L’école Vanguard permet à des élèves ayant de graves troubles d’apprentissage de terminer leur secondaire

C’était la collation des grades vendredi soir à l’école Vanguard. Mais ce n’était pas une cérémonie comme les autres parce que ces diplômés du secondaire ont réussi à vaincre de graves troubles d’apprentissage.

Ils étaient 90, en tout. Marisol avait mis sa robe fleurie sous sa toge. Mikel sa chemise bleue à pois blancs et son pantalon noir. Julianne avait coiffé ses cheveux et mis un collier de perles.

L’événement n’était peut-être pas aussi attendu que le bal de fin d’année, qui aura lieu le 21 juin, mais il était très riche en émotions pour ces jeunes qui sont entrés dans le gymnase de l’école, où avait lieu la remise des diplômes, sous les cris et les applaudissements de leurs parents et de leurs professeurs.

«Ça représente l’aboutissement de la moitié de ma vie !, a lancé Sofia Byrne-Bertrand, 18 ans. C’est un grand moment.»

«La moitié des gens ici ne pensaient pas se rendre là. C’est une fierté.» — Julianne Ranger, 17 ans

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Sofia Byrne Bertrand et Julianne Ranger.

Pour Marisol Beaulieu, 17 ans, qui ne savait pas lire quand elle a été admise à Vanguard, en 5e année du primaire, c’était une journée vraiment importante. «Je ne pensais jamais réussir mon secondaire. Et là, je m’en vais au cégep de Valleyfield en techniques juridiques.»

Une journée unique aussi pour Yannick Desfonds-Hénault, 18 ans. «Je ne revivrai jamais ça dans ma vie, a-t-il dit. Ça clôt six ans que j’ai passés ici.»

Faciliter la réussite

Dyslexie. Dysorthographie. Dyspraxie. Dyscalculie. Troubles des fonctions exécutives. Trouble de l’attention avec ou sans hyperactivité. Nommez tous les «dys». Ces jeunes diplômés les collectionnent. Natalia a un trouble du langage et est dyslexique. Jérôme a un diagnostic de dyslexie et de dysphasie. Justin cumule TDA, dysphasie et dysorthographie…

C’est d’ailleurs pourquoi ils ont fait leur scolarité à Vanguard, école privée 100 % subventionnée par le gouvernement qui accueille 1117 jeunes, dont environ 300 anglophones, ayant de sévères troubles d’apprentissage et plus de deux ans de retard scolaire.

Ici, dans les classes de niveaux primaire et secondaire, tant francophones qu’anglophones, tout est mis en œuvre pour faciliter leur réussite. Les enseignants sont spécialisés en adaptation scolaire. L’équipe compte 10 orthophonistes et 4 psychologues. Et le nombre d’élèves par classe oscille entre 13 et 17.

«C’est quelque chose de grand pour moi d’avoir mon secondaire, a dit Rafael Garay, 18 ans, qui rêve de piloter des avions. Mon deuxième choix, c’est journaliste. J’adore écrire.»

Pourcentage de jeunes qui ont décroché leur diplôme du secondaire après six ans? 80%.

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L'école Vanguard, en mars dernier.

Sept diplômés sur dix s’en vont au cégep. Rayhana Bouayad ira en sciences humaines. Félix-Antoine Caron en histoire et civilisation. Mikel Lacoste en sciences de la nature. James-Carl Lamarre étudiera en maintenance d’aéronefs. Et Antoine Léonard en montage de lignes.

«Il y a 10 ans, c’était 25% de notre clientèle qui allait au cégep, précise Stéphane Proulx, directeur des services pédagogiques. Les autres allaient chercher un diplôme professionnel. Mais, avec les années, les élèves veulent vivre les mêmes réussites que les autres et ont les capacités intellectuelles pour le faire.»

«Ils utilisent de façon formidable les logiciels d’aide, donc ils sont davantage autonomes. Et comme les milieux collégiaux développent aussi des services, ils peuvent y aller et peut-être même aller ensuite à l’université.» — Stéphane Proulx, directeur des services pédagogiques

«L’estime de soi dans les talons»

Julianne Ranger a obtenu une moyenne scolaire de 90 %. En septembre, elle ira au cégep de Saint-Laurent. Puis, une fois son diplôme d’études collégiales obtenu, elle compte poursuivre ses études en psychologie ou en neuropsychologie à l’université.

«J’avais besoin d’aide et je suis contente d’en avoir eu, dit-elle. Au primaire, des profs disaient que j’étais un cas perdu. Ils pensaient que je ne pourrais pas aller au-delà du secondaire. Mais ici, il y a des gens comme moi qui comprennent mes problèmes et qui ne pensent pas que je suis juste niaiseuse.»

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Julianne Ranger.

Cas perdu. Cancre. Poche. Idiot. C’est ce que beaucoup d’élèves de Vanguard, quand ils étaient plus jeunes, se sont fait dire qu’ils étaient. Au point de le croire.

«Ils arrivent ici l’estime de soi dans les talons», confirme Stéphane Lamontagne, directeur du deuxième cycle du secondaire.

