Qu’ont à dire des enseignants ou des directrices d’école une fois que l’heure de la retraite a sonné ? Qu’ont-ils à raconter lorsqu’ils n’ont plus peur d’ulcérer ni leur commission scolaire ni le syndicat ? Entrevues avec trois d’entre eux.

André Bouchard • A enseigné 
pendant 32 ans • Quitte cette semaine l’école secondaire Antoine-de-Saint-Exupéry, l’une
 des plus défavorisées et multiethniques de la province

PHOTO DAVID BOILY, LA PRESSE

André Bouchard

Une école « plus rigoureuse qu’avant »

L’un des plus gros secrets, l’un des mieux gardés, c’est que malgré tout ce que l’on entend, « l’école est beaucoup plus rigoureuse qu’avant », dit d’emblée André Bouchard.

« Les jeunes ont une meilleure syntaxe, un plus grand vocabulaire et davantage de connaissances. Les examens sont aussi autrement plus difficiles qu’avant. Il n’y a plus trop de choix de réponses, mais beaucoup de questions à développement, qui obligent à un gros raisonnement. »

Dans les tests internationaux réalisés à l’échelle de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), « le Québec se retrouve toujours parmi les sociétés les plus performantes en maths, en sciences et en compréhension de lecture », tient-il à rappeler.

Et oui, ces tests incluent les résultats des écoles publiques, qui sont beaucoup plus performantes que la réputation qu’on leur fait, insiste-t-il.

« Minuté comme à l’usine »

Ce qui est lourd, dit-il, « c’est que tout, à l’école, est maintenant minuté comme à l’usine. Tant de minutes consacrées à l’enseignement. Tant de minutes pour la surveillance. Tant de minutes pour ceci, tant de minutes pour cela. L’école, ça ne devrait pas être une chaîne de montage. »

Autre problème : le fait que la note soit à ce point sacrée, comme si elle expliquait tout, comme si elle pouvait toujours être une mesure exacte.

Un jour, à des parents qui se plaignaient que la note qui avait été attribuée à leur enfant était trop basse, un de mes collègues leur avait lancé : “Et vous, quelle note donnez-vous à votre couple, à la décimale près ?”

André Bouchard

C’est un peu osé, comme question, mais ça avait fait un peu rigoler M. Bouchard, qui est las de cette obsession de la note. « C’est comme mon fils qui est un jour revenu de l’université avec une note de 98,87 ou quelque chose comme ça ! »

Il faut bien classer les élèves, non ? Au bout du compte, qui peut entrer en médecine ? En biologie ? En droit ?

Certes, mais l’obsession « des rendements chiffrés, des taux de réussite [à atteindre obligatoirement par école] n’améliorent pas la réussite magiquement ».

Sur le terrain, tous ces objectifs chiffrés venus du ministère de l’Éducation et relayés par les commissions scolaires, puis les directions d’école, n’amènent pas tant l’amélioration réelle des écoles que la grosse tentation de trafiquer les notes. 

Certificat ou baccalauréat ?

« On devrait permettre aux bacheliers spécialisés dans un domaine [en biologie, par exemple] d’obtenir un brevet d’enseignement après avoir complété un certificat d’un an en pédagogie, comme c’était le cas autrefois. »

« On se prive de ressources d’une grande richesse, poursuit M. Bouchard. Si les facultés en éducation continuent à s’entêter, le ministre doit trancher, selon moi. »

À l’heure actuelle, avec les baccalauréats de quatre ans obligatoires en pédagogie, « on se trouve à considérer que le contenu des disciplines est accessoire. Comme s’il suffisait de former des pédagogues ».

Résultat : si les jeunes enseignants motivés et autodidactes se donnent la peine de parfaire leurs connaissances, plusieurs autres présentent des carences sur le plan théorique, que ce soit en histoire, en géographie ou autre, signale-t-il.

Après avoir accompagné plusieurs stagiaires au fil des ans, M. Bouchard doute aussi que cette insistance sur la pédagogie fasse toute la différence devant une classe.

C’est dommage, mais c’est comme ça : « Certains n’ont juste pas l’étoffe pour être enseignants. »

Qu’est-ce qu’un bon prof ?

Pour cela, il cite le romancier Daniel Pennac. « C’est d’abord celui qui enlève la peur », répond M. Bouchard. 

C’est celui qui donne confiance, qui doute, qui est capable d’introspection, qui est conscient du modèle qu’il représente, qui arrive à ne laisser personne en plan et qui est passionné par sa matière. « Ça, la passion pour la discipline académique, c’est ce qui manque le plus aux jeunes professeurs ces années-ci. »

Une chose qui n’a jamais changé au fil des ans ? Sa conviction intime « qu’il n’y a rien de plus noble que d’enseigner ».

Christine Jost • A commencé sa carrière comme enseignante, puis a 
été directrice d’école pendant les 22 dernières années • Se consacre maintenant 
à la promotion de la 
technologie en classe

PHOTO DAVID BOILY, LA PRESSE

Christine Jost

Un système trop rigide

« Enseigner ou diriger une école, c’est fatigant. Pendant toutes ces années, je me suis assurée de me coucher à 21 h pour être en forme et à l’école à 7 h 15. »

Christine Jost le dit sans détour : elle ne s’imaginerait plus retourner devant une classe. D’être en représentation tout le temps, dans les bonnes comme les moins bonnes journées, ça demande une énergie « qu’on n’a plus, à un certain âge ».

