Cirer les chaussures, faire briller la vaisselle, défaire avec soin les bagages. Autant de tâches dont doit s'acquitter un majordome. Métier d'une autre époque? Pas aux yeux d'une dizaine d'élèves de l'Institut de tourisme et d'hôtellerie du Québec (ITHQ) qui ont terminé, vendredi dernier, une toute première formation sur cette mystérieuse profession.

«Cette semaine remet tout en perspective. On sort de là avec une ouverture d'esprit, une passion peut-être.» Alexandra-Jade Girard étudie en gestion touristique à l'ITHQ. Elle et une poignée de ses camarades ont plongé, un peu à l'aveugle, dans une semaine de formation intensive sur le métier de majordome, offerte pour la première fois par l'Institut.

Ils étaient tout sourire en recevant leur diplôme dans le hall de l'établissement de formation. L'initiative commémore la mémoire de Pierre Gagné, qui a servi pendant 18 ans les premiers ministres du Québec. Le bien connu majordome a oeuvré dans l'intimité de Jacques Parizeau, Lucien Bouchard, Bernard Landry et Jean Charest jusqu'en 2012.

«Pierre disait que son métier n'était pas aussi gratifié qu'en sol européen, a exprimé sa femme, Lorraine Frappier. Il voulait qu'on élève ce métier-là.» Parce que la profession demeure méconnue et est toujours frappée du préjugé d'agir «en serviteur ou servant». La réalité est loin de tout ça, ont affirmé les jeunes au terme de leur immersion accélérée.

«Le métier évolue», a assuré l'enseignant invité, Clarence McLeod, membre de la Guilde internationale des majordomes, établie à Londres. «Avant, c'était, oui, davantage un rôle de servitude. Maintenant, on parle beaucoup plus d'une relation qui se construit avec la personne dont nous prenons soin», explique-t-il.

Mais que fait vraiment le majordome? «Il fait tout, littéralement», répond Alexandra-Jade. «Il peut faire la cuisine, le repassage, cirer les souliers, placer la table ou même s'assurer de réveiller la personne à la bonne heure», énumère-t-elle. «Son rôle est d'optimiser le temps de celui pour qui il travaille», résume son camarade diplômé Maxime Noël de Tilly.

«Être là pour l'humain»

«Ce n'est pas de servir quelqu'un qui est paresseux, nuance le jeune de 22 ans. Pour ces gens-là, la denrée rare, c'est leur temps. Ça devient un travail d'équipe, c'est pour optimiser leur productivité.» C'est aussi dans cette optique que le métier devient gratifiant, expliquent les deux élèves. «C'est vraiment d'être là pour l'humain», ajoute Alexandra-Jade.

Mme Frappier va dans le même sens. «Pierre n'aimait pas la politique, et heureusement, parce qu'il pouvait tomber n'importe quelle tuile sur les libéraux ou le Parti québécois et pour lui, ça ne changeait rien. Il a toujours dit qu'il était au service de l'homme, du premier ministre, il n'y avait aucune couleur politique», assure-t-elle.

«Sourd, aveugle et muet»



Pierre Gagné s'amusait à se décrire comme un homme « sourd, aveugle et muet », puisque la discrétion est l'une des qualités primordiales pour être un bon majordome. « Il faut avoir beaucoup de tact. Ne rien voir, ne rien entendre. Être observateur, bien se présenter et être capable de travailler sous la pression. C'est l'essence du métier », affirme M. McLeod.

«Je n'ai jamais rien su. Jamais, jamais. Pas un mot», confie Mme Frappier. «Pourtant, il en a vu des choses... des remaniements ministériels, le verglas, le référendum de Parizeau», énumère-t-elle. L'ancien premier ministre Jean Charest est d'ailleurs venu à la rencontre des élèves durant la semaine pour leur parler de l'importance du rôle de majordome.

Encore demandé

Le métier est encore demandé, assure la directrice de l'hôtel de l'ITHQ, Marie-Claude Mcduff, qui affirme recevoir annuellement une dizaine d'offres d'emploi pour pourvoir des postes de majordome au Québec. «Certaines chaînes hôtelières comme Sandals dans le Sud offrent encore le service, mais c'est de plus en plus dans des maisons privées», dit-elle.

Les femmes ont aussi leur place, soutient Alexandra-Jade. «Par exemple, les princesses de l'Arabie saoudite cherchent plus des femmes. Le métier devient de plus en plus moderne, alors il s'adapte aux changements. Je pense que les femmes sont là pour rester», lance-t-elle. Si l'élève se permet de voir grand, elle avoue qu'elle se verrait bien travailler pour la famille Obama.

«Ça serait la coche», blague-t-elle. Maxime Noël de Tilly aimerait plutôt oeuvrer dans des événements qui nécessitent plus d'un majordome, comme l'accueil d'une équipe sportive ou d'un groupe de musiciens. «Le plus gratifiant, c'est d'arriver à accomplir des choses que personne ne croit possibles», ajoute M. McLeod, qui a notamment travaillé dans de prestigieux hôtels.

Parce que le majordome peut aussi être celui qui déniche des billets introuvables pour un concert ou qui obtient une suite dans un hôtel recherché, indique le professeur. «Tu peux être celui qui trouve quelqu'un pour chanter dans un anniversaire... comme Lenny Kravitz! Tu deviens celui qui connaît un gars, qui connaît un gars... C'est aussi une affaire de réseautage.»

L'ITHQ a déjà confirmé que la formation de majordome reviendra en 2019.

PHOTO DAVID BOILY, LA PRESSE

L'enseignant du programme, Clarence McLeod, avec deux de ses élèves : Alexandra-Jade Girard et Maxime Noël de Tilly.