Le premier ministre Philippe Couillard avait prévenu que son gouvernement devrait prendre des «décisions difficiles», et une révision du tarif des garderies subventionnées en fera manifestement partie. Les centres de la petite enfance (CPE) et tous les partis d'opposition à l'Assemblée nationale s'élèvent contre une modulation de ce tarif selon le revenu des parents. Les syndicats craignent même que cette mesure ne s'étende aux services de garde en milieu scolaire.

Pour le directeur général de l'Association québécoise des CPE (AQCPE), Louis Senécal, le «dialogue social» promis par Philippe Couillard au sujet de la révision des programmes est un écran de fumée. Il n'avait jamais entendu parler d'une modulation du tarif lors de rencontres avec le gouvernement au cours des dernières semaines. «C'est le festival de l'improvisation! a-t-il lancé. On ne se laissera pas faire.»

Il souligne toutefois que lors d'une rencontre le 15 août dernier, la ministre de la Famille Francine Charbonneau a clairement affiché ses couleurs. «Je suis là pour ébranler les piliers du temple», aurait-elle déclaré, d'après M. Senécal. Il conclut que le gouvernement ira plus loin encore que la révision du tarif. «Le prochain pas, c'est le démantèlement complet du réseau des CPE. C'est ça, l'agenda. On pense que le gouvernement veut éliminer la contribution réduite, aller avec une participation directe des parents pour la totalité du coût du service, et ensuite un crédit d'impôt serait accordé», a-t-il soutenu. Ce régime existe ailleurs au Canada et prévalait au Québec avant la création du réseau des CPE, en 1997.

L'AQCPE s'est déjà prononcée pour une hausse de la contribution universelle - donc sans modulation.

Supplément

Comme La Presse l'a indiqué hier, un scénario vise à maintenir le tarif à 7$ par jour - 7,30$ à partir du 1er octobre - pour les moins nantis et à l'augmenter pour les autres selon leur revenu. Les services de garde continueraient d'exiger le même tarif à tous les parents, un tarif qui serait indexé année après année. C'est au moment de la déclaration de revenus que les parents auraient à verser un supplément pour que, au bout du compte ils paient l'équivalent de 8, 10$ ou plus par jour, par exemple.

«Aucune décision n'a été prise au sujet de quelque programme que ce soit, a réagi le président du Conseil du trésor, Martin Coiteux. Nous retournons toutes les pierres, parce qu'on veut [...] faire les meilleurs choix possible pour préserver les services et avoir des services qui sont compatibles avec le budget contraignant que nous avons.» Au cabinet de Francine Charbonneau, on signale que le gouvernement attend entre autres les recommandations de la Commission de révision des programmes, en octobre, avant de trancher.

«Taxe déguisée»

Pour l'opposition, la modulation du tarif selon le revenu est une «taxe déguisée» que le gouvernement veut imposer aux familles. Les libéraux renient leur engagement électoral d'indexer seulement le tarif, ajoute-t-elle.

«On crée un nouveau palier d'imposition pour la classe moyenne. C'est elle qui va écoper. Elle paie déjà pour ce service-là dans ses impôts, elle n'a pas besoin de repayer», a affirmé le chef intérimaire du Parti québécois, Stéphane Bédard. Rappelons que le gouvernement Marois avait l'intention de faire passer le tarif de 7 à 9$ en deux ans.

À la Coalition avenir Québec, «on va toujours prôner que les tarifs soient augmentés en fonction de l'inflation», donc autour de 2% par année, a soutenu le député François Bonnardel. «Les contribuables ont besoin d'oxygène, pas d'une nouvelle taxe. Le gouvernement devra faire des efforts additionnels pour couper dans ses dépenses.»

Pour Françoise David, de Québec solidaire, «c'est inacceptable de remettre en question un programme qui a permis à des milliers de femmes de retourner sur le marché du travail».

Milieu scolaire

Les centrales syndicales craignent que la modulation du tarif ne s'étende aux services de garde en milieu scolaire. Le tarif de ces services dans les écoles est en effet harmonisé à celui des garderies subventionnées depuis des années. «Ce qu'il y a d'épouvantable, c'est que le gouvernement nous invite à une révision des programmes en disant qu'il faut débattre, mais on nous annonce déjà qu'on remet en question l'universalité d'un programme, a réagi le président de la CSN, Jacques Létourneau. Et on nous a dit qu'il va y avoir d'autres annonces en septembre qui vont toucher les services publics. C'est très inquiétant. Ça ne va pas dans le sens du dialogue social promis.»

«On paye déjà deux fois»

L'attaque du «principe d'universalité» des centres de la petite enfance (CPE) semble déranger les parents montréalais, qui ont été nombreux à déclarer hier que la classe moyenne «en fait déjà assez», quand La Presse les a rencontrés à la sortie d'un service de garde à Montréal.

«Il y a beaucoup d'hypocrisie là-dedans. Il faut se rappeler l'intention de départ du projet», a lancé Clémence Trilling, qui venait chercher ses deux enfants dans un CPE du quartier Rosemont. «On paye déjà deux fois: par nos impôts et par le tarif. Les familles aux revenus entre 70 000 et 100 000$, on est rendues les vaches à lait du gouvernement.»

«Il y a quelque chose qui a un peu de bon sens là-dedans», a ajouté Marc Pagliarulo-Beauchemin. «Mais le but des CPE, c'était l'accessibilité, l'universalité», a souligné sa conjointe, Martine Quevillon. «C'est vrai que c'est dangereux», a concédé le papa, qui craint que le gouvernement n'applique le même genre de mesure aux réseaux de la santé et de l'éducation.

«Encore la classe moyenne! s'est exclamée Geneviève Tousignant. Je comprends que ce soit nous qui payions», a-t-elle ensuite nuancé, avant d'admettre qu'elle n'aura d'autre choix que de «couper ailleurs» dans le budget familial. Ève Prévost, qui a une fille et un bébé à venir, a eu la même réflexion à propos des finances de sa famille. «Je ne suis pas contre une hausse», a-t-elle dit, faisant référence à la proposition du Parti québécois de faire passer le tarif à 9$ pour toutes les familles. «Mais les riches paient déjà plus avec leurs impôts.»

«C'est pitoyable! a laissé tomber Barthelemy Ludwickowski. Les CPE, c'est un investissement.» «C'est un choix, a plutôt fait valoir Marc-André Gonthier. Il faut en assumer le prix.»

- Marie-Michèle Sioui