Elle croit d’ailleurs qu’il faudrait trouver une façon de soulager des enseignants fatigués pour éviter qu’ils tombent à tour de rôle en congé de maladie. « Comme directrice, j’en ai fait, des entourloupettes pour soulager les profs ! Je crois notamment beaucoup aux vertus du team teaching [enseignement à deux]. »

Elle regrette que tout soit si rigide, tout le temps. « Pour donner une pause à un enseignant fatigué, ce serait bien, par exemple, de pouvoir envisager pendant un temps de lui confier la responsabilité de faire le lien entre l’école et les parents. Ça rendrait service et ça pourrait permettre à un prof de reprendre son souffle. »

Ce qui accentue la fatigue des enseignants, ces années-ci, « c’est souvent le bruit lié aux rénovations d’école. Le fait de manquer d’espace, aussi, c’est fatigant ».

Tout cela mis ensemble fait donc en sorte que les enseignants sont essoufflés, en juin, mais il faut relativiser, dit-elle.

Je connais des gens d’affaires qui subissent une pression terrible, mais qui n’ont que deux semaines de vacances par an.

Christine Jost

Des cas plus lourds qu’avant ?

Les élèves ne sont pas plus difficiles qu’avant. La différence, dit-elle, c’est qu’il y a 20 ans, il y avait les petits tannants et puis il y avait les autres.

Maintenant qu’on en sait beaucoup plus sur les problèmes de développement, de comportement et d’apprentissage, maintenant qu’on sait qu’il y a quelque chose à faire, il faut mettre des plans en place pour aider les enfants et c’est ce qui demande plus de travail.

En même temps, encore une fois, elle croit qu’il faut mettre les choses en perspective.

« Dans mes cinq dernières années à la direction de mon école, le budget a triplé pour l’embauche d’orthophonistes, de psychologues, de psychoéducatrices, d’éducatrices spécialisées, etc. À l’inverse, à mes premières années comme enseignante, quand j’avais un problème avec un élève, je devais le régler moi-même et ne compter sur personne d’autre. »

Des erreurs à éviter

« Si tu as 300 élèves dans ton école et que tu en as 25 qui ont des difficultés, le réflexe de trop de directeurs est de tout miser sur les 25. Mais pendant ce temps-là, tu en délaisses 275. »

Il faut certes tout faire pour diminuer le fossé qui sépare les enfants choyés par la vie et ceux qui n’ont pas été gâtés et elle s’y est employée, « mais ce n’est pas en nivelant par le bas qu’on y arrive ».

Il faut au contraire donner aux enfants l’envie d’atteindre des objectifs plus hauts, estime-t-elle.

Trop souvent, les spécialistes sont mal utilisées, à son avis. « Au mieux, un orthopédagogue qui fait des suivis individuels ne pourra suivre que 25 élèves. Mais si tu le fais travailler le matin avec les 25 élèves qui en arrachent le plus et que tu le mets en classe en après-midi, il n’aura pas aidé seulement 25 élèves, mais peut-être 40 dans sa journée. On maximise beaucoup plus les ressources comme ça. »

Enfin, chaque école devrait s’assurer de bien utiliser les forces respectives d’un enseignant. « Dans une équipe, il y aura toujours un prof qui est très fort en maths et un autre qui est extraordinaire pour enseigner la lecture. »

Nathalie Thibault • Enseignante d’éducation physique dans une école primaire d’Alma • Prend sa retraite après 28 ans 
à faire bouger les jeunes

PHOTO GIMMY DESBIENS, LE QUOTIDIEN

Nathalie Thibault

Des élèves pas faciles à faire bouger

« C’est difficile, aujourd’hui, de convaincre les jeunes de bouger. En gros, j’arrive à en motiver 70 %, et il est vraiment difficile de faire lever du banc les 30 % restants. »

Être prof d’éducation physique, aujourd’hui, c’est se battre contre l’immobilité. 

Mme Thibault a pensé à son affaire et un jour, elle s’est dit qu’il valait mieux devenir l’amie de la tablette. « Je l’utilise au gymnase. Je filme les enfants en faisant du sport, ils aiment cela ! »

Elle regrette certes l’époque où les écoles avaient plus d’argent et pouvaient amener les élèves en autobus scolaire faire du ski alpin, mais il y a toujours moyen d’accrocher les jeunes. « Il faut penser aux nouveaux sports, comme le frisbee ultime ou le tchoukball. »

Savoir écouter…

« Je trouve que les enfants ont la vie plus dure que celle que j’ai eue, enfant. Les plus grands de 5e ou de 6e année ont plus de mal à se confier, mais les petits de 1re année ou de 2e année me parlent davantage. J’entends souvent qu’ils ont du mal à trouver leur place dans une famille reconstituée ou qu’ils trouvent qu’ils se font trop garder, qu’ils ne voient pas assez leurs parents à leur goût. Quand on a du mal à motiver un enfant, comme prof, il faut garder en mémoire que parfois, à la maison, la famille vit un moment difficile. »

… et parler plus fort qu’eux !

« Je ne sais pas pourquoi, mais par rapport à mes débuts, les enfants semblent incapables de garder le silence, incapables d’arrêter de parler et de respecter les règles. »

Alors qu’elle est à quelques jours de la retraite, Mme Thibault compte sur la relève pour reprendre son mantra : bougez, bougez, bougez.

« C’est toujours bon quand les parents donnent l’exemple et font eux-mêmes du sport. S’ils le font, les enfants ont de bonnes chances de les imiter. Il en va de leur santé. »