(Montréal) Une éducatrice en service de garde scolaire peut, comme un enseignant, invoquer la défense fondée sur « le droit de correction » qui permet dans certaines circonstances d’utiliser une force raisonnable pour corriger le comportement d’un enfant sans être déclaré coupable de voies de fait.

C’est la conclusion de la juge de la Cour du Québec Sonia Mastro Matteo, dans une décision rendue ce printemps.

Elle devait juger une éducatrice en service de garde, accusée de voies de fait en 2017 sur deux enfants âgés de six et sept ans.

La femme a reconnu avoir pris les deux enfants par le bras pour les sortir de la classe lorsqu’ils chahutaient ou pour les asseoir sur une chaise lorsqu’ils ne respectaient pas les consignes. Elle dit avoir aussi appuyé la face de sa main sur leur visage pour qu’ils regardent vers le mur et non pas vers leurs amis. Les deux enfants sont ceux qui dérangent le plus dans son groupe, a-t-elle ajouté.

La juge résume ainsi le témoignage de la femme : « Selon elle, l’élément déclencheur survient le 30 novembre 2017. Cette journée-là, X et Y parlent et poussent. D’abord, elle les avertit, mais ils n’écoutent pas. Elle les prend par le bras pour les amener sur la chaise face au mur. Ils se retournent et appellent leur ami Z. Elle prend alors la face de sa main pour retourner leur tête vers le mur. C’est la seule fois où elle touche au visage des plaignants. C’est à ce moment que Z dit qu’elle chicane trop ses amis et qu’il va le dire à sa mère. »

L’éducatrice nie toutefois les accusations des enfants qui affirment qu’elle les a giflés, a pris leur visage entre ses deux mains pour qu’ils la regardent et d’avoir fait semblant de jeter un objet en leur direction. Un autre enfant qui a témoigné a parlé de gifles et de « tapes », et a mentionné que l’éducatrice tire les enfants par le bras.

En plus de nier les voies de fait, l’éducatrice a invoqué en défense l’article 43 du Code criminel : celui-ci prévoit que les parents, les instituteurs ou toute personne qui remplace le père ou la mère, sont fondés d’employer la force pour corriger un élève ou un enfant, pourvu que la force ne dépasse pas la mesure raisonnable dans les circonstances. Cela peut être fait pour contrôler un enfant, pour le protéger de lui-même ou pour protéger d’autres enfants.

Le cas de l’enseignant étant déjà prévu par le Code, il restait à voir si une éducatrice en service de garde pouvait aussi s’en prévaloir à des fins de discipline.

La juge Mastro Matteo est d’avis que oui.

Car elle n’est pas qu’une simple gardienne : « Les tâches et le rôle de l’accusée définis dans ces documents démontrent qu’elle fournit des services qui vont bien au-delà de la simple surveillance d’enfants ».

Son rôle exige de stimuler le développement cognitif de l’enfant par la programmation d’activités éducatives. Son apport est complémentaire au projet éducatif de l’école, explique la magistrate, qui estime que vu ces fonctions, elle est couverte par la notion d’« instituteur » au Code criminel qui permet d’invoquer la défense de l’article 43.

La juge retient aussi que tout n’est pas permis : la force doit être raisonnable et doit permettre à l’enfant d’apprendre de la situation. Pas question de fessée sévère, d’utiliser des objets comme une ceinture ou une règle, ni de frapper la tête d’un enfant ou de le gifler.

Et ici, bien que les témoignages des enfants et de l’éducatrice soient divergents sur certains points, et que leur crédibilité soit parfois remise en question, elle retient que la force employée par la femme avait été légère, non humiliante, et visait à faire respecter les consignes.

L’éducatrice a donc été acquittée.

Une ordonnance de non-publication prononcée par le tribunal interdit d’identifier les enfants ou quelque renseignement que ce soit permettant d’établir leur identité.

Disposition controversée

Cette défense de l’article 43 est une disposition controversée du droit criminel canadien.

Car la société a évolué, est-il écrit sur le site du ministère fédéral de la Justice : « Aujourd’hui, les parents contreviendraient à la loi s’ils punissaient leur enfant de la même façon que leurs propres parents les punissaient ».

Le moyen de défense a été clarifié par un jugement de la Cour suprême du Canada en 2004, qui a confirmé la validité constitutionnelle de l’article 43, présent dans le Code sous le titre : « protection des personnes exerçant l’autorité ».

Le jugement précise que l’usage de la force pour discipliner un enfant n’est permis que dans les cas où l’enfant peut apprendre et ne doit pas être dû à la colère. L’enfant doit être âgé entre deux et 12 ans. La force utilisée doit être raisonnable, et son effet doit être « transitoire et insignifiant ». La gravité de la situation ou du comportement de l’enfant n’est pas prise en considération. Enfin, frapper un enfant dû à la colère ou à la frustration face au comportement de l’enfant n’est pas considéré raisonnable et est illégal, est-il précisé.

Mais des efforts sont toujours en cours pour faire modifier cet article — ou le faire abroger.

Un projet de loi émanant du Sénat a été déposé en 2015 dans ce but, mais il stagne depuis.