Les études sont unanimes : les enseignants ont un pouvoir d’influence énorme sur les élèves. Une remarque, une attitude, un juron peuvent marquer le développement des jeunes, favorablement ou non.

Boris Cyrulnik, neuropsychiatre français : « Beaucoup d’enfants, vraiment beaucoup, expliquent en psychothérapie à quel point un enseignant a modifié la trajectoire de leur existence par une simple attitude ou une phrase, anodine pour l’adulte, mais bouleversante pour le petit.1 »

Autre référence, cette fois d’un document du réseau scolaire francophone ontarien : « Les enseignantes et les enseignants ont un grand pouvoir d’influence sur la façon dont l’élève perçoit son identité culturelle.2 »

Bref, les enseignants sont des modèles pour les jeunes, souvent les plus importants à l’extérieur de la famille. Il en va de leur réussite scolaire, mais aussi de la construction de leur personnalité, surtout en cette période de leur vie où ils sont très influençables.

Signes religieux

Cette sphère d’influence, il va sans dire, s’étend aussi au domaine religieux. Les enseignants ne sont pas censés susciter l’adhésion à leur foi, mais l’expression ostentatoire de cette foi est assurément de nature à influencer les jeunes. Et, oui, le symbole religieux le plus apparent – et qui entre le plus en contradiction avec nos valeurs fondamentales d’égalité hommes-femmes – est le voile islamique.

Oh, bien sûr, la plupart des enfants ne risquent pas d’être endoctrinés par la simple vue du hidjab. Pour certains jeunes, toutefois, ce puissant symbole porté par leurs profs rend normale cette soumission de la femme qu’il représente. Il banalise la discrimination.

Dans la tête d’un jeune : « Ma mère doit se voiler pour se promener en société, c’est ce que Dieu souhaite, et mon père également. D’ailleurs, mon enseignante voilée, mon modèle, est bien d’accord avec ces deux principes : Dieu détient la vérité et les femmes doivent se cacher les cheveux pour éviter de séduire. »

Demandez aux femmes enseignantes si des garçons arabes se montrent réfractaires à leur autorité. Nombre d’entre elles vous répondront par l’affirmative : souvent, leur autorité n’est pas respectée comme celle d’un homme de la part de ces garçons. Alors imaginez quand l’enseignante porte le hidjab, perçu comme un signe de soumission…

Évidemment, ce ne sont pas tous les élèves musulmans qui ont cette attitude. Ce peut aussi être le cas d’élèves athées, issus du Québec ou de l’un des 30 pays d’immigration qui peuplent le Québec, où la culture serait patriarcale, par exemple. Mais ça ne change rien : ici, les femmes sont les égales des hommes et nos établissements d’éducation du primaire et du secondaire ont le devoir de promouvoir cette valeur fondamentale et, a fortiori, de ne pas véhiculer une image contraire à ce principe.

Parmi les leaders d’opinion du Québec, c’est surtout l’interdiction des signes religieux dans le monde scolaire qui pose problème, le reste fait essentiellement consensus (interdiction pour les juges et les policiers, notamment).

Le rapport Bouchard-Taylor, faut-il savoir, ne jugeait pourtant pas farfelue l’interdiction de signes religieux dans l’enseignement, bien que les deux signataires s’opposent aujourd’hui au projet de loi 21.

Selon leur rapport, il est clair que le port du voile intégral doit être proscrit, car il instaure une trop grande distance entre l’enseignante et ses élèves, ce qui n’est pas le cas du foulard, disent-ils. Cependant, ils ajoutent : « Certains soutiennent que le jeune élève du premier cycle du primaire n’a pas encore développé l’autonomie nécessaire pour comprendre qu’il n’a pas à faire sienne la religion de son enseignante, laquelle est en position d’autorité. Cet argument est sérieux et, bien que nous ne puissions le faire ici, il mériterait qu’on l’étudie sous l’éclairage de la recherche en psychopédagogie. »

À ce sujet, justement, plusieurs autres États ont jugé préférable d’interdire le port de signes religieux chez les enseignants. C’est le cas de la France, de la moitié des Länder allemands et de la Suisse3.

Voici comment le site HumanRights.ch résume le cas suisse : 

« En 1996, le Conseil d’état genevois exigea d’une enseignante du primaire qu’elle retire son voile islamique pour donner ses cours. À la suite du recours de l’enseignante, le Tribunal fédéral statua sur la question en 1997, soutint le raisonnement des autorités genevoises et débouta l’enseignante. Le tribunal reconnut que l’interdiction de porter le voile portait atteinte à sa liberté religieuse. Il estima cependant que le caractère obligatoire de l’école publique et la nature prégnante de la personnalité d’enfants en bas âge rendaient cette restriction légitime.

« Il a par ailleurs rappelé que le droit genevois présentait la particularité de séparer strictement l’État de l’Église et de fonder sans équivoque une école laïque. Cette décision a, depuis 1997, fait jurisprudence dans toute la Suisse. Elle n’a d’ailleurs pas été contredite par la Cour européenne des droits de l’homme. »

Je conçois que la loi 21 aurait pour effet de restreindre le droit de certains d’afficher leur religion dans certaines circonstances. Il faut donc traiter l’interdiction des signes religieux avec délicatesse, afin d’éviter, notamment, qu’elle n’entraîne des comportements haineux de groupes de citoyens.

En même temps, il est bien possible que la loi 21 ait plutôt pour effet d’apaiser la vaste majorité de la population qui y est favorable, comme ce fut le cas avec la loi 101, en 1977. Est-il bon de rappeler que cette loi 101 avait, elle aussi, fait l’objet de virulentes critiques pour le non-respect des droits de certaines minorités ? Or, y a-t-il aujourd’hui un parti politique important qui voudrait abolir cette loi ?

1. Le murmure des fantômes, 2003.

2. Je m’engage, tu t’engages – Guide de réflexion sur la relation enseignant-élève, 2008.

3. La question est contestée en Allemagne, dans un débat très semblable à celui du Québec.