Les récentes sorties publiques des infirmières pour dénoncer leurs conditions de travail trouvent un écho chez certains enseignants, qui multiplient les lettres ouvertes pour faire connaître l'état du système d'éducation et appellent à une prise de parole commune.

À l'approche des élections, certains d'entre eux prennent d'assaut les réseaux sociaux pour « briser l'omerta ».

C'est une « autre collègue tombée au combat » qui a convaincu Jessica Picot de rédiger un billet sur un groupe Facebook dans lequel les enseignants échangent entre eux.

« On a des conditions difficiles, nos écoles sont des "dumps", on n'a pas de budget, pas de temps, pas de libération, pas de formation, les élèves sont de plus en plus demandants et on a de moins en moins de ressources », écrit l'enseignante de Montréal, avant d'inciter ses collègues à prendre la parole, comme les infirmières l'ont fait récemment.

« Je trouve que la situation n'a pas de bon sens. Il faut qu'on arrête de se mettre la tête dans le sable et qu'il y ait une vraie mobilisation. [Les problèmes sont] vraiment criants. »

Son message a suscité de nombreuses réactions. « J'ai l'impression que l'on est en train de foncer dans un mur avec le système actuel. J'ai des élèves qui m'inquiètent vraiment beaucoup, autant sur le plan académique que social et j'attends désespérément. J'attends des services qui ne viendront probablement pas », renchérit une enseignante.

Enseignante au primaire dans la région de Québec, Jessica Dorval-Messely a quant à elle créé cette semaine le groupe Profs en mouvement, qui a rapidement rallié un millier d'enseignants. Elle s'est inspirée d'un groupe semblable réunissant des infirmières et croit que c'est le tour des enseignants de se faire entendre du gouvernement.

« Il faut faire quelque chose, il n'y a jamais personne qui ne fait rien. Je me suis dit : "On va la lancer, la page Facebook, on verra où ça va nous mener" », dit-elle.

PARLER POUR FAIRE RÉAGIR

Enseignant au secondaire à la commission scolaire de Montréal, Maxime Vinet-Béland est sorti à quelques reprises sur les réseaux sociaux et dans les médias pour dénoncer des situations qu'il jugeait inacceptables.

Si certains de ses collègues craignent de manquer au « devoir de loyauté » qu'ils ont à l'égard de leur employeur, l'enseignant y voit quant à lui un devoir de citoyen.

« En notre qualité de pédagogues, on a une charge publique. En tant que citoyen, je ne me prive pas du droit de critiquer une institution aussi importante que l'éducation. Je fais le parallèle avec les médecins. Oui, on a un devoir de solidarité envers l'organisation. Mais si je me prononce publiquement, c'est toujours dans une optique d'améliorer les choses. »

L'enseignant n'a jamais subi de représailles de la part de son employeur pour ses sorties publiques, mais il sait que ça a fait réagir certains de ses supérieurs. « Certains profs auraient pu y voir une forme d'intervention, mais moi non. Si ça revient et qu'on m'en parle, c'est que ça a été entendu », dit-il.

Ces sorties publiques d'enseignants sont un « cri du coeur », dit la présidente de la Fédération des syndicats de l'enseignement (FSE-CSQ), Josée Scalabrini.

« On nous en demande toujours plus, notre tâche s'est complexifiée, on nous a demandé de nous ajuster à plein de changements. Les enseignants disent : "Moi, je n'en peux plus." Ils voient ce qu'a fait le cri du coeur des infirmières et disent : "Est-ce qu'on est capables de provoquer la même chose ?" C'est parlant. »

Enseignante depuis une vingtaine d'années sur la Rive-Sud, Josée Lehoux craint toutefois que les sorties des enseignants ne tombent rapidement dans l'oubli. « Il faut sortir de là et aller plus loin. Pourquoi, malgré toutes ces interventions et les témoignages qui n'en finissent pas de finir, on ne va nulle part avec ça ? », demande-t-elle.

Elle croit qu'il serait grand temps d'entendre les directions des écoles se prononcer sur les « grands malaises en éducation ».

« Les directions d'établissement scolaire sont muettes sur le sujet, c'est très rare qu'on voie un directeur d'école exprimer quelque chose par rapport à ce qu'il fait et ce qu'il vit. Ça m'interpelle », dit-elle.

Rapporter les conditions de travail est en quelque sorte un devoir de loyauté envers les élèves, poursuit Josée Lehoux. « On travaille pour les élèves. Jusqu'à quel point est-on loyaux envers eux ? Même si on veut nous faire croire qu'on travaille toujours pour les élèves, on est rendus à un point où on ne croit plus ça. Les enfants ont de réels besoins. »