(QUÉBEC) La promesse phare du gouvernement Legault est loin de susciter l’adhésion de tous les intervenants du milieu. Québec veut implanter la maternelle 4 ans partout d’ici à la rentrée de 2023, et pas seulement dans les milieux défavorisés comme c’est le cas à l’heure actuelle. C’est ce que prévoit un projet de loi qui sera débattu à compter d’aujourd’hui en commission parlementaire. Les avis sont partagés, mais une tendance se dégage : Québec va un peu trop vite en affaires et n’a pas réuni toutes les conditions pour faire de son projet un succès. Voici un aperçu du débat.

« Dès le rapport Parent dans les années 60, on annonçait qu’après le déploiement de la maternelle 5 ans, il faudrait compléter avec le déploiement de la maternelle 4 ans. L’idée ne date pas d’aujourd’hui ! Au Québec, les deux grands facteurs de décrochage scolaire, ce sont les difficultés en lecture et de comportement. Par rapport à ces deux indicateurs, la recherche montre clairement que si l’on a des interventions préventives dès la maternelle, dont la maternelle 4 ans, on peut vraiment favoriser la réussite scolaire. » — Monique Brodeur, doyenne de la Faculté des sciences de l’éducation de l’UQAM

« Les enfants doivent être diagnostiqués beaucoup plus tôt si on veut les aider ! À 4 ans, c’est déjà très tard. On pense que le gouvernement fait fausse route. On sait que la qualité, c’est ce qui compte le plus dans l’offre d’un service éducatif et que cette qualité se trouve davantage dans les CPE qui accueillent des enfants à partir de la toute première année de vie. La maternelle 4 ans part d’une bonne intention : répondre au besoin de jeunes enfants qui n’auraient pas pu fréquenter des services de garde de qualité avant. Mais c’est beaucoup d’argent investi dans un système qui n’est pas sûr de répondre à ce besoin-là. Le gouvernement devrait investir ces ressources pour accroître l’accessibilité des CPE. » — Nathalie Bigras, professeure au Département de didactique de l’UQAM et directrice d’une équipe de recherche en petite enfance

« Les services de garde sont importants, mais non suffisants pour assurer la réussite des jeunes vulnérables et en difficulté. Il faut absolument revoir nos interventions : on dépense 2,7 milliards par année pour ces élèves et ils ont un taux de diplomation de 36 %, inférieur à ce qu’on voit ailleurs ! On a les moyens et quasiment l’obligation d’ajouter un niveau scolaire. Car pour les 4 ans, il nous faut des services éducatifs dirigés par quelqu’un qui a une formation universitaire afin d’être capable d’intervenir rapidement auprès de l’enfant. Mais il faudra des modifications au projet de loi. Il faut prévoir que toutes les ressources professionnelles de l’école soient offertes, et prioritairement même, aux 4 ans. Il faudra ajouter des sommes pour les élèves en difficulté. Si on ajoute 50 000 élèves de 4 ans, ça représenterait 80 à 100 millions. » — Égide Royer, professeur associé à la Faculté des sciences de l’éducation de l’Université Laval

« Le gouvernement veut créer des maternelles 4 ans pour intervenir plus tôt, mais actuellement, on souffre grandement d’un manque de ressources professionnelles et de soutien scolaire dans les écoles. Cet argent serait mieux investi pour répondre aux besoins actuels qui sont criants et consolider le réseau éducatif de la petite enfance. La CSQ demande de retirer le projet de loi et de continuer d’offrir la maternelle 4 ans aux enfants de milieux défavorisés, en complémentarité avec le réseau de la petite enfance. » — Sonia Éthier, présidente de la Centrale des syndicats du Québec, qui compte parmi ses membres des enseignants et des éducatrices en service de garde

