L'Ordre des psychoéducateurs, qui compte près de 500 membres travaillant en centres jeunesse, s'inquiète de la situation dans ces établissements, en écho aux propos tenus dans La Presse mardi dernier par le spécialiste André Lebon.

« Plusieurs constats soulevés par cet expert du domaine de la réadaptation psychosociale correspondent aux informations que certains de nos membres nous transmettent régulièrement », indique le président de l'Ordre, Denis Leclerc.

Il y a trois ans, une pléthore d'experts a élaboré un cadre de référence qui expose les bonnes pratiques qui devraient être adoptées dans les centres. « Ce cadre, c'est applicable, c'est une cible pertinente. Or, les conditions actuelles de pratique ne permettent pas l'atteinte de cette cible », constate M. Leclerc.

Le président de l'Ordre déplore, comme André Lebon, la disparition de l'Association des centres jeunesse du Québec. « On va prendre un recul énorme sur l'expertise et l'accès à cette expertise », déplore-t-il.

Selon M. Leclerc, il est important de « faire le point » sur la situation dans les centres jeunesse. Mardi dernier, André Lebon, qui a conseillé tous les ministres de la Santé depuis plus de 20 ans, réclamait la tenue d'états généraux sur les centres jeunesse, où les conditions de pratique font en sorte que « la réadaptation a perdu son sens ».

Deux chercheurs appuient Lebon

La ministre Lucie Charlebois devrait prendre très au sérieux les critiques d'André Lebon sur les centres jeunesse, estiment également deux chercheurs qui ont mené une étude pendant un an et demi auprès des travailleurs du centre jeunesse de l'Abitibi-Témiscamingue... et qui en arrivent aux mêmes conclusions que M. Lebon.

« La ministre gagnerait à aller s'asseoir avec les gens des centres jeunesse, elle gagnerait à mieux connaître la réalité de leur pratique, qui se déroule parfois dans des conditions éprouvantes », estime Marie-Hélène Poulin, professeure en psychoéducation à l'Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue.

Avec son collègue François Villeneuve, responsable des programmes de second cycle en gestion des organisations de santé à l'UQAT, elle a mené une étude qui visait à comprendre pourquoi autant d'éducateurs travaillant en centres de réadaptation quittaient leur emploi après moins de deux ans d'exercice.

Au cours des 18 mois de l'étude, ils ont interrogé une cinquantaine d'éducateurs et des chefs de service qui travaillent dans les centres de réadaptation. Leur rapport vient tout juste d'être déposé à la direction du CISSS local. Or, leurs conclusions rejoignent exactement celles dont faisait état l'expert André Lebon dans La Presse.

M. Lebon faisait notamment référence aux responsabilités accrues du chef de service à la suite de la réforme de la santé. 

« Les chefs gèrent désormais deux unités, donc 16 éducateurs, plus les occasionnels, plus les stagiaires... Ça fait 20-25 éducateurs à superviser cliniquement. C'est beaucoup trop. Ce n'est pas réaliste, ce n'est pas faisable humainement », dit Mme Poulin.

De même, les chercheurs partagent le constat d'André Lebon sur l'obsession des normes, qui gruge le quotidien des éducateurs. « Ils ont la lourde tâche de tenue de dossiers, ils doivent tout écrire pour se protéger parce qu'il faut respecter les normes. Ce point est clairement ressorti comme grande insatisfaction des éducateurs face à leur emploi, dit M. Villeneuve. Nos éducateurs sentent qu'ils n'ont pas de latitude. La moindre de leurs interventions est normée de façon très rigide. »

En général, les deux chercheurs portent un regard critique sur les conditions de travail actuelles dans les centres de réadaptation. « Le manque de ressources est là. On ajoute la réforme et les mesures d'austérité... ça n'a pas fini d'être difficile pour les gens qui travaillent dans ces milieux-là », dit François Villeneuve.

Des dizaines d'appuis

De son côté, André Lebon a reçu « des dizaines » de courriels d'appui, dont la plupart émanaient de travailleurs des centres jeunesse. « La plupart des gens me remercient d'avoir pris la parole pour eux. »

Il nous a autorisés à reproduire l'une de ces réactions. « On glisse inexorablement vers je travaille pour le boss au lieu du je travaille pour le jeune, écrit l'intervenant. Les agents et transporteurs vont finir par devenir les personnes les plus significatives pour les jeunes, car eux, ils les accompagnent. »

M. Lebon souligne que son cri du coeur visait à protéger les centres jeunesse. « Je ne veux pas attaquer les centres jeunesse. On avait une force dans le réseau, et actuellement, elle n'existe pas... et je n'ai pas de signaux qui me disent qu'on va retrouver cela. »

M. Lebon s'inquiète particulièrement de la mort des structures de concertation comme l'Association des centres jeunesse, qui constituaient un lieu d'échange et de formation capital. « L'actif qui avait été créé avec les années va être noyé dans un grand ensemble et cela, ça m'inquiète. »

Pour lui, la ministre Lucie Charlebois « est le dernier rempart de protection et elle doit être le plus éclairée possible sur la situation qui prévaut en centres jeunesse. »

photo hugo-sébastien aubert, la presse

André Lebon a reçu « des dizaines » de courriels d’appui depuis son témoignage dans La Presse, dont la plupart émanaient de travailleurs des centres jeunesse.