Les commissions scolaires refuseront de faire la police dans les écoles pour faire appliquer le projet de loi 21 sur les signes religieux.

Les dirigeants des commissions scolaires, directement visés par la loi, se demandent comment ils feront pour faire respecter dans leurs établissements cette future loi «pleine d'incohérences».

«Il va y avoir des changements. C'est inévitable», a prédit le président de la Fédération des commissions scolaires (FCSQ), Alain Fortier, à propos du texte législatif controversé, en entrevue téléphonique à La Presse canadienne vendredi.

«Pas sûr que dans le milieu scolaire on a le goût de jouer à la police» dans les écoles, prévient M. Fortier, en énumérant tous les volets du projet de loi qui le laissent perplexe, dont la difficulté de l'appliquer.

Sur le fond, la FCSQ s'oppose au principe du projet de loi 21, qui prévoit interdire aux enseignants du primaire et du secondaire du secteur public, de même qu'aux directeurs d'école, de porter des signes religieux.

Il s'agit là d'une solution législative à un problème inexistant, selon lui.

Pire: au lieu de régler un problème, la loi va en créer de nouveaux, dit-il, notamment en accentuant la pénurie de main-d'oeuvre dans ce domaine, au moment où on cherche «à attirer les jeunes vers l'enseignement».

Une passion n'est pas une option

Il n'en est pas revenu d'entendre cette semaine le premier ministre François Legault inviter les futurs enseignants à se réorienter s'ils souhaitaient continuer à porter leurs signes religieux. «Il y a d'autres emplois de disponibles», avait-il affirmé mercredi.

«Je m'excuse, mais une passion c'est pas une option», réplique M. Fortier, rappelant que ceux qui choisissent ce métier ne le font pas pour l'argent.

Voilà une autre façon de nuire «à l'attrait que peut avoir le monde de l'enseignement» pour les jeunes, selon lui.

La clause de droit acquis, ou «clause grand-père» - qui permettra à ceux déjà à l'emploi du gouvernement de continuer à porter leurs signes religieux - pose elle aussi problème.

«Ça ne tient pas la route. Il y a une espèce d'incohérence» dans le projet de loi, en créant deux classes d'enseignants.

Il donne l'exemple de deux enseignantes musulmanes travaillant dans la même école : l'une aurait le droit de porter son hijab, mais pas l'autre, en fonction de leur date d'embauche.

Cette situation pourrait inciter des parents à adopter des comportements discriminatoires. «Est-ce que des parents pourront dire: "je ne veux pas que mon enfant soit dans la classe de Mme Unetelle, parce qu'elle porte le voile?"»

En régions, le changement législatif à venir pourrait se faire en douceur, mais à Montréal, ville multiethnique, la loi 21 risque de «frapper de plein fouet».

Le projet de loi 21 ne prévoit aucune sanction à imposer aux contrevenants, mais le gouvernement s'engage à la faire appliquer.

La ministre de la Sécurité publique, Geneviève Guilbault, a semé la confusion en affirmant cette semaine que les personnes en autorité dans les organismes publics n'avaient qu'à appeler la police pour forcer le respect de la loi. Elle avait aussitôt été contredite par le premier ministre, mais le mal était fait.

Chose certaine, selon les vues du gouvernement, pour ce qui est du réseau scolaire, il reviendra aux dirigeants des commissions scolaires de trouver le moyen de la faire appliquer.

Déjà, deux commissions scolaires anglophones, English-Montreal et Lester B. Pearson, (qui ne sont pas membres de la FCSQ), ont indiqué qu'elles ne feraient pas appliquer la loi 21.

Deux autres, les commissions scolaires francophones des Patriotes et des Hautes-Rivières, ont dénoncé le fait que la loi visait le personnel des écoles publiques, mais pas celui des écoles privées, pourtant subventionnées à 70% par l'État.

Ce traitement public-privé à deux vitesses fera d'ailleurs partie des enjeux soulevés par la FCSQ lors de la consultation menée prochainement sur le projet de loi. La FCSQ entend bien présenter un mémoire et tenter de faire bouger le gouvernement.

Un ennemi?

M. Fortier juge assez particulier le fait que le gouvernement Legault s'apprête à imposer de nouvelles responsabilités aux commissions scolaires avec l'application de la loi 21, alors qu'il s'est engagé à les abolir.

Le gouvernement Legault «nous voit comme un ennemi», estime M. Fortier.

«Comment, d'une part, il peut demander notre collaboration et, d'autre part, (être) en train de nous dire: "On n'a pas besoin de vous autres"?»