ses petits gars aiment bien les maths et les sciences. L’écriture, c’est moins leur fort. “Un gars, tu lui dis : un ballon est rouge, il est rouge, et ça finit là. Alors que les filles vont pouvoir écrire une page complète sur le ballon rouge !”, explique Annick. Pour les motiver, elle choisit des lectures qui recoupent leurs intérêts. Comme ma chronique sur les F-35. “On va aussi faire plus de robotique, de techno, de programmation”, dit-elle. »

L’enseignante a été lapidée dans les tribunaux numériques, dans une de ces séances de chasse à la maladresse dont les médias sociaux ont le secret en 2019. On a reproché à l’enseignante et à son école de promouvoir des stéréotypes genrés et même le sexisme.

Fort bien…

Mais je vais citer la première phrase du livre Lâchez pas, les gars ! de François Cardinal : « Le Québec a un problème avec ses garçons. »

PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE

Une école de Gatineau a tenté une expérience spéciale : en cinquième année, garçons et filles sont séparés, dans des classes non mixtes.

François enchaîne ensuite sur un problème distinct du système scolaire québécois : un écart de réussite entre garçons et filles sans équivalent au Canada.

Pour le deuxième cycle du secondaire, l’écart de réussite – à l’avantage des filles – oscille entre un et cinq points de pourcentage. Au Québec : 14 points de pourcentage !

Au Québec, 71 % des filles obtiennent leur diplôme dans les délais prescrits, contre 57 % des garçons, à peine un sur deux.

Pourquoi ?

Il n’y a pas de réponse claire. François Cardinal résume bien le brouillard qui pèse là-dessus, en recherche sur l’école : « Si vous posez la question à des experts, vous obtiendrez autant de réponses qu’il y a de spécialistes. »

Qui s’en soucie ? Où sont les statuts Facebook enflammés là-dessus ?

À peine un jeune Québécois sur deux finit le secondaire dans les temps prescrits, ceux qui décrochent le font souvent après des années à s’emmerder…

Et il ne faut rien essayer pour casser ça ?

Il faut lapider une prof et une école qui, dans leur coin, à tâtons, essaient quelque chose, en l’occurrence des classes non mixtes le temps de la cinquième année ?

Ayoye.

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Je ne sais pas si l’école québécoise est biaisée contre les garçons. Je me méfie de cette hypothèse. Pour m’y frotter depuis près de dix ans, je soupçonne que le système scolaire québécois a de la misère avec l’élève qui n’apprend pas, qui n’agit pas comme la moyenne des élèves.

C’est la théorie de François Cardinal. En bon québécois, il ne « fittait » pas à l’école : « J’étais un cercle qu’on essayait d’insérer dans un système scolaire carré. »

Et au Québec, les garçons sont surreprésentés chez les élèves qui sont des cercles qu’on essaie d’insérer jour après jour après jour dans le carré de nos écoles.

L’école québécoise – propulsée en cela par la société – a poussé les filles dans les métiers et dans les secteurs non traditionnels : on veut que les filles se sentent à l’aise de devenir électriciennes ou charpentières, et il y a des programmes pour ça.

On a voulu que les filles deviennent médecins et dans les écoles de médecine, on retrouve plus de filles que de gars, désormais…

C’est parfait, c’est sain.

Mais à peine un gars sur deux décroche son diplôme du secondaire dans les temps prescrits, des milliers de garçons s’emmerdent profondément pendant des années à l’école et…

Et rien. Y a pas de programme pour ça, y a pas de réflexion sur la solution. Personne ne déchire sa chemise à propos de ça. Moins sexy que de faire la chasse aux stéréotypes genrés dans les paroles maladroites d’une enseignante qui n’a pas de pouvoir.

Désolé, mais le gros problème de l’école québécoise face aux gars n’est pas qu’une enseignante de Gatineau ait osé dire sans peser ses mots des vérités qui dérangent les petits catéchismes hyper progressistes.

C’est plutôt qu’à peine un gars sur deux décroche son diplôme dans les temps requis et que l’écart de diplomation gars-filles est gigantesque, si on le compare à celui des autres provinces.

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François Cardinal semble ébahi de ne pas avoir décroché. On a mal avec lui, pour lui, quand il raconte à quel point il a souffert à l’école dans Lâchez pas, les gars !

Si vous avez un gars qui en arrache à l’école, et que vous souffrez avec lui, pour lui, le livre de François va vous faire du bien. Douze hommes publics témoignent du calvaire que fut l’école pour eux.

François a eu de la chance : au cégep, il y a eu un déclic. Je ne veux pas vendre le punch, mais il a commencé à aimer l’école.

C’est un des défis méconnus de l’école québécoise : créer des déclics pour que les gars ne lâchent pas.

Pendant ce temps, pendant que personne ne s’émeut de ça – un gars sur deux finit l’école dans les délais prescrits –, ces enfants-là souffrent et apprennent à détester l’école.