Chaque année, des enfants et des enseignants font l'objet de menaces dans les écoles primaires et secondaires du Québec. Les policiers récoltent en parallèle des centaines d'armes. Parfois de vrais fusils ou carabines... et de très nombreuses imitations à air comprimé. La Presse a brossé un portrait de la situation.

Comme le tueur fou du cégep Dawson, le garçon de 12 ans s'est photographié entouré de son arsenal: huit carabines et revolvers et deux couteaux de chasse... Puis l'écolier des Laurentides a utilisé l'internet pour envoyer ses images à un autre élève et le mettre en garde: «Je vais te tuer avec mes fusils à l'école» et «Ma te tuer avec un couteau».

L'enfant s'est bel et bien présenté en classe avec une lame de sa fabrication, en février dernier. Mais ses fusils étaient faux. «On a tout saisi chez lui; c'étaient des répliques ou des modèles à air comprimé qui tirent des plombs», précise le porte-parole de la Sûreté du Québec, Benoît Richard.

Chaque année, depuis 2006, les corps policiers appelés dans les écoles primaires et secondaires du Québec rapportent en moyenne 700 affaires impliquant des armes, révèlent des données obtenues auprès du ministère de la Sécurité publique en vertu de la Loi d'accès à l'information. Dans 170 cas, il s'agissait d'objets tranchants ou contondants. Dans 100 autres, d'armes diverses, comme du gaz poivre, du poison, des poings américains, etc. Dans 400 cas, d'armes jamais retrouvées. Et dans près de 30 cas, de fusils - qui étaient, selon les chiffres officiels, véritables deux fois sur trois.

Dans les faits, les fusils à air comprimé sont beaucoup plus nombreux à l'école. Et ils entraînent d'immenses dégâts psychologiques, même si leurs projectiles ne sont pas mortels.

L'an dernier, un garçon de 11 ans a tiré sur une fillette de 6 ans dans une école primaire de Gatineau. À Longueuil, un voleur avait déjà tiré sur le pied d'un élève, pour lui arracher son jeu électronique dans la cour d'école. C'était en 2009. L'année suivante, un jeune Lavallois de 13 ans a déchargé son fusil à plombs sur la jambe et le bras d'un camarade.

D'autres élèves brandissent plutôt des armes du genre pour terroriser une ex-petite amie (à Chambly en 2011 et Brossard en 2009), tandis que d'autres encore optent pour des pistolets à impulsion électrique (à Laval en 2011).

Parfois, la panique s'empare d'écoles entières. À Longueuil, en 2012, une adolescente est partie en ambulance, en proie à un violent choc nerveux, après avoir été confinée avec ses camarades en pleurs dans la polyvalente Jacques-Rousseau, toutes lumières éteintes. Un garçon de 16 ans avait pointé un fusil à air comprimé sur des élèves avant d'entrer dans l'école et de le ranger dans son casier.

Même commotion à Montréal, à deux reprises en 2010, puis à Boucherville, en 2012, quand des élèves de l'école de Mortagne ont brandi des répliques de mitraillettes et de pistolets.

«Les élèves veulent se sentir importants avec ça, indique Robin Pouliot, du service de police de Saint-Jérôme. J'ai devant moi une fausse mitraillette saisie dans un sac à dos. Ça vient par vagues, souvent en janvier, parce que plusieurs jeunes en reçoivent à Noël.»

De vrais fusils

Les vraies armes à feu, elles, sont retrouvées ailleurs. En 2012, un élève fou furieux s'est mis à tout défoncer, un midi, en clamant qu'il allait «tuer» son ancienne petite amie, qu'il bombardait de 1000 textos par semaine. Grâce au registre des armes à feu, la SQ de Sept-Îles a découvert que cinq carabines étaient enregistrées au nom de son père. «On les a saisies de façon préventive», indique Benoît Richard.

D'autres fusils ne sont toutefois jamais retrouvés. À Laval, de 2010 à 2013, plusieurs élèves ont dit s'être fait braquer une arme sur la tête et s'être fait voler par des agresseurs qui s'étaient enfuis. Même chose à Gatineau en 2011.

Certains élèves semblaient faire l'objet de règlements de comptes. D'autres s'étaient rendus dans un bois. «Nos écoles sont situées sur de grands campus et il peut se passer toutes sortes de choses le soir et le week-end», souligne le secrétaire général de la Commission scolaire de Laval, Jean-Pierre Archambault.

«Certains incidents surviennent en dehors des heures d'école, quand les lieux sont loués au privé ou prêtés aux arrondissements. Nos établissements sont utilisés au maximum de leur capacité de 7 h à 23 h», renchérit la présidente de la Commission scolaire de Montréal, Catherine Hamel-Bourdon.

Les leaders syndicaux contactés se disent inquiets. «En même temps, c'est rassurant si on trouve les armes et ce n'est pas surprenant qu'il y en ait, puisque les écoles ne sont pas séparées de leur milieu de vie», nuance Sylvain Mallette, président de la Fédération autonome de l'enseignement et ex-conseiller municipal.

Lorsqu'il présidait le comité de sécurité publique de Saint-Eustache, l'enseignant a pu observer de près comment les policiers qui suivent la migration des bandes criminelles requièrent la collaboration des écoles. Le va-et-vient lors du repas et des pauses peut leur donner le signal qu'une bande tente de s'implanter, explique M. Mallette. «Ces bandes utilisent parfois les écoles comme portes d'entrée pour prendre possession d'un territoire. Des jeunes s'inscrivent dans certaines écoles, mais sont en fait des agents dormants.»

Élèves troublés

Comme dans le cas des armes à feu, la majorité des élèves se procurent toutefois de simples répliques. En 2012, près de Joliette, un jeune de 12 ans a apporté une grenade, mais elle ne contenait pas d'explosif ni de détonateur.

Les élèves troublés se rabattent souvent sur les objets de tous les jours. À Saint-Jérôme, un jeune de 16 ans entreposait dans son casier «des seringues et une aiguille ainsi qu'une lame de rasoir cachée à l'endos de son cellulaire», indique une décision du tribunal de la jeunesse rendue l'an dernier.

Sanctions

À la SQ, 86 policiers ont travaillé au programme d'intervention en milieu scolaire en 2013-2014. Les services de police municipaux ont aussi leurs agents dans les écoles. «Il s'agit d'incidents isolés, mais ils sont tous documentés et les parents sont avisés. On prend ça très au sérieux», assure Jean-Paul Lemay, de la police de Gatineau.

Après s'être armés et avoir proféré des menaces, des élèves se sont vu imposer des travaux communautaires ou des séjours en centre de réadaptation. Les cas lourds sont expulsés de leur commission scolaire, précise Sylvain Mallette.

Parmi les saisies d'arme «à l'école» recensées à la SQ de 2012 à septembre 2014, 86% sont survenues pendant les heures de classe, et 14% à un autre moment, le soir ou le week-end (soit 279 contre 44). Le SPVM s'est dit incapable d'apporter cette précision.

- Avec la collaboration de William Leclerc et de Serge Laplante