« Avoir une problématique neurodéveloppementale ou avoir des difficultés dans l’apprentissage de la lecture et de l’écriture, ce n’est malheureusement pas en lien avec le statut socioéconomique des parents ! Il faut donc offrir la maternelle 4 ans à tous, pas seulement dans les milieux défavorisés. Et j’insiste beaucoup sur le fait de ne pas engager les enfants de 4 ans dans un contexte d’apprentissage, de rendement et de performance, que leur maturation cérébrale ne serait pas capable de supporter. Il faut les laisser jouer et ne pas leur voler leur enfance, ce n’est pas le but d’ailleurs. Et la formation doit être adéquate pour les gens qui vont intervenir auprès des enfants. » — Christine Grou, présidente de l’Ordre des psychologues du Québec

« On va faire valoir toutes les embûches possibles qui se dressent devant l’intention du gouvernement d’un déploiement universel. On a essayé d’aviser le ministre sur les enjeux de coûts, de manque d’espace, de pénurie de main-d’œuvre. À la commission scolaire des Découvreurs [à Québec], c’est rendu qu’on fait du “speed dating” et qu’on déploie toutes sortes de stratégies pour garder notre monde ! Et le gouvernement vient ajouter un degré supplémentaire, ce n’est pas rien… » — Alain Fortier, président de la Fédération des commissions scolaires du Québec

« Il ne faut pas que ces défis-là [de main-d’œuvre et d’espace] nous amènent à jeter le bébé avec l’eau du bain. On va proposer au gouvernement de prendre son temps là-dedans, justement pour bien faire les choses. On croit aussi à une refonte du programme éducatif du 4 ans et à un arrimage avec le 5 ans. Il faut créer un cycle de préscolaire, ce qu’on n’a pas présentement. Il faut offrir plus de cours en lien avec le préscolaire dans la formation des enseignants à l’université. Présentement, il n’y a pas beaucoup de cours portant exclusivement sur le préscolaire. » — Carl Ouellet, président de l’Association québécoise du personnel de direction des écoles

« Il faut penser à l’intérêt de l’enfant avant tout. Et l’enfant de 4 ans n’est pas mieux dans les écoles. Les services de garde, on est des petits milieux et on a des petits groupes aussi. Mais pourquoi on chambarde un système de services de garde qui fonctionne bien ? Parce qu’on a fait une promesse électorale, mal ficelée en plus. Il y a de l’obsession politique là-dedans. » — Samir Alahmad, président de l’Association des garderies privées du Québec

« Les parents sont partagés. C’est un choix de plus pour leur enfant de 4 ans, et on ne peut pas être contre ça. Pourvu que les autres services [CPE et autres garderies] aient toujours un financement adéquat. Au fond, c’est un “oui, mais”. Pour aller de l’avant, on met nos conditions. On demande que les objectifs de la maternelle 4 ans, qui ne sont pas connus des parents, soient définis par le gouvernement. Et toutes les ressources nécessaires doivent être mises en place dès le départ. Il faut que les ratios soient les mêmes qu’en CPE, où c’est 1 pour 10 enfants par groupe [il y en a entre 14 et 17 au maximum par classe de maternelle, ou moins en fonction des inscriptions]. Il faut aussi qu’il y ait une personne-pivot qui assure le lien entre l’école et les familles pour qu’il y ait une bonne communication. Les parents veulent une offre de service toute l’année pour les 4 ans, pour ne pas qu’ils se retrouvent à ne pas savoir quoi faire durant l’été, le congé des Fêtes ou la semaine de relâche. » — Kévin Roy, président de la Fédération des comités de parents du Québec

* Les citations ont été légèrement modifiées afin de créer un dialogue entre les intervenants

La maternelle 4 ans en chiffres

394 Nombre de classes à l’heure actuelle, dans les milieux défavorisés. Il y en aura 250 de plus à la rentrée.

3400 Nombre de classes qui seraient ouvertes à la rentrée de 2023

436 millions Coût de fonctionnement prévu – comme les salaires – en 2023-2024. C’est presque 200 millions de plus que ce que prévoyait le cadre financier de la Coalition avenir Québec.

880 millions Somme prévue pour la construction de classes. C’est six fois plus élevé que ce qui était prévu en campagne électorale.