«Vanguard, ça se vit plus que ça s’explique, mais c’est une école où on donne l’opportunité aux jeunes de ne pas se définir par leurs difficultés d’apprentissage, mais par leurs qualités. Parce que, bien souvent, nos élèves se définissent au départ par leurs difficultés. Ils disent qu’ils sont poches, qu’ils ne sont pas bons. Ils ne disent pas ce qu’ils sont.

— Diriez-vous qu’ils ont tiré le numéro gagnant en étant admis ici ?

— Oui, répond M. Lamontagne. Je pense que c’est un privilège et un choix. On n’est pas un monde parfait, mais on n’est pas pire pantoute.»

«Ici, tout le monde partage la même philosophie qui est de faire une différence dans la vie du jeune, ajoute Stéphane Proulx, directeur des services pédagogiques. On veut que ce soit le plus gros “comeback” de sa vie.»

«Quand le jeune arrive ici, il est démoli. Il a l’impression qu’il ne réussira jamais rien, et souvent on lui a dit que c’était pour être le cas. Nous, on le reprogramme.» — Stéphane Proulx, directeur des services pédagogiques

Tous les élèves de Vanguard n’ont pas le même talent ni les mêmes objectifs pour la suite de leur parcours. Mais tous ont la capacité de suivre le programme scolaire du ministère de l’Éducation, et très peu abandonnent en cours de route.

«Cette année, on a perdu 4 élèves sur 328 dans le secteur secondaire francophone], note M. Lamontagne. L’an dernier, on en a perdu un seul. Et l’année d’avant, zéro. Il y en a qui souhaitent faire un diplôme d’études professionnelles, ils sont prêts à partir. Des fois, le secondaire 5, c’est plus le rêve des parents.»

Longue liste d’attente

Situé au bord de l’autoroute 520, cet établissement est tout sauf une école de quartier. Il accueille des élèves de partout, jusqu’à Valleyfield, Saint-Lazare, Montréal-Nord ou Saint-Jérôme.

«Lorsqu’une commission scolaire a des difficultés avec un élève et considère qu’elle n’a pas tous les services nécessaires pour le faire progresser, elle peut faire appel à nous, en nous présentant le dossier, précise M. Proulx. Et nous, on a l’obligation de prioriser l’analyse du dossier et l’admission de l’élève s’il répond à nos critères.»

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L'école Vanguard, en mars dernier.

Et comme c’est une école privée à caractère public, il n’y a pas de droits de scolarité. La liste d’attente est toutefois longue : de 250 à 300 jeunes espèrent avoir une place. Mais elle était bien plus longue avant le déménagement en 2014 de Vanguard dans l’ancien orphelinat des Sœurs grises sur le chemin de la Côte-de-Liesse, où trois campus ont été regroupés en un seul endroit.

«Ici, on ressemble plus à une école à cause du nombre d’élèves. On a des équipes sportives, des équipements, un gymnase, un local d’art dramatique», énumère M. Lamontagne.

Une microentreprise gérée par des jeunes

Et comme tous les élèves n’ont pas les mêmes aptitudes, Vanguard a créé un programme de microentreprise de services de restauration, où une vingtaine de jeunes du secondaire élaborent les menus, préparent les repas et gèrent la cafétéria. L’objectif est de former des jeunes pour qu’ils puissent occuper un emploi de base en sortant de Vanguard.

«On travaille les habilités de base avec eux tout en continuant à faire des maths, du français et les autres matières, explique le directeur. Mais ces jeunes sont plus près du marché du travail que d’autres élèves qui ont continué sur la voie plus académique. Quand on est sûr qu’ils vont réussir, ils vont faire des stages à l’extérieur.»

Nancy St-Martin, orthopédagogue de formation, travaille dans ce programme depuis sa création, il y a 23 ans. «On est trois enseignants, dit-elle. Chacun a son rôle. Stéphane s’occupe de la comptabilité et des commandes. Ensemble, on planifie les menus. Et moi, je cuisine avec les élèves. On ne leur apprend pas à devenir des cuisiniers. On développe les habiletés de base pour être un bon employé dans un métier semi-spécialisé. On travaille beaucoup les attitudes et les comportements. Bien sûr, on leur apprend des petites techniques de base. Mais notre but, ce n’est pas d’en faire des cuisiniers.»

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Nancy St-Martin.

Le taux de placement de ces élèves sur le marché du travail est de 80%.

Quelle est la recette du succès de Vanguard?

«On essaie d’innover, répond M. Lamontagne. Et on est très aimants et bienveillants.»

Une expertise particulière

L’école Vanguard fait partie d’un réseau de 12 écoles en adaptation scolaire, membres de la Fédération des établissements d’enseignement privés. Chaque école a une expertise particulière. À Vanguard, ce sont les troubles d’apprentissage, mais les élèves ne doivent pas avoir de problèmes de comportement. «Il y a beaucoup de parents qui souhaitent envoyer leur enfant ici, mais qui ne peuvent pas parce que leur commission scolaire ne veut pas. Et on a des dossiers d’enfants qui auraient dû être référés plus tôt», déclare Stéphane Proulx. Vanguard a des ententes avec 13 commissions scolaires.