Malgré des demandes répétées, quatre commissions scolaires sur cinq refusent de rendre publics les rapports d'actes de violence mettant en cause leurs élèves.

Depuis 2012-2013, les écoles québécoises ont l'obligation légale de recenser tous les cas d'intimidation et d'agression survenus entre leurs murs. S'agit-il d'événements graves? Et comment ont-ils été réglés? Impossible de le savoir puisque, six mois après avoir reçu une demande d'accès à l'information, trois des soixante commissions scolaires francophones du Québec n'ont toujours pas répondu à La Presse. Et 45 autres - y compris celles de l'île de Montréal - refusent de lever le voile sur la situation qui prévaut sur leur territoire, affirmant à l'unisson que les plaintes qu'elles reçoivent contiennent des « renseignements confidentiels ».

Les 12 commissions restantes ont pourtant transmis leurs rapports en toute transparence, en prenant soin de caviarder le nom des élèves et des enseignants impliqués (parfois aussi le nom des écoles), pour protéger leur identité.

« Il faut avoir un portrait clair de la situation. Plus on va être transparent - sans culpabiliser les écoles -, mieux on pourra orienter le plan d'action », commente l'animateur Jasmin Roy, qui a créé une fondation portant son nom pour lutter contre l'intimidation scolaire.

« C'est important d'obtenir un portrait réel pour pouvoir analyser de façon fine la situation et mettre ensuite en place les mesures qu'il faut », renchérit Catherine Renaud, présidente de l'Alliance des professeurs de Montréal.

La Commission scolaire de Montréal remet à son syndicat une copie de tous les rapports d'actes de violence concernant des enseignants. « Ça nous permet de faire des compilations et des analyses, pour voir comment la situation évolue et voir s'il faut intervenir de façon plus spécifique dans certains milieux. Ça permet de trouver des solutions plus rapidement. »

En savoir plus au sujet des agressions entre élèves serait tout aussi utile, mais visiblement, « c'est deux poids, deux mesures », déplore Mme Renaud.

UN FOUILLIS

Les 45 commissions ayant refusé de remettre leurs rapports se sont contentées d'indiquer le nombre d'incidents dénoncés depuis deux ans sur leur territoire - une information qui figure souvent dans leur rapport annuel.

Puisque chaque commission compile ses statistiques à sa manière, il est toutefois impossible de leur donner un sens ou d'établir des comparaisons. Certaines précisent si la police a été appelée (et c'est souvent le cas), d'autres non. Quelques-unes ont créé des formulaires permettant de relater en détail ce qui s'est produit. D'autres se contentent de faire cocher des cases. Et la violence ne semble pas être définie partout de la même manière.

La Fédération n'a pas voulu se prononcer relativement au refus de ses membres de répondre à notre demande d'accès. « On ne leur donne jamais de directives », affirme la porte-parole Caroline Lemieux.

CÔTE FRACTURÉE

D'après les rapports obtenus par La Presse, la gamme des comportements violents dénoncés est vaste et, même si ce n'est pas la norme, ceux-ci sont parfois graves. Après une bagarre annoncée sur les réseaux sociaux, les ambulanciers ont dû être appelés dans une école des environs de Québec. Un élève de 3e secondaire a eu une côte fracturée.

Ailleurs, des jeunes ont été roués de coups de boîte à lunch, de pelle ou de bâton de hockey. Une victime a reçu plusieurs coups de pied au ventre alors qu'elle était étendue sans défense sur le sol. Quelques autres ont été griffées au visage, enfermées dans des casiers ou ont reçu des crachats.

Des filles ont écrit à une camarade de se tuer, qu'elle n'avait plus d'amies. D'autres ont tenu des propos scatologiques très dégradants ou distribué les insultes telles « pute », « salope » et « pédophile ».

Même les enseignants n'y échappent pas. Un élève a poussé sa prof contre un tableau et l'a frappée après avoir tout démoli dans la classe. Dans un cas similaire, un père a appuyé son enfant et dit à l'enseignante violentée : « T'avais juste à fermer ta criss de gueule. »

Quelques jeunes victimes ont parlé de suicide. L'une d'elles a été hospitalisée. Les parents d'une autre ont porté plainte à la Sûreté du Québec.

Que font les écoles? Des élèves ont dû s'excuser ou se sont vu interdire de s'approcher de leur victime. D'autres ont été dénoncés à la police, dirigés vers un psychologue, placés dans un autre autobus scolaire, suspendus, ou - après quelques récidives - carrément renvoyés et scolarisés à la maison.

« Les intimidateurs se promènent librement dans l'école » alors que leur enfant est isolé et a dû changer tous ses cours, dénoncent toutefois dans leur plainte les parents d'un jeune qui s'était fait suivre en voiture par des camarades revendeurs de drogue et avait aussi reçu des menaces sur son téléphone portable.

PAS D'ARGENT

L'automne dernier, en marge du premier Forum québécois sur la lutte contre l'intimidation, 65 intervenants ont déposé un mémoire sur le sujet. Un comité de fonctionnaires épluche toujours leurs propositions, afin d'élaborer un « plan d'action concerté » qui sera lancé cette année.

En parallèle, plus de 2000 des 3000 personnes ayant participé au sondage en ligne tenu par le ministère de la Famille ont affirmé qu'il faut « agir en priorité » dans le milieu éducatif. Pour faire face aux compressions du gouvernement Couillard, certaines commissions scolaires ont toutefois coupé dans les programmes de lutte contre la violence cette année, en disant n'avoir pas le choix.

- Avec la collaboration de Serge Laplante

DES RÉPONSES, DES SILENCES ET DES REFUS

Des 60 commissions scolaires francophones du Québec, seulement 12 ont transmis à La Presse leurs rapports sur les actes de violence survenus dans leurs écoles. Les voici.

Cs des Affluents

Cs des Chênes

Cs de l'Énergie

Cs des Fleuves-et-des-Lacs

Cs Harricana

Cs des Patriotes

Cs des Phares

Cs de Portneuf

Cs de la Riveraine

CS Rives-du-Saguenay

Cs Seigneurie-des-Mille-Îles

Cs du Val-des-Cerfs

Trois commissions scolaires n'ont toujours pas donné suite à la demande d'accès à l'information de La Presse, six mois après l'avoir reçue. 

Cs de l'Or-et-des-Bois

Cs des Hautes-Rivières

Cs René-Lévesque

Les autres ont communiqué uniquement leurs statistiques, mais gardent secrets leurs rapports.