Offrir la maternelle 4 ans partout au Québec coûtera entre 400 et 700 millions de dollars par année à compter de 2023, une facture plus élevée que ce qu'avait affirmé la Coalition avenir Québec en campagne électorale. C'est sans compter les coûts d'immobilisation.

Le ministre de l'Éducation, Jean-François Roberge, a déposé jeudi son projet de loi sur les «services de l'éducation préscolaire destinés aux élèves âgés de 4 ans», afin de modifier la loi actuelle et de permettre que des classes pour ces bambins soient ouvertes ailleurs que dans des milieux défavorisés.

En campagne électorale, la Coalition avenir Québec a promis d'offrir la maternelle 4 ans partout au Québec d'ici cinq ans. Le coût sera de 249 millions de dollars par année à terme, indiquait son cadre financier.

Or, en conférence de presse aux côtés du premier ministre François Legault, M. Roberge a affirmé que le coût, «la cinquième année, pourrait aller de 400 millions à 700 millions» de dollars. «Ça va dépendre du pourcentage de parents qui vont choisir la maternelle 4 ans versus les CPE», a précisé M. Legault qui, pour l'occasion, s'était déplacé dans une école de Québec offrant ce programme.

«Ce qu'on dit par contre, c'est qu'on va assumer le coût. Plus il y aura de parents qui veulent la maternelle 4 ans, plus on va en ajouter.» Il a précisé que cette estimation ne tient pas compte des coûts de construction. «Peut-être est-ce coûteux, peut-être que ça peut être un argument que c'est trop coûteux, mais pour moi, l'éducation ne sera jamais trop coûteux», a plaidé le premier ministre en anglais.

François Legault a indiqué qu'il est «difficile à moins d'être devin» d'évaluer le pourcentage de parents qui choisiront la maternelle 4 ans pour leur enfant. «Est-ce que ça va être 25%, 50%, 75%?» a-t-il dit. En campagne électorale, il affirmait: «probablement que 90% des parents vont choisir d'envoyer leurs enfants à la prématernelle».

«Ce que j'ai dit en campagne électorale, c'est qu'on avait fait notre cadre financier en assumant qu'il y aurait 90% des parents qui la choisirait, a-t-il expliqué. Donc on a pris comme le scénario le plus optimiste, mais le plus difficile financièrement pour être certain qu'on aurait les marges de manoeuvre nécessaires.» Il avait pourtant alors estimé les coûts à seulement 249 millions.

La nouvelle estimation de 400 à 700 millions comprend uniquement les frais d'opération. «Ce qu'on offre, c'est un service A1, de qualité», a insisté M. Roberge. Il faut ajouter à cette estimation les coûts d'immobilisation. «Il y a des maternelles 4 ans à construire, mais il y a aussi des rénovations importantes à faire dans beaucoup d'écoles au Québec», 50% d'entre elles sont en mauvais état, a souligné M. Legault qui se dit «en train de chiffrer ça».

En campagne électorale, il déclarait qu'il faudrait ajouter 5000 classes pour offrir la maternelle 4 ans partout au Québec - il y en a 398 à l'heure actuelle. Il disait qu'il y a suffisamment d'espace dans les écoles en ce moment pour aménager 3750 classes. La construction des 1250 autres coûterait 153 millions, soit en moyenne 122 400 $ par classe, précisait son parti.

Selon le projet de loi, «tout enfant ayant l'âge de 4 ans aura droit au service de l'éducation préscolaire, rendant ainsi obligatoire l'offre de ce service par l'ensemble des commissions scolaires», et ce, «à compter de l'année scolaire que le gouvernement déterminera». François Legault a répondu par l'affirmative lorsqu'on lui a demandé si cela signifiait, tel que promis, que la maternelle sera accessible à tous à la rentrée de 2023. Il n'y a toutefois pas d'échéancier précis dans le projet de loi. C'est parce qu'«il peut toujours y avoir des impondérables», des situations «exceptionnelles» qui pourraient empêcher d'offrir le service partout en 2023, a expliqué M. Roberge, évoquant une tornade qui emporte une école à titre d'exemple. «Notre engagement est très très clair, vous avez la parole du premier ministre: ça va être accessible de manière universelle en cinq ans.»

Par ailleurs, le ministre biffe un article de la loi actuelle prévoyant de «s'assurer de la complémentarité entre les services éducatifs de l'éducation préscolaire et les services de garde éducatifs à l'enfance». Il maintient simplement que le ministre établit, «après consultation avec le ministre de la Famille», les conditions et les modalités de l'organisation de la maternelle 4 ans.

Jean-François Roberge change également les règles actuelles afin que les écoles privées puissent dispenser, à compter de la rentrée 2020, la maternelle 4 ans.

François Legault a assimilé les critiques sur son plan de déploiement de la maternelle 4 ans à de la «résistance aux changements», comme celle que l'on avait vue lors de l'implantation de la maternelle 5 ans à temps plein. «Il faut, un moment donné, être capable d'accepter ce changement-là», a-t-il fait valoir. Il avait invité sur place des représentants favorables à son plan: la doyenne de la faculté des sciences de l'éducation de l'UQAM, Monique Brodeur, et Yolande Brunelle, qui a créé la première classe de maternelle 4 ans à temps plein dans une école de Montréal.

Son gouvernement fait l'objet de «beaucoup de pression» des services de garde qui, a-t-il reconnu, «vont perdre une partie de leur clientèle». «Mais qui doit-on défendre? On doit d'abord défendre les enfants et offrir le choix aux parents», a-t-il dit, rappelant que son objectif est d'augmenter la réussite scolaire et le taux de diplomation.

Le dépôt du projet de loi a provoqué un débat enflammé en Chambre alors que l'opposition reproche au gouvernement d'avoir une approche «mur-à-mur».

La députée libérale Marwah Rizqy a accusé le premier ministre François Legault de «manquer de classe» en adoptant un «ton assez paternaliste» envers la péquiste Véronique Hivon. «Je lui donne un an ou deux pour qu'elle soit d'accord avec nous» sur la maternelle 4 ans, avait-il dit à l'élue de Joliette. Pour Mme Rizqy, François Legault a laissé entendre que Mme Hivon ne comprend pas le dossier «alors que ça fait plusieurs années qu'elle comprend déjà».

«Pourquoi cette obsession-là pour les maternelles quatre ans, qui ne répond pas aux besoins ni des parents ni des enfants? a lancé Véronique Hivon. Qu'est-ce que vous dites au milieu scolaire qui vous dit justement qu'ils ne peuvent pas répondre à cette demande-là, qu'ils manquent de classes pour les enfants de troisième, quatrième, cinquième année, d'espace pour les services de garde, de spécialistes? Ils manquent de tout, et vous leur rentrez dans la gorge» la maternelle 4 ans.

Pour François Legault, «il y a des enfants qui ont des difficultés, qui ont besoin d'un enseignant, qui ont besoin d'un orthophoniste, qui ont besoin d'un psychologue, qui ont besoin de l'aide qu'on peut retrouver dans une école primaire. Dans certains cas, ça sera possible de donner ces services dans les CPE. Mais en moyenne, un CPE, c'est plus petit qu'une école primaire. Donc, offrons les deux».

Jean-François Roberge considère qu'il est tout à fait possible de former plus d'enseignants et de construire les classes nécessaires là où il en manque.