Les CPE sont en perte de vitesse alors que le nombre de garderies privées explose. Quel type de garderies proliférera le plus au cours des prochaines années ? Sur quoi les parents baseront-ils leur décision - sur ce qu'il leur en coûtera ou sur la garderie qu'ils croient de qualité supérieure ?

Alors que le gouvernement Couillard devait créer 4000 places subventionnées en 2015, il ne s'en est créé que 2269, selon les plus récentes données du ministère de la Famille.

Les garderies privées non subventionnées, elles, prolifèrent : entre 2011 et 2016, leur clientèle a augmenté de 208 %, selon le même ministère.

En entrevue téléphonique, le ministre de la Famille, Sébastien Proulx, a expliqué que l'objectif demeure de développer des services de garde aussi bien dans les CPE qu'en garderie privée et en milieu familial. « Les CPE constituent un acquis qu'on ne veut pas remettre en question et qui est à développer, mais à l'intérieur d'un budget limité. »

Que pense-t-il de la qualité relative de chacun des types de services de garde ? « Aujourd'hui, les CPE et les garderies privées subventionnées doivent se soumettre aux mêmes réglementations et aux mêmes inspections », dit-il, relevant que les choses ont évolué avec le temps.

Et la qualité dans les garderies non subventionnées ? Le ministre Proulx note ne pas avoir sous les yeux de données précises sur la question, mais il dit « faire confiance aux parents pour choisir le meilleur milieu pour leur enfant ».

L'important, ajoute-t-il, c'est « d'offrir des choix aux parents ».

Pierre-Yves McSween, comptable, avance pour sa part que le calcul est simple. « Les parents aiment bien leurs enfants, jusqu'à ce que ça leur coûte plus cher. »

Et où est-ce moins cher pour les parents ?

Selon la calculette du ministère des Finances du Québec, d'un strict point de vue financier et en tenant compte de toutes les prestations ou déductions offertes, un chef de famille monoparentale qui gagne 50 000 $ de revenu brut paiera 1,01 $ de moins par jour en garderie privée non subventionnée.

Pour le couple dont les deux conjoints gagnent chacun 50 000 $, il y a à peine 0,06 $ de différence, en faveur de la place subventionnée.

Quand deux conjoints gagnent 70 000 $ chacun, le couple économise 3,50 $ en envoyant son enfant dans une garderie non subventionnée.

Comme les garderies privées non subventionnées reviendront moins cher pour bon nombre de parents, c'est vers elles que les Québécois risquent de plus en plus de se tourner, dit Mona Lisa Borrega, vice-présidente de l'Association des garderies privées du Québec.

Bien que son association en représente, elle souligne que les garderies privées non subventionnées ont du chemin à faire sur le plan de la qualité. « Le réseau des garderies non subventionnées est plus récent, il a besoin de plus d'accompagnement. »

Une étude de l'Institut de la statistique du Québec publiée en décembre va dans ce sens. Entre autres choses, conclut-elle, 4 poupons sur 10 de moins de 18 mois reçoivent des soins insatisfaisants en garderie privée non subventionnée, ce qui n'est le cas que de 2 % des bébés en CPE.

FINIE LA BOUSCULADE EN CPE

Le ministère de la Famille confirme qu'il y a une baisse de demande de places en CPE. Nicole Massé, directrice du CPE Le Pavillon des tout-petits, situé à l'hôpital Notre-Dame, en témoigne. « Avant, dès qu'une place se libérait, j'avais un téléphone à faire et les parents se précipitaient pour avoir une place. Aujourd'hui, il faut que je fasse beaucoup d'appels. Les parents me disent de plus en plus qu'ils ont trouvé une place en garderie privée. »

Cela ne saurait étonner Nathalie Bigras, professeure au département des sciences de l'éducation à l'UQAM, qui croit elle aussi que les parents prennent leur décision en fonction de ce qu'il leur en coûte. « Personne n'amène délibérément son enfant dans un mauvais service de garde, mais notre système de protection cognitive nous amène à insister sur les bons côtés de la garderie fréquentée par notre enfant et à en minimiser les faiblesses.

« Et c'est désolant que les parents soient de plus en plus amenés à se détourner des CPE qui, selon toutes les études [Mme Bigras a participé à plusieurs d'entre elles, parfois comme coauteure], sont une coche au-dessus des garderies commerciales en termes de qualité. Mais cela, le gouvernement ne le croit pas. »

En commission parlementaire, l'an dernier, le ministre des Finances, Carlos Leitao, résumait ainsi son point de départ : « Un service [de garde], quel qu'il soit, pour qu'il soit rentable, il faut qu'il soit de qualité, sinon les gens ne vont pas y aller. Donc, les garderies à but lucratif, pour pouvoir survivre, pour pouvoir être rentables, doivent nécessairement offrir un bon service, parce que sinon, elles se trouveront vides. »

Le comptable Pierre-Yves McSween est tout à fait d'accord avec cette position.

« Les garderies qui sont mauvaises, tout comme les CPE qui sont mauvais, auront tout simplement plus de mal à trouver des enfants. »

- Pierre-Yves McSween, comptable

L'économiste Pierre Fortin, lui, s'inscrit en faux contre la thèse de Carlos Leitao.

Pour que cela soit vrai, il faudrait entre autres, dit-il, que « le consommateur soit capable d'évaluer correctement la qualité du service rendu. Or, pour les services de garde, ce n'est généralement pas le cas. La plupart des parents ne sauront que dans cinq ans si les soins offerts à leur enfant auront produit de bons résultats. Le marché des services de garde, ce n'est pas comme le marché des choux de Bruxelles congelés ».

LA PRESSION D'ÊTRE PRÉSENT

Le gouvernement Couillard vient de mettre en place une nouvelle mesure obligeant les CPE à s'assurer que leurs places soient occupées 80 % du temps par les enfants.

Pour Nicole Massé, directrice du CPE Le Pavillon des tout-petits, cette pression - qui sera refilée aux parents - ne favorise en rien l'attrait des CPE. « Que devra-t-on dire aux parents de l'enfant qui s'est absenté pendant trois semaines en raison d'une pneumonie ? Qu'il devra limiter ses vacances cette année ? Certains parents sont séparés et partent à tour de rôle avec leur enfant, l'été. D'autres parents qui sont toujours en couple font de même parce qu'ils n'arrivent pas à obtenir des vacances en même temps au travail. Faudra-t-il dire aux parents de nous amener les enfants à tout prix dès qu'il n'est pas malade ? Moi, je trouve cela très bien qu'un parent en congé reste avec son enfant. »