Le projet de loi du gouvernement Legault sur la laïcité n'est toujours pas déposé qu'une riposte se prépare déjà du côté des syndicats d'enseignants.

La Fédération autonome de l'enseignement (FAE) a déposé mardi un recours juridique devant la Cour supérieure afin de déclarer inconstitutionnelles toutes démarches de dénombrement des enseignants qui portent des signes religieux au travail.  

Le président du syndicat, Sylvain Mallette, a affirmé que l'ordonnance permanente qu'il demande aux tribunaux restreindrait Québec dans sa capacité d'effectuer un recensement de ses employés pour définir ceux qui bénéficieraient d'un droit acquis, advenant qu'une telle disposition soit inscrite au projet de loi.

«Pour qu'une clause grand-père s'applique, [le gouvernement devra identifier] ceux qui portent des signes religieux. [...] [Or], nous sommes arrivés à la conclusion que les Chartes [canadiennes et québécoises des droits et libertés] ne permettent pas d'identifier des individus sur la base de leurs croyances religieuses», a dit M. Mallette lors d'un point de presse à l'Assemblée nationale.

«Est-ce qu'on accepterait au Québec qu'on dénombre les profs sur la base de leur orientation sexuelle? Est-ce qu'on accepterait qu'on dénombre les profs sur la base de leur affiliation politique? Non. [Alors] pourquoi on l'accepterait sur la base [des croyances religieuses]?», a-t-il ensuite demandé.

Sonia Éthier, qui est présidente de la Centrale des syndicats du Québec (CSQ), a pour sa part affirmé que les enseignants «ne devraient pas être ciblés par le projet de loi [sur la laïcité]» et que son organisation s'adresserait si nécessaire aux tribunaux pour défendre les droits de ses membres.

Une ligne de division s'installe 

Selon les informations publiées par La Presse, Québec déposerait jeudi son projet de loi interdisant le port de signes religieux aux fonctionnaires en position d'autorité, incluant les enseignants. Le gouvernement Legault inclurait toutefois une clause de droits acquis pour ceux qui en portent déjà au moment de la sanction de la loi.  

Lundi, Radio-Canada a aussi rapporté que le ministre Simon Jolin-Barrette, responsable du dossier de la laïcité, interdirait le port de signes religieux aux directions d'école et à tous employés de l'État qui portent une arme.  

Alors qu'il n'est toujours pas déposé, le projet de loi sur la laïcité du gouvernement Legault semble déjà créer une ligne de fracture entre les partis politiques à Québec.  

Le député libéral Gaétan Barrette a dit mardi que sa formation politique ne pourrait pas voter pour le projet de loi en se basant sur les informations qui circulent, alors qu'Andrés Fontecilla de Québec solidaire a rappelé que son parti « est opposé à la volonté du gouvernement d'interdire les signes religieux auprès des enseignants ».  

«Il n'y a rien qui va nous faire dévier de la nécessaire volonté de régler cette question ce printemps et de collaborer avec le gouvernement, sans l'assurer de notre vote final, mais on veut vraiment une bonne collaboration là-dessus», a pour sa part déclaré Pascal Bérubé du Parti québécois.  

Le chef péquiste juge d'ailleurs «étonnante» la position de la FAE dans le débat sur la laïcité. «Il y a quelques années à peine, il y avait une forte majorité de leurs membres qui étaient en faveur des objectifs poursuivis par le projet de loi», a-t-il dit.  

«Je pense que les Québécois attendent le projet de loi depuis très longtemps. Ça fait plus de dix ans, la commission Bouchard-Taylor. Je pense que les Québécois ont hâte de tourner la page», a pour sa part affirmé Jean-François Roberge, ministre de l'Éducation.  

Un projet de loi discriminatoire 

Pour le président de la FAE, Sylvain Mallette, le projet de loi sur la laïcité que s'apprête à déposer le gouvernement Legault ne règlera pas le débat sur le port de signes religieux «car on ne peut pas clore [un tel débat] en privant des individus de leurs droits fondamentaux».  

«[De plus], s'il y avait une clause grand-père, certains de nos membres seraient protégés, mais [d'autres non]. Il y aurait une discrimination à l'emploi [...], ce qui est interdit par les Chartes », a dit le syndicaliste.  

«[Et] pourquoi essayer de régler un problème qui n'existe pas dans le réseau des écoles publiques ? Le gouvernement est incapable de faire la démonstration qu'un individu portant un signe religieux [a déjà cherché] à convertir ses élèves ou ses collègues», a poursuivi M. Mallette.  

Le chef syndical s'est aussi dit surpris que le ministre Jolin-Barrette réfléchisse à la possibilité d'inclure une clause dérogatoire à son projet de loi afin de protéger Québec de toutes contestations juridiques fondées sur les dispositions prévues à la Charte canadienne des droits et libertés.  

«Je mets le gouvernement au défi de ne pas inclure de dispositions dérogatoires et de laisser aux tribunaux le soin de trancher en fonction de l'environnement juridique qui est le nôtre», a-t-il dit.

En mêlée de presse, mardi, le premier ministre François Legault a dit qu'il est prêt à utiliser une clause dérogatoire «quand on parle de protéger les valeurs, protéger notre langue, protéger ce qu'on a de différent au Québec».  

- Avec Martin Croteau, La Presse