Nombre d'enfants québécois qui ont du mal à lire reçoivent à tort un diagnostic de dyslexie, alors qu'ils sont en réalité victimes de méthodes d'enseignement désuètes, croit Monique Brodeur, doyenne de la faculté des sciences de l'éducation de l'Université du Québec à Montréal (UQAM).

«Le curriculum de l'école québécoise primaire doit être réformé en ce qui a trait aux premiers apprentissages en lecture pour tenir compte de l'état actuel des connaissances, plaide-t-elle. Grâce aux recherches, nous savons aujourd'hui beaucoup mieux comment aider les enfants à apprendre à lire, y compris ceux qui ont un problème d'apprentissage. Seulement, dans les écoles, ces stratégies ne sont pas mises en application.»

Selon elle, c'est d'autant plus important d'y voir «que les premiers apprentissages en lecture sont déterminants pour la réussite scolaire».

Josée Scalabrini, présidente de la Fédération des syndicats de l'enseignement, est tout à fait de cet avis. «On échappe des enfants. Des ajustements doivent être faits pour tenir compte de ce que nous a enseigné la recherche depuis la réforme.»

La faute des mots-étiquettes

Mais quel est le problème? Line Laplante, professeure de didactique à l'UQAM, explique qu'on s'en remet trop à la technique du mot-étiquette. S'il est bien d'enseigner à des enfants des mots qu'ils reconnaîtront d'un seul coup d'oeil, instantanément - suivant la technique des mots-étiquettes - , il est également important de leur enseigner de façon explicite la correspondance entre les lettres et les sons. Par exemple, pour lire le mot «sapin»: le son que fait le «s», que «s» et «a» font «sa», et ainsi de suite...

C'est encore enseigné, mais souvent en passant, en mettant nettement en priorité les mots-étiquettes, regrette Mme Laplante. «Ça va pour les élèves forts, mais les enfants à risque ont besoin d'un enseignement plus explicite.»

La réforme pédagogique a beaucoup insisté sur la communication, sur la compréhension du sens d'un texte. Tout cela est essentiel, certes, mais selon Mme Laplante, il est tout aussi important de s'attarder aux bases.

Mme Scalabrini explique que des enseignants ont cru, à tort, qu'ils devaient suivre à la lettre les préceptes de la réforme. «Heureusement, des enseignants ont été délinquants et s'en sont éloignés, et j'en suis très heureuse. On a trop mis de côté l'enseignement explicite, il faut y revenir, aider les élèves à reconnaître les syllabes et les sons.»

Il y a quelques années, le ministère de l'Éducation, sensibilisé à l'importance de cet enjeu, avait réuni un comité d'experts.

Au gré des changements de gouvernement, l'idée est restée lettre morte.

Une fois tous les neuf jours...

L'ennui, avec le surdiagnostic dénoncé par certains experts, c'est qu'il se traduit trop souvent par une aide disséminée aux quatre vents pour ceux qui ont manifestement un problème.

 «Il manque de ressources, alors un enfant qui a réellement un problème sera suivi une fois aux neuf jours, pendant 20 minutes, affirme Marie-Claude Béliveau, orthopédagogue et psychoéducatrice à l'hôpital Sainte-Justine. Les parents, qui croient qu'un suivi est fait, ne comprennent pas qu'il n'y ait pas amélioration et l'enfant, lui, se trouvera idiot, se dévalorisera et en viendra à détester l'école.»

Le Dr Gilles Julien, pédiatre social, assure quant à lui que dans les quartiers pauvres desservis par ses cliniques, ce n'est pas une vue de l'esprit: les problèmes des élèves y sont criants et touchent un enfant sur deux. Oui, on a tôt fait de «distribuer des codes 12 au premier trouble de comportement venu», mais de façon générale, selon lui, «les problèmes sont surtout mal diagnostiqués». «La semaine dernière, par exemple, j'ai vu un enfant qu'un responsable en adaptation scolaire m'a présenté comme ayant une déficience légère, sur la seule foi d'un diagnostic mal fait en très bas âge. À mon avis à moi, il n'est pas déficient du tout! Il a un problème de langage, et peut-être un petit TDAH [trouble déficitaire de l'attention avec hyperactivité]...»

On les écoute tous parler, les spécialistes, et la chose frappe: ce n'est vraiment pas une science exacte. «En effet, on ne fait pas des mathématiques, dit le neuropsychologue Benoit Hammarrenger. Toute personne qui fait un diagnostic de TDAH, par exemple, fera des erreurs. En passant des tests approfondis, le risque d'erreurs est cependant minimisé. Et pour ma part, quand je vois que l'enfant est dans une zone grise, je préfère m'abstenir et penser qu'il n'y en a peut-être pas, de TDAH.»

PHOTO OLIVIER PONTBRIAND, ARCHIVES LA PRESSE

Dr Gilles Julien