La Commission scolaire de Montréal offre aux enseignants qualifiés et aux étudiants finissants « l’assurance d’obtenir une affectation à 100 % ou à un pourcentage autre, selon le désir de chacun ». Du jamais vu.

« Vous pouvez manifester votre intérêt par courriel à l’adresse suivante : recrugarante@csdm.qc.ca. Le bureau de la dotation entrera en communication avec vous dans les 24 heures », dit l’appel de candidatures.

À Montréal, où la pénurie d’enseignants est plus criante que partout ailleurs, le tapis rouge est déroulé comme jamais pour les recrues et il y a une véritable surenchère entre les commissions scolaires.

La commission scolaire Marguerite-Bourgeoys, elle aussi située sur l’île de Montréal, offre quant à elle aux stagiaires des postes dans les écoles de leur choix. On leur demande de donner trois choix, malgré le risque que l’école choisie n’ait pas finalement de besoins réels en août et qu’elle se retrouve avec un enseignant en surplus.

Cela se passe ainsi à Montréal où les jeunes enseignants ont vite fait d’obtenir depuis un an des contrats très stables – du genre remplacement de congé de maternité –, des contrats quasi à 100 % et même une permanence en moins de deux ans.

« Une précarité artificielle »

Voilà qui tranche totalement avec les conditions qu’ont connues les enseignants déjà en poste et que vivent encore une grande proportion d’enseignants à l’extérieur de la région de Montréal.

Josée Scalabrini, présidente de la Fédération des syndicats de l’enseignement (dont les membres sont à l’extérieur de Montréal), explique qu’au sein de ses troupes, paradoxe des paradoxes, dit-elle, c’est encore le festival de la précarité.

« On est en situation de pénurie et on maintient un système qui refuse d’accorder les permanences. Les besoins sont là, clairement. Mais au lieu d’accorder une permanence à temps plein, on va offrir deux emplois à temps partiel. »

« Pendant des années, les enseignants sont envoyés d’un côté puis de l’autre. J’ai une amie, une prof de maths, qui a été précaire pendant 15 ans ! » — Josée Scalabrini, présidente de la Fédération des syndicats de l’enseignement

À plusieurs endroits, même en situation de pénurie, « une précarité artificielle est maintenue », dénonce lui aussi Sylvain Mallette, président de la Fédération autonome de l’enseignement, dont les membres se retrouvent tant sur l’île de Montréal qu’à Québec, dans l’Outaouais ou dans les Basses-Laurentides.

L’important, dit-il, c’est qu’au sein d’une même commission scolaire, le tapis rouge soit déroulé équitablement pour tout le monde, conformément aux conventions collectives.

Si tel est le cas, la situation actuelle peut être frustrante pour des enseignants qui ont attendu des années une permanence alors que des jeunes, à Montréal, auront vite droit à de bien meilleures conditions.

Mais cela, c’est la vie, fait remarquer M. Mallette. « De la même façon, quand un quartier voit arriver 200 familles et qu’un village, lui, en perd 200, cela se traduira nécessairement par des ouvertures de postes au premier endroit et par un niveau élevé de précarité dans l’autre. »

Aux origines de la pénurie

L’article de La Presse faisant état, hier, de la campagne de séduction auprès d’enseignants étrangers – des Français et des Belges, notamment – nous a valu de nombreux courriels d’enseignants d’ici qui ont connu un difficile parcours du combattant.

« J’ai fait de rigoureuses études en éducation dans d’excellentes universités canadiennes, raconte Hélène Moïse. Même avec ces études, on m’a demandé de me rendre à Immigration Québec pour compléter une équivalence d’études “hors pays”. Oui, “hors pays” ! Quand j’ai finalement eu mon brevet en 2012, il était écrit dessus : “A complété ses études en Colombie-Britannique.” »

« Une commission scolaire québécoise m’a dit que je ne pourrais jamais avoir ma permanence, car je serais traitée comme les enseignants étrangers qui, eux, ne peuvent pas avoir la permanence ! Ça m’a menée dans des commissions scolaires anglophones, qui, elles, ont moins peur de l’ailleurs. » — Hélène Moïse

« Je suis un peu surprise de toutes les nouvelles conditions annoncées pour accueillir de nouveaux enseignants, écrit une enseignante ayant une vingtaine d’années d’expérience. Ne pensez pas que je suis raciste, bien au contraire, je suis épuisée comme tous mes collègues et je souhaite du renfort rapidement avant de tomber de moi-même au combat. [À mi-parcours], j’ai fait le choix de déménager et de changer de commission scolaire. J’ai donc laissé une permanence et une stabilité d’emploi pour me retrouver, toutes ces années plus tard, avec la même précarité qu’une débutante [mais avec un salaire reconnaissant l’expérience]. Sérieusement, je pense prendre ma retraite avant d’[avoir obtenu] ma permanence. »

« J’ai mon brevet et j’ai passé plusieurs fois dans des processus de sélection de certaines commissions scolaires, écrit encore une autre. C’est extrêmement lourd, les techniciennes sont mal formées, toutes mêlées, elles font plein d’erreurs, notre dossier d’ancienneté est mal évalué et parfois, on n’a simplement pas de nouvelles de notre candidature ! C’est tout le système qui est malade. On aura beau aller recruter ailleurs, ça ne réglera pas le problème. »

— Avec la collaboration de Marie-Eve Morasse, La